Andy Murray , ‘Il y a trop d’argent dans le sport’

Andy Murray , 'Il y a trop d'argent dans le sport'

Le Monde
| 19.05.2016 à 16h10
Mis à jour le
22.05.2016 à 10h55
|

Propos recueillis par Henri Seckel

En 2015, à Roland-Garros, vous aviez vécu une demi-finale ­épique contre Novak Djokovic, perdue en cinq sets et en deux jours (6-3, 6-3, 5-7, 5-7, 6-1). Quel souvenir gardez-vous de ce match ‘

Je n’avais pas démarré comme j’aurais voulu, mais le niveau avait été très bon tout au long de la partie, et l’atmosphère incroyable. On savait que le match allait finir par être arrêté à cause de la tempête qui arrivait. Le lendemain, j’avais réussi à prendre le quatrième set, mais dans le cinquième, malheureusement, j’avais été distancé assez tôt, et Novak avait très bien terminé. L’édition 2015 reste, de loin, mon meilleur Roland-Garros. En plus, c’est là que j’ai appris que ma femme était enceinte.

Gagner Roland-Garros est-il devenu pour vous un objectif réaliste ‘

Je pense que oui. Ça l’est bien plus maintenant que ça ne l’était il y a quelques années. Jusqu’à présent, un quart ou une demi-finale était un bon résultat. Aujourd’hui, j’ai beaucoup plus confiance en moi sur terre battue, et mes résultats des deux dernières saisons sur cette surface me laissent penser que j’ai une chance de remporter ce tournoi un jour.

Comment expliquer que vous soyez devenu un excellent joueur de terre battue, depuis la saison dernière ‘

Sur surface dure, ma faculté de déplacement est l’un de mes principaux atouts, mais sur terre battue j’ai toujours eu du mal à bien bouger, et notamment à bien glisser. En 2015, je n’ai pas joué le tournoi de Monte-Carlo parce que je m’étais marié juste avant, alors j’ai ensuite passé deux semaines à m’entraîner pour me réhabituer à la surface et travailler mes déplacements avant Roland-Garros. Et normalement, chaque année, je joue à Paris et il s’écoule dix mois et demi avant que je rejoue sur terre battue. Mais l’an dernier, avec la finale de la Coupe Davis [sur terre battue, en novembre, en Belgique], j’y ai passé plus de temps. Ça m’a sans doute aidé.

A quel point vous sentez-vous ­proche du niveau de Novak Djokovic aujourd’hui ‘

La finale de Madrid a été très serrée. Celle de l’Open d’Australie aussi (6-1, 7-5, 7-6), même si j’ai perdu en trois sets, parce que le deuxième et le troisième auraient pu basculer de mon côté. Donc je me rapproche, mais il est toujours ­clairement le numéro 1. Il est fantastique. Sa constance, ces dernières années, est incroyable.

Vous n’avez remporté que deux de vos quatorze matchs contre lui depuis deux ans. Vous est-il parfois arrivé de ressentir une forme d’impuissance ‘

Non, parce que lorsque j’entre sur le court face à lui, le match de la semaine précédente n’a plus d’importance. Vous savez, quand Wawrinka a gagné l’Open d’Australie en 2014, il n’avait jamais battu Nadal, il en était à douze défaites de suite, et c’est arrivé quand même. Et jusqu’à il y a deux ans, le bilan de Novak sur terre battue contre « Rafa » n’était pas très bon, et puis il s’est mis à gagner tous ses matchs contre lui. Les blessures, les maladies, les problèmes personnels, les coups de théâtre, ça arrive dans le sport. C’est sûr qu’on peut ressentir une certaine frustration parfois, mais chaque match est différent. Quand tu entres sur un court, il faut toujours y croire.

Voilà cinq ans que Djokovic arrive en favori à Roland-Garros et qu’il en repart battu. Est-ce que vous pensez qu’il n’y arrivera jamais à Paris ‘

Impossible à dire. Je ne pense pas qu’il soit maudit à Paris, il a été tout proche de gagner plusieurs fois, et tant qu’il sera en forme et en bonne santé, il aura toujours une grande chance. Mais ce n’est pas facile. Remporter Roland-Garros lui permettrait d’avoir gagné tous les tournois du Grand Chelem, c’est un objectif ­immense, ça lui met une pression énorme. C’est ce qui fait le charme du sport : même si vous êtes numéro 1 mondial, vous n’avez aucune garantie.

