Dame requin fait des bébés toute seule

Dame requin fait des bébés toute seule

Requin-zèbre. © Jean-Lou Justine.

DANS l’étude (publiée le 16 janvier par Scientific Reports) qui lui est consacrée, elle est appelée F1, pour « Femelle 1 », mais son vrai nom est Leonie. Leonie est un requin-zèbre. Capturée dans la nature, elle est arrivée en 1999 au Reef HQ Aquarium de Townsville, en Australie. Là, elle a été installée dans le même aquarium que M1 (« Mâle 1 ») mais leur cohabitation n’a alors pas donné de descendance, peut-être parce que Leonie n’avait pas encore atteint sa maturité sexuelle laquelle intervient à partir de l’âge de 7 ans chez ces poissons ovipares qui peuvent vivre plus de trente-cinq ans en captivité. Les deux individus ont ensuite été séparés avant d’être réunis de nouveau en 2006. Et, pendant l’été austral 2008-2009 (qui correspond à notre hiver), cinq petits requins sont nés, qui allaient être suivis d’une vingtaine d’autres au cours des années suivantes.

Jusque-là, c’est une histoire’ sans histoires. Cependant, en 2012, Leonie et son partenaire sont définitivement séparés. Quelque temps après, c’est une des filles de Leonie (F2) qui vient la rejoindre dans cet aquarium sans mâle. Au cours de la saison de reproduction 2014-2015, les deux femelles déposent des ufs qui ne donneront rien. Mais, l’année suivante, des ufs de Leonie naissent trois bébés requins tandis que sa fille obtient son premier petit.

Reproduction asexuée

Pour F2, ce n’est pas une surprise énorme. En effet, il a déjà été constaté que, chez certaines espèces de requins, les femelles vivant sans mâle en captivité étaient capables de parthénogenèse. Ce mot désigne une forme naturelle de reproduction asexuée au cours de laquelle les embryons se développent sans qu’il y ait eu fertilisation, à partir du seul matériel génétique de la mère. On la retrouve dans plusieurs familles du vivant (mais pas chez les mammifères). Il existe même des espèces de reptiles qui ne se reproduisent pas autrement.

En revanche, le cas de Leonie est plus étonnant. Selon l’équipe australienne qui signe cette étude, on n’avait jamais vu, dans le super-ordre des requins, une femelle passer d’une reproduction sexuée à une reproduction asexuée, qui plus est en un laps de temps assez court. Les chercheurs ont donc émis deux hypothèses : soit Leonie avait stocké des spermatozoïdes à la suite de ses accouplements avec M1 le record est de quarante-cinq mois de survie des spermatozoïdes chez les requins et de soixante-sept mois chez un vertébré, un crotale et avait puisé dans cette réserve, soit elle avait opté pour la parthénogenèse. Pour trancher entre ces deux scénarios, il a fallu analyser le génotype de sa dernière progéniture, afin de voir si ses gènes provenaient d’un seul ou de deux parents. Résultat : tous les allèles des derniers petits de Leonie lui appartenaient. Cette dame requin avait donc bien fait ses bébés toute seule.

Pour les auteurs de l’étude, cette découverte remet en cause l’idée selon laquelle, chez les espèces qui se reproduisent d’ordinaire de manière sexuée, la parthénogenèse apparaît comme une rareté, voire comme une « erreur », et en aucun cas comme une stratégie adaptative, en réponse à un changement dans l’environnement ici la disparition de tout partenaire sexuel. L’article rappelle que les requins sont apparus il y a très longtemps plus de 400 millions d’années et que, pendant leur longue histoire évolutive, ils sont plusieurs fois passés par ce que les biologistes nomment des « goulets d’étranglement », des périodes difficiles où les populations se sont effondrées. Selon les chercheurs, être capable de passer aisément d’une reproduction sexuée à la parthénogenèse, y compris au cours d’une même existence, serait un avantage évolutif, une sorte de « stratégie d’attente » : l’espèce continuerait ainsi de maintenir en vie un vivier de femelles dans des endroits isolés des mâles, jusqu’à ce que ceux-ci reviennent dans les parages. Reste néanmoins à élucider le mécanisme par lequel un même individu ayant toujours donné des ufs ne contenant qu’une seule copie de ses gènes se met à produire des ufs en contenant deux.

Pierre Barthélémy (suivez-moi ici sur Twitter ou bien là sur Facebook)

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