A Lac La Biche l’attente des sinistrés de Fort McMurray au Canada

A Lac La Biche l'attente des sinistrés de Fort McMurray au Canada

Le Monde
| 08.05.2016 à 05h40
Mis à jour le
08.05.2016 à 09h28
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Par Anne Pélouas (Lac La Biche, envoyée spéciale)

Sur la route menant d’Edmonton à Fort McMurray (Alberta), dont les 80 000 habitants ont été évacués mardi 3 mai pour cause d’incendie de forêt, la nature se réveille, les arbres verdissent, les grands champs de céréales s’assèchent, les oiseaux migrateurs filent vers le nord. Le contraste est frappant avec l’horreur vécue 430 km plus loin, au c’ur des champs de l’industrie des sables bitumineux dont Fort McMurray est la capitale. Au moins 1 600 maisons ont été détruites par le feu, qui a déjà brûlé plus de 200 000 hectares de forêt.

La radio annonce l’évacuation du site pétrolier de Syncrude. Peu après, trois autobus pleins, identifiés à son nom, passent en direction sud, sur l’autoroute 63 qui traverse Fort McMurray. Suivront plusieurs pick-ups ou voitures couverts de cendres. Ils sont les premiers à avoir, samedi 7 mai, après l’enfer de mardi, vécu le cauchemar de retraverser leur ville dans une épaisse fumée, quittant leurs abris depuis l’exode : les camps au nord de la localité que l’industrie pétrolière a mis à leur disposition. En fin de journée, les autorités annonçaient que la plupart des 17 000 « évacués du nord » se trouvaient désormais au sud de Fort McMurray, voire à Edmonton ou Vancouver, en Colombie-Britannique voisine, après l’organisation de convois routiers et de ponts aériens.

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L’exode par terre et par air pour fuir l’incendie à Fort McMurray

« Je n’ai pas dormi pendant trois jours »

A l’intersection de l’autoroute 63 (140 km de Fort McMurray) et de la route de Lac La Biche où se sont réfugiés de nombreux sinistrés, deux ouvriers de Carillion, l’entreprise chargée de l’entretien de l’autoroute, jouent les agents d’information. « La barricade de la police est à 20 kilomètres de Fort McMurray », explique Rob Rulens à ceux qui montent vers le nord. On ne passe pas. Aux sinistrés, il donne de l’eau et leur montre la route pour rejoindre le Bold Centre, à Lac La Biche.

La petite ville, à cinquante kilomètres de là, surplombe un lac majestueux. Paradis des pêcheurs, campeurs et golfeurs, elle a accueilli 4 400 personnes en quatre jours au Bold Centre. Le parking du grand centre de loisirs est plein. Dehors, un air de fête de village : il fait chaud, les barbecues fument et les tables de pique-nique sont bien occupées mais les mines sont basses. Femme de ménage à l’hôpital de Fort McMurray, Antoinette-Juliette Smith a quitté précipitamment la ville, encore en uniforme, une fois les patients évacués mardi. Après une nuit dans un camp avec son mari Rodney Naude, travailleur pour Suncor, elle a pu s’habiller de pied en cap à Anzac, grâce à des dons. « Je n’ai pas dormi pendant trois jours », dit-elle. Le lit de camp du Bold Center fut providentiel, même si le couple, d’origine sud-africaine, aimerait qu’on lui trouve une chambre. Et surtout qu’on leur ramène leur chien, resté à la maison, en attendant de pouvoir y retourner eux-mêmes.

Tout laisser derrière soi

A l’intérieur du centre, il y a attroupement devant la télé qui diffuse la conférence de presse quotidienne des autorités albertaines sur l’incendie. On y annonce qu’il va redoubler d’intensité, mais s’éloigne toujours de la ville. Ouf ! Le Bold Center voit défiler au moins 400 personnes par jour, souligne Jihad Moghrabi, chargé des relations avec les médias. Inscriptions sur la liste des sinistrés, passage éventuel à la clinique d’urgence, à la cantine, aux douches, au dortoir installé dans la patinoire, à une table de fonctionnaires pour déposer une demande de chômage, ou à celle des assureurs pour obtenir une aide d’urgence’ La salle de sport est la plus courue par ceux qui ont tout laissé derrière eux : de longues tables débordent de vêtements, jouets, brosses à cheveux, crèmes à raser’ Dans la salle de jeux improvisée, des gardes-parcs organisent des activités pour les enfants.

« Nous essayons de trouver rapidement des chambres chez l’habitant, en hôtel ou camping », explique M. Moghrabi. Certains font un arrêt puis repartent pour Edmonton ou Calgary, chez des parents ou amis. Pas Heather et Don Campbell. Ce couple de Fort McMurray a passé une nuit dans un camp pétrolier après l’évacuation, puis installé son camping-car sur un terrain à eux à Lac La Biche. Elle vient « travailler » au Bord Center où le wifi est gratuit, répondre à des clients inquiets de l’entreprise de gestion immobilière de sa fille à Fort McMurray. Les affaires ne s’annoncent pas trop bonnes pour les prochains mois ! Lui porte une casquette Syncrude. Il a quitté son travail depuis mardi et la reprise n’est pas pour demain, même s’il est toujours payé. Ils comptent vivre dans leur camping-car le temps qu’il faudra avant de retrouver leur maison, épargnée par l’incendie. Pas question d’aller ailleurs, ni maintenant, ni plus tard. « C’est chez nous. Nous vivons au milieu d’une belle forêt », lâche-t-elle sans se rendre compte que les arbres des environs ne seront plus là avant longtemps.

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Les impressionnantes images avant et après l’incendie à Fort McMurray

« La vie ne sera plus jamais la même »

Passé le golf de Lac La Biche, le camping du parc Winston Churchill est installé sur une jolie île. Le parc n’est pas encore ouvert, mais a permis aux sinistrés d’y installer gratuitement leurs camping-cars. Laurie Deep et Jennifer Green ont le sourire aux lèvres. Il fait beau, le terrain est grand et le lac à deux pas. Presque un week-end normal pour ces deux s’urs, si ce n’est que la première a quitté Fort McMurray en pick-up quatre jours plus tôt, avec ses deux chiens et trois amis. « Dans l’urgence, je ne savais pas quoi prendre. J’ai attrapé les jouets des chiens’ » A Anzac, elle a pris son camping-car et rejoint Lac La Biche, pendant que sa s’ur montait d’Edmonton, son auto chargée de vêtements et victuailles. « J’adore camper. Je vais rester ici le temps qu’il faudra avant de rentrer à Fort Mc Murray, même si la vie n’y sera plus jamais la même », assure cette employée de la compagnie pétrolière et gazière Canadian Natural Resources. Elle essuie une larme : « Je connais des gens qui ont tout perdu. Je sais ce que c’est. J’ai déjà vu ma maison détruite par un incendie. J’en ai une autre ! Ce qui compte, ce ne sont pas les choses matérielles mais la famille, les amis, les voisins. Tout le monde est en vie, c’est le principal. »

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