Et est-ce que vous espérez qu’il n’y ­arrive jamais ‘ On sait que sa domination sans partage agace un peu dans le vestiaire’

J’espère surtout que, moi, je vais y arriver ! Je ne pense pas que ce soit très bon de se focaliser sur ses adversaires. Je vais essayer de gagner cette année, c’est tout. Je ne me soucie pas de savoir si Novak va gagner ou non.

Lire aussi :
 

Murray, Djokovic, Nadal, tous outsiders à Roland-Garros

Il y a quelques semaines, vous vous êtes opposés sur la question du dopage dans le tennis. Novak Djokovic estime que « tant qu’il n’y a pas de preuve que quelqu’un se dope, le sport est propre ». Vous expliquez avoir déjà affronté des adversaires qui « semblaient ne pas fatiguer », et vous vous dites parfois « suspicieux », parce que vous « entendez des choses ».

« Entendre des choses », ce n’est pas tout à fait ça. L’interview [au Daily Mail] était plus ou moins fidèle à mes propos’ L’année où je suis arrivé sur le circuit [en 2005], Nadal a gagné Roland-Garros, et le joueur qu’il a battu en finale [l’Argentin Mariano Puerta] a échoué à un contrôle antidopage. Un autre joueur, en quart de finale cette année-là à Paris, s’est aussi fait prendre [l’Argentin Guillermo Cañas]. Cette année, il y a eu l’affaire ­Sharapova. C’est impossible de dire que le sport est propre à 100 %, ne serait-ce que parce qu’il y a déjà eu des cas cette année. C’est mon point de vue.

Celui de Novak Djokovic est-il naïf ‘

Ce n’est pas à moi de le dire. Novak et moi, on s’entend bien, je n’ai pas envie que l’on oppose nos points de vue, ce n’est pas la question. Mon point de vue, et celui de tous les joueurs de tennis, je l’espère, c’est qu’on doit faire tout ce qu’on peut pour s’assurer que ce sport soit aussi propre que possible. Il y aura toujours des joueurs qui ne respectent pas les règles, et on veut que ces joueurs soient attrapés.

Avez-vous été étonné par la réaction virulente de l’entraîneur de Djokovic, Boris Becker, qui a presque eu l’air de prendre vos propos comme une ­attaque personnelle, et a dit que vous étiez « à côté de la plaque » ‘

J’ai parlé à Boris le lendemain au téléphone, tout va bien. Boris et moi, on s’est toujours bien entendus. Peut-être que je réagirais comme lui si quelqu’un arrivait là et me disait : « Oh, vous avez vu, un joueur dit qu’il soupçonne un autre joueur de tennis. » Evoquer ces ­sujets devant une caméra, quand vous n’y êtes pas préparé, ce n’est pas une situation normale.

Aviez-vous entendu parler du meldonium avant que Maria Sharapova ne mentionne cette substance ‘

Non.

Est-il normal qu’elle ait annoncé elle-même son contrôle positif ‘ N’est-ce pas la fédération internationale qui aurait dû s’en charger ‘

Si. Mais je crois qu’il est actuellement question que cette règle change.

Croyez-vous en ses explications ‘

Pour être honnête, je n’ai pas vraiment écouté ce qu’elle a dit. Mais j’ai vu le nombre de cas positifs au meldonium cette année, beaucoup de sportifs ont pris cette substance.

Ils disent qu’il n’y a pas de preuves scientifiques que cela améliore les performances, mais vu le nombre d’athlètes qui en ont pris, on peut supposer qu’ils en tiraient un avantage.

Avez-vous subi un contrôle anti­dopage après votre finale à Madrid ‘

Non.

Combien de contrôles subissez-vous par saison ‘

C’est différent pour chaque joueur. Tous ne doivent pas se plier au programme Adams, je crois que seuls ceux du Top 50 doivent être localisables une heure par jour, tous les jours. Moi, je me fais aussi contrôler à la maison par l’agence britannique antidopage, qui a beaucoup de moyens par rapport à d’autres pays. Cette année, en tournoi, j’ai dû être contrôlé cinq fois, je pense. Avant l’Open d’Australie, à la fin de l’Open d’Australie, avant Monte-Carlo’ L’an dernier, j’avais été contrôlé plus souvent. Je n’ai aucune idée de ce que serait le nombre idéal. Plus il y a de contrôles, mieux c’est, évidemment, mais je ne sais pas si c’est trois fois par semaine, quatre fois par mois, vingt contrôles aléatoires dans l’année, soixante-dix contrôles par saison’

Comment la politique antidopage de la Fédération internationale de tennis a-t-elle évolué depuis vos débuts ‘

Nous sommes contrôlés bien plus souvent aujourd’hui que quand j’ai commencé sur le circuit, surtout depuis trois ou quatre ans.

