Pour les ouvriers Alstom de Belfort c’est un gros coup de massue 

Pour les ouvriers Alstom de Belfort  c'est un gros coup de massue 

Le Monde
| 08.09.2016 à 11h10
Mis à jour le
08.09.2016 à 11h19
|

Par Alexandre Bollengier (Belfort, correspondant)

Ce mercredi 7 septembre, Eric (qui a souhaité garder l’anonymat) a travaillé toute la matinée, mais avait demandé son après-midi. Requête accordée. C’est justement ce moment de la journée que la direction du site belfortain d’Alstom Transport appelé familièrement la « Traction » a choisi pour lâcher la glaçante nouvelle : la fabrication des trains et des locomotives à Belfort, c’est fini. Presque fini.

L’usine, qui emploie environ 500 personnes (contre 1 400 au début des années 1990), va fermer ses portes courant 2018. L’activité (ingénierie et production) devrait être progressivement transférée à Reichshoffen, en Alsace, où Alstom possède un site (un millier de salariés y fabriquent des trains régionaux). Dans la cité du Lion, il ne subsisterait plus qu’une activité de maintenance, bien moins prestigieuse et valorisante, et qui fonctionne actuellement avec une cinquantaine de personnes.

« Mercredi matin, dans mon secteur, tout était normal », assure Eric. Un jour a priori comme un autre, empreint d’une sorte de quiétude routinière. « Il n’y avait aucune rumeur. » Tout a démarré à 13 heures, lorsque le directeur, Alain Courau, et le responsable des ressources humaines ont convoqué les syndicats. L’un après l’autre et en commençant par la CGT.

Marché historique fin août

Puis ce fut au tour des salariés d’être rassemblés, à partir de 14 heures, dans une grande salle. Par groupes de 40 à 50 avec rotation toutes les trente minutes. Une forme de travail à la chaîne appliquée à un plan social. « Dès que l’info a été dévoilée, elle s’est répandue comme une traînée de poudre, rapporte Eric. La plupart des salariés savaient ce qu’on allait leur dire avant même d’entrer dans cette salle. »

« Ces derniers jours, on a tellement vanté nos mérites, notre savoir-faire dans les médias, poussé partout des cocoricos’ »

La fin de la « Traction », « c’est comme un gros coup de massue en plein visage, résume Pascal Novelin, secrétaire de la section CGT du site. C’est inadmissible de fermer une usine comme ça, du jour au lendemain. Ces derniers jours, on a tellement vanté nos mérites, notre savoir-faire dans les médias, poussé partout des cocoricos’ »

Fin août, Alstom a décroché aux Etats-Unis un marché historique de 2,45 milliards de dollars (2,2 milliards d’euros) pour moderniser la ligne à grande vitesse reliant Washington à Boston le long de la Côte est. A charge pour le constructeur ferroviaire de fournir les trains  fabriqués outre-Atlantique’ et d’assurer la maintenance.

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Avec l’annonce, fin août également, d’un partenariat noué avec la SNCF pour concevoir la prochaine génération de TGV, l’horizon belfortain semblait s’éclaircir. Mais un premier coup de semonce a été tiré, presque au même moment, avec la perte d’un contrat jugé vital pour le site au bénéfice de l’entreprise Vossloh, en Allemagne : la fabrication de 44 locomotives de man’uvre et de travaux pour 144 millions d’euros commandée par l’entreprise Akiem, détenue à parité par la SNCF et la Deutsche Bank.

« Tout foutait le camp »

« Qui, à présent, va fabriquer la nouvelle génération du train à grande vitesse ‘ interroge Pascal Novelin. La direction parle du site de Reichshoffen, mais c’est se moquer du monde. On ne fabrique pas un TGV comme on fabrique une poussette. C’est un fleuron de l’industrie française qui s’est amélioré, bonifié avec le temps depuis sa mise en service en 1981. Même si nos collègues alsaciens sont très bons dans leur domaine, ils n’ont pas les compétences ni l’expertise requises pour fabriquer le TGV. Cela ne s’apprend pas en quelques mois. C’est impossible. »

Depuis environ cinq ans, les carnets de commandes peinaient à se remplir. Malgré les messages rassurants de la direction, « on sentait qu’il n’y avait guère de volonté de faire tourner l’usine », enchaîne Eric, fataliste. Certes, Alstom décrochait ici et là des contrats, par exemple avec l’Azerbaïdjan et le Kazakhstan, « mais tous prévoyaient la fabrication des locomotives sur place, avec transfert de technologies. Autrement dit, tout foutait le camp là-bas ».

Technicien à Alstom Belfort depuis une trentaine d’années, il se doutait bien que l’avenir du site était compromis. « Je m’étais fait depuis longtemps à l’idée qu’il allait fermer un jour, mais je ne pensais pas que le couperet tomberait si vite. » La direction soutient qu’aucun salarié ne sera laissé sur le carreau, que ceux qui le souhaitent seront reclassés sur un autre site, « mais ce n’est pas à 55 ans passés, et à quelques années de la retraite, que je vais déménager à l’autre bout de la France [Alstom a aussi un site à La Rochelle, où quelque 1 400 salariés fabriquent TGV et tramways]. Qu’ils me mettent dehors et terminé ! »

Remisée aux archives

Avec la fin de la « Traction » qui a nourri des générations de Belfortains, ce n’est pas seulement une page qui se tourne, c’est toute une encyclopédie industrielle, en plusieurs volumes, qui est sur le point d’être remisée aux archives. La saga Alstom à Belfort a débuté en 1879 lorsque la Société alsacienne de construction mécanique (SACM) a ouvert un atelier, après la guerre de 1870 et l’annexion de l’Alsace-Lorraine par l’Empire allemand, afin d’honorer les commandes de ses clients français sans devoir s’acquitter de droits de douane.

Après la première locomotive à vapeur 100 % belfortaine en 1881, après la création d’un atelier de production pour les grosses machines en 1899, après la fusion de la SACM et de la compagnie française Thomson-Houston en 1928 (acte de naissance d’Alsthom avec un « h », supprimé en 1998), c’est avec le programme du TGV, mis au point entre 1966 et 1978, que l’établissement de Belfort a pris une tout autre dimension et forgé sa réputation.

Fin 2015, la branche énergie d’Alstom a été rachetée par l’américain General Electric. Pas la branche transport, qui, subitement, n’a plus été adossée à un grand groupe industriel doté d’une grande puissance de feu capitalistique. En 2004, l’Etat français avait volé au secours du groupe alors en bien fâcheuse posture. Avec succès.

« Votre activité a une importance stratégique pour la France et sera donc défendue », avait déclaré Emmanuel Macron, l’ancien ministre de l’économie, en mai 2015, lors de sa visite de l’usine belfortaine. Pour les salariés et leurs familles, ces paroles ont aujourd’hui un goût particulièrement amer. Les syndicats, qui devaient se réunir au cours de la matinée de jeudi 8 septembre, ont d’ores et déjà annoncé préparer la riposte.

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