Trump l’épouvantail des républicains de Californie

Trump l'épouvantail des républicains de Californie

Douglas Drummond: « Of course, Trump will win »

A la convention républicaine de Californie, on croirait que Ted Cruz est le grand favori du parti. Dans les allées, on ne voit que les affiches rouge-blanc-bleu du sénateur du Texas qui prônent « Emploi, liberté, sécurité ».

Tout est flambant neuf : les candidats commencent seulement à se mettre en place pour les primaires du 7 juin. D’habitude, à ce stade du processus de désignation partisane pour l’élection présidentielle de novembre, les jeux sont faits. L’élu est sorti du chapeau des militants des autres Etats.

Cette année est différente. Il faudra attendre le vote de la Californie pour savoir si Donald Trump passe ou non le cap des 1 237 délégués nécessaires pour s’assurer nomination à la Convention de Cleveland (Ohio) organisée en juillet.

Des centaines de  journalistes se bousculent dans les couloirs du Hyatt Regency, de Burlingame, près de l’aéroport de San Francisco, où s’est tenue l’assemblée jusqu’au 1er mai. Du jamais vu depuis la victoire du très conservateur Barry Goldwater en 1964, qui, sur sa lancée californienne, a remporté l’investiture à la convention nationale quelques semaines plus tard.

A la poursuite des manifestants

Le déploiement des affiches de Ted Cruz n’impressionne pas Douglas Drummond, positionné dans la file d’attente, vendredi 30 avril, pour écouter Donald Trump. « Autant acheter du papier toilettes ! Cruz n’a pas le nombre de délégués. Il ne peut pas gagner. Tout cela est une vaste plaisanterie. »

Ce promoteur immobilier qui réside en Californie du sud aime avant tout que le milliardaire ne lui demande pas d’argent. Il apprécie également son langage qui cogne. « Pour se faire entendre, il faut parfois lâcher quelques lâcher quelques jurons. »En 2012, il a voté Mitt Romney. « Une erreur monumentale ». Maintenant, il se fait une joie de secouer le cocotier républicain. Les Glenn Beck, Bill O’Reilly, tous les cadors qui mènent la danse depuis des années au GOP, c’est fini. Vive « Trump-le-grand-déstabilisateur ». Peu importe les approximations idéologiques du magnat de l’immobilier. « Il pourrait venir de Pluton, je voterais quand même pour lui ».

Cheryl Tapp: « I’m so tired of all politicians »

Cheryl Tapp, 62 ans, a, elle aussi, trouvé son homme. Enregistrée comme « indépendante », elle a voté Clinton (en 1992), Bush (en 2000) et Obama (en 2008). Des choix qu’elle « regrette ».

Du premier, elle retient toutefois un point positif : la loi de 1993 qui a autorisé le congé (sans solde) pour raisons familiales. Mais elle n’a pas supporté ses  infidélités.

« Au moins, Trump ne boit pas, ne fume pas, et il a de bonnes manières. » Et il « n’en veut pas à notre porte-monnaie ».

« Il a tout ce qu’il veut. S’il fait tout ça, c’est pour les gens du peuple. Il avait cette émission The Apprentice ; il créait des jobs pour tout le monde… J’en ai tellement assez de tous ces hommes politiques. »

Cheryl est hôtesse de l’air dans une compagnie low cost. Elle en veut à l’Amérique post 11-Septembre.

« Après les attentats, quand les compagnies aériennes étaient au bord de la faillite, j’ai failli être licenciée. Personne ne m’a aidée ».

Le message anti-immigrants de Trump la touche au c’ur. « J’étais sur la paille. Et je voyais tous ces clandestins qui ont des maisons. J’en ai tellement assez qu’on prenne soin de ces gens. Je veux voir tous ces illégaux hors d’ici. »

La première chose qu’elle attend du milliardaire s’il devient président  Le mur, à la frontière mexicaine. « Faites-le, et aussi haut que possible ! »

Eric Corgas, 23 ans: « We’re going to stop Trump »

Dans l’hôtel Hyatt Regency, les policiers en tenue anti-émeute courent d’une entrée à l’autre pour repousser les tentatives d’intrusion des manifestants hostiles à l’homme d’affaires. Ceux-ci ne sont pas très nombreux mais ils sont agiles. Au point que l’intéressé a été contraint d’entrer et sortir par la porte de derrière.

« Trump c’est la voix de la colère, reproche Eric Corgas, 23 ans et partisan de Ted Cruz. Il se prétend outisder, mais il est la personnification du système. On n’a pas besoin d’un type qui se flatte de savoir négocier. On a besoin de retourner aux idées. »

Le militant déteste les revirements idéologiques de l’homme d’affaires. « Il a toujours été démocrate. Il a soutenu financièrement les Clinton. Et un matin, il s’est réveillé en prétendant être républicain ! »

Eric ne votera pas pour le milliardaire s’il est le candidat du parti. Et il n’est pas loin de croire que ce dernier est en fait un sous-marin démocrate en mission de destruction du GOP…

Cheryl Westberg: «  »The way the country is going towards socialism… I want someone to bring it