Rafael Nadal a porté plainte pour diffamation contre Roselyne Bachelot, qui a affirmé publiquement que sa longue absence des courts en 2012-2013 pour une blessure au genou était en fait due à une suspension pour ­dopage. Les « suspensions déguisées » sont-elles une réalité dans le monde du tennis ‘

Il est déjà arrivé, ces dernières années, qu’un joueur se retire d’un tournoi et qu’on apprenne, plus tard dans la presse, qu’il avait été pris lors d’un contrôle antidopage. Ça avait été le cas de Marin Cilic à Wimbledon en 2013, par exemple. Dans un cas pareil, il vaudrait évidemment mieux que ce soit rendu public tout de suite. Cela dit, les joueurs ont aussi le droit de se blesser. C’est injuste d’émettre des doutes à chaque fois qu’un joueur abandonne.

Le début de la saison a aussi été ­marqué par l’affaire des paris ­truqués. Avez-vous déjà été approché par quelqu’un pour arranger un match, ou eu le sentiment qu’un match que vous jouiez avait été­ ­arrangé ‘

Personne n’est jamais venu me voir pour arranger un match. Et je n’ai jamais joué un match dont j’ai eu le sentiment qu’il était arrangé. Mais il est possible que ce soit arrivé, bien sûr. Je ne crois pas que tout soit parfait dans le sport, il y a eu assez de preuves par le passé, que de telles choses peuvent se produire.

La dotation globale de Roland-Garros a grimpé de 70 % ces quatre dernières années. Y a-t-il une limite, sur le plan moral, à ce qu’un joueur de tennis peut gagner ‘

Dans le sport, de manière générale, on gagne beaucoup d’argent. Je ne sais pas quel est le chèque du vainqueur de Roland-Garros cette année, mais à Wimbledon ce sera 2 millions de livres [2,6 millions d’euros], ce qui est une incroyable somme d’argent. Par contre, dans les tournois de plus faible niveau, sur les circuits Challenger ou Futures [les 2e et 3e divisions du tennis], la dotation n’a pas bougé depuis que j’ai commencé à jouer. Il faudrait s’attaquer un peu à cette différence, parce que pour un gars classé 300e, c’est extrêmement difficile.

Le vainqueur de Roland-Garros ­touchera 2 millions d’euros. Un joueur éliminé au premier tour, 30 000 euros. Pendant ce temps, un enseignant gagne autour de 2 000 euros par mois. De telles ­disparités vous semblent-elles être le signe d’une ­société qui fonctionne bien ‘

C’est très difficile de répondre à cette question. Je pense qu’il y a trop d’argent dans le sport. Mais je ne peux parler que du tennis. Oui, les joueurs qui perdent au premier ou au second tour à Roland-Garros remportent une immense somme d’argent, parce que les sponsors paient, les télévisions paient. Mais si cet argent ne va pas aux joueurs, où va-t-il ‘

Aux fédérations nationales, au monde amateur, à la construction de courts, à l’Etat qui accueille ­le tournoi’

Le tournoi de Wimbledon a longtemps payé la LTA [la fédération britannique] 40 millions de livres chaque année, et le tennis n’était pas pour autant en très bonne santé en Grande-Bretagne. Je suis d’accord avec vous, à condition que l’argent aille au bon endroit, aux bonnes personnes, aux enfants, pour les courts, les installations, les écoles, etc. Mais simplement dire qu’on va donner de l’argent aux fédérations, ça ne résout pas tout non plus.

Ne regrettez-vous pas que le tennis soit devenu à ce point un business ‘ L’argent roi a-t-il fait perdre à ce sport une dimension « romantique » ‘ Les tout jeunes joueurs sont déjà ­extrêmement professionnels ­et semblent programmés comme des robots.

Je ne sais pas. J’ai moi-même vécu certains travers du tennis quand j’étais plus jeune, puisque j’ai signé avec une société de management quand j’avais 11 ans, et, à mon avis, c’est une mauvaise chose. Les parents ne savent pas toujours comment se comporter face aux sociétés qui viennent leur faire des promesses, ils veulent juste aider leur enfant. Mais quand vous avez 11 ans, vous n’avez pas besoin d’une telle pression, vous n’avez pas besoin de signer des contrats avec des marques de vêtements ou de raquettes’ Ça peut rendre fou. Je ne sais pas si le tennis a perdu sa ­dimension romantique, je n’y ai jamais vraiment réfléchi. Mais il y a beaucoup d’argent en jeu, et ça peut créer des ­problèmes chez des joueurs d’un jeune âge, c’est sûr.

Leave A Reply