Erdogan  déterminé  à poursuivre l’offensive turque en Syrie

Erdogan  déterminé  à poursuivre l'offensive turque en Syrie

Le Monde
| 29.08.2016 à 06h45
Mis à jour le
29.08.2016 à 10h27
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Par Allan Kaval (Gaziantep (Turquie), envoyé spécial)

Depuis le 24 août, la Turquie est engagée dans une intervention militaire sans précédent dans le nord de Syrie. Pourtant, c’est autant à l’intérieur de ses frontières que dans son environnement régional que se trouvent les ennemis désignés par le président Recep Tayyip Erdogan, dimanche 28 août, à Gaziantep (sud-est du pays).

Une semaine plus tôt, dans un faubourg populaire de cette grande ville proche de la frontière syrienne, cinquante-quatre personnes avaient perdu la vie lors d’une explosion visant une cérémonie de mariage kurde, un attentat initialement attribué à l’organisation Etat islamique (EI). Le chef d’Etat turc est venu leur rendre hommage sur la place de la Démocratie, au centre de la cité. Il y a répété le récit officiel des événements en cours, censé rendre intelligible à la foule rassemblée pour l’entendre un écheveau de crises qui l’est de moins en moins.

A Gaziantep, le président Erdogan a décrit une Turquie en lutte contre un ennemi unique et chimérique dont procéderaient à la fois les réseaux affiliés à l’imam Fethullah Gülen  accusés d’avoir fomenté le putsch manqué du 15 juillet , les agents en Turquie de EI, la guérilla du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en guerre contre l’Etat turc depuis 1984 et les émanations syriennes du mouvement kurde, c’est-à-dire le Parti de l’union démocratique (PYD) et son bras armé, les Unités de protection du peuple (YPG).

« Enlevez vos masques, nous savons que les visages qui sont derrière sont les mêmes », a lancé M. Erdogan, suggérant au cours de son discours la manipulation de ces « organisations terroristes » par des puissances étrangères jamais nommées mais accusées d »uvrer en secret à la division du pays.

Conflit vieux de trois décennies

C’est dans ce contexte que le chef d’Etat a abordé l’opération militaire « Bouclier de l’Euphrate » lancée dans le nord de la Syrie, mercredi, et la prise de la ville frontière de Djarabulus par les forces armées turques et plusieurs groupes armés syriens alliés d’Ankara. Cette intervention a permis, dans un premier temps, de repousser sans affrontement majeur les djihadistes de l’EI qui ont bénéficié par le passé d’une certaine passivité d’Ankara. L’offensive s’est cependant transformée en un conflit ouvert avec les forces kurdes syriennes des YPG et leurs alliés locaux arabes, positionnés plus au sud.

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Samedi, un soldat turc a été tué du fait de tirs de roquettes visant des chars déployés dans la zone. Dimanche, l’armée turque a déclaré avoir « neutralisé » vingt à vingt-cinq combattants des forces sous commandement kurde lors d’un raid aérien. D’après l’Observatoire syrien des droits de l’homme, les victimes de cette frappe seraient en réalité quarante civils syriens.

M. Erdogan l’a clairement indiqué à Gaziantep : « Nous n’accepterons aucune activité terroriste à ou près de nos frontières. » Au-delà de la lutte contre l’EI, l’intervention actuelle de la Turquie en Syrie apparaît désormais comme le prolongement du conflit armé qui oppose Ankara au PKK sur son propre territoire.

Décidé en juillet 2015, le retour aux armes du PKK en Turquie s’est traduit par une série de défaites dans plusieurs villes kurdes, un temps investies par le mouvement armé. Tandis que ses opérations en milieu urbain périclitaient, le PKK a commencé à se livrer à des actions de guérilla dans les maquis du pays kurde, assortie, fin juillet, d’une campagne d’attentats contre des cibles policières.

Le dernier en date, survenu vendredi, a causé la mort de onze policiers dans une explosion à Cizre, l’une des villes choisie par le PKK pour y mener sa campagne de guérilla urbaine en août 2015 et ravagée par les combats de rues qui y ont opposé ses partisans aux forces de sécurité turques jusqu’en février. La fusillade, qui a pris pour cible, jeudi, dans la province d’Artvin, le convoi de Kemal Kiliçdaroglu, président du Parti républicain du peuple (CHP), la principale formation politique d’opposition, a aussi été attribuée par Ankara à l’organisation armée kurde.

Si M. Erdogan a abondamment parlé de la Syrie à Gaziantep, il n’a jamais évoqué le régime de Bachar Al-Assad, confirmant l’infléchissement récent des positions d’Ankara à ce sujet. Le président turc n’a envisagé le terrain syrien qu’au travers des conséquences que les conflits multiples qui s’y trament ont pour la Turquie et, notamment, en ce qui concerne la question kurde. Mais, en Syrie, les forces kurdes et leurs alliés constituent jusqu’à présent les principaux partenaires au sol de la coalition internationale contre l’EI, conduite par les Etats-Unis.

« Prendre nos responsabilités »

Du point de vue de la Turquie, cependant, les YPG ne sont que le prolongement du PKK, engagé avec Ankara dans un conflit vieux de trois décennies et dont le degré de violence a atteint des niveaux sans précédent au cours de l’année écoulée. Le territoire gagné par le PYD et sa milice, limitrophe de la Turquie, n’a cessé de s’étendre à la faveur de la lutte qu’elle mène contre l’EI en Syrie.

En identifiant l’EI et le mouvement kurde à une menace terroriste unique, uvrant des deux côtés de la frontière turco-syrienne et vouée à être combattue « avec la même détermination » par Ankara, M. Erdogan dit sa volonté de peser de manière plus marquée sur les rapports de forces dans le nord de la Syrie et ce, en lien avec les tensions qui existent déjà dans son propre pays.

Il a notamment affirmé à Gaziantep que la poussée de l’armée turque et de ses alliés syriens dans le nord du pays pourrait ne pas se limiter à ses positions actuelles, évoquant à mot couvert la ville de Manbij, située à une trentaine de kilomètres au sud de Djarabulus. Ankara s’est toujours opposé à ce que les forces kurdes syriennes, qui en ont chassé l’EI le 12 août avec le soutien aérien massif de la coalition internationale, y prennent durablement pied. Dans la perspective kurde, Manbij est, en effet, est un jalon nécessaire à la constitution d’une zone de contrôle kurde continue le long de la frontière turque.

« C’est pour cela que nous sommes à Djarabulus. C’est pour cela que nous sommes à Bachika [dans le nord de l’Irak]. Si nécessaire, nous n’hésiterons pas à prendre nos responsabilités dans d’autres régions », a déclaré M. Erdogan, évoquant la lutte contre l’EI, mais aussi les opérations menées contre « l’organisation séparatiste [kurde du PKK] » dans la région.

Située à proximité de Mossoul, bastion de l’EI, mais éloignée du mont Sinjar où le PKK est implanté, la région de Bachika abrite une base militaire turque depuis décembre 2015. A Gaziantep, ville turque travaillée de longue date par les soubresauts du conflit syrien, M. Erdogan semble avoir pris acte de la porosité de son pays au chaos qui l’environne.

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