Au Liban un souffle nouveau en politique à l’occasion des municipales

Au Liban un souffle nouveau en politique à l'occasion des municipales

Le Monde
| 06.05.2016 à 12h28
Mis à jour le
08.05.2016 à 12h27
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Par Laure Stephan (Beyrouth, correspondance)

C’est une bouffée d’air frais dans un jeu politique sclérosé, et une petite secousse pour l’establishment libanais, celui des chefs au pouvoir héréditaire et des leaders inamovibles au pouvoir héréditaire. Pour la première fois au Liban, des candidats issus de la société civile rassemblés sur une liste indépendante se présentent à des élections municipales à Beyrouth, dimanche 8 mai. Cette plate-forme, Beirut Madinati (« Beyrouth est ma ville »), se veut une « opportunité de changement ». « Ces candidats sont des outsiders dans leur message politique et leur choix de se présenter. C’est une liste non partisane, dont le discours sort de la spirale des ONG [dont certains candidats sont issus] », souligne Ali Mourad, maître de conférences en droit public à la Beirut Arab University.

Doux rêveurs

Rassemblant des profils variés  des médecins comme des artistes ‘, Beirut Madinati s’est fixé une priorité : rendre plus vivable et plus égalitaire la capitale libanaise, rongée par la pollution, la spéculation immobilière et l’argent. De doux rêveurs ‘ Ses candidats répondent qu’ils sont épaulés par une vaste équipe, dont des experts en développement public.

« On veut apporter du sang neuf, une impulsion nouvelle à la capitale »

« Depuis la reconstruction [au début des années 1990, au sortir d’une guerre de quinze ans], la ville est aux mains des magnats de l’immobilier. On veut apporter du sang neuf, une impulsion nouvelle à la capitale, explique l’architecte Mona El-Hallak, qui se bat pour préserver le patrimoine beyrouthin. En outre, la municipalité dispose d’un budget de 1 milliard de dollars par an. Comment expliquer que la ville soit dans ce piteux état ‘ » Pour cette femme engagée, franchir le pas vers la représentation institutionnelle, « c’est prendre les rênes du changement, cesser d’user son énergie comme militant pour tenter de se faire entendre par les autorités locales ». Au-delà des objectifs concrets  rendre le logement plus abordable ou instaurer le recyclage des déchets ‘ cités par Beirut Madinati, il s’agit de dénoncer la corruption et l’incurie de la classe politique.

Peu après le début de la crise du ramassage des ordures qui allait durer huit mois, les manifestants descendus au c’ur de Beyrouth avaient exprimé leur ras-le-bol, à la fin de l’été 2015, face aux dysfonctionnements au quotidien, au verrouillage du pays par l’élite et aux tensions communautaires exacerbées par les leaders politiques.

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C’est dans la continuité de ce mouvement que s’inscrit Beirut Madinati. Tout comme une seconde liste qui sort, elle aussi, des sentiers battus, Citoyens et citoyennes dans un Etat, qui se présente dans plusieurs villes. Son pilier, Charbel Nahas, brillant économiste connu pour son esprit frondeur et ancien ministre, milite pour une réforme radicale du système libanais. Son équipe veut combattre le « pouvoir corrompu qui paralyse l’Etat, explique Mahmoud Haïdar, l’un des coordinateurs. Nous voulons réinstaurer un Etat qui fonctionne, rendre aux institutions leur légitimité ».

Débats dans les quartiers

Le Liban n’a plus de président élu par les députés depuis deux ans, le Parlement a autoprorogé son mandat à deux reprises. Les élections municipales, étalées sur plusieurs semaines et basées sur un scrutin majoritaire à listes ouvertes, sont la première occasion de voter au Liban depuis six ans.

La plate-forme Beirut Madinati a fait parler d’elle en faisant le choix de la parité (dans un pays où seulement quatre des 128 députés sont des femmes) et en organisant des débats publics dans les quartiers.

De quoi donner des idées. La liste de l’establishment, parrainée par l’ancien premier ministre Saad Hariri, qui n’a pas lésiné sur les bains de foule pour soutenir ses candidats pendant la campagne, a ainsi annoncé un programme qui ressemblait à s’y méprendre à celui de ses jeunes concurrents. Aussi étrange que cela puisse paraître au profane, cette liste d’union rassemble les candidats de la plupart des principaux partis  une pratique courante pour les élections municipales à Beyrouth ‘, alliés ou hostiles à M. Hariri : les mêmes qui s’invectivent dans le débat politique national.

Il ne sera pas facile pour les deux listes contestataires de faire face à ce mastodonte. « Si elles obtiennent de bons résultats, cela pourrait déclencher un mouvement populaire. Mais même si leur score était décevant, une dynamique s’est créée », juge M. Mourad, qui suivra dimanche comme observateur les élections. L’une des clefs sera le taux de participation : à Beyrouth, l’abstention a frôlé les 80 % lors des dernières municipales.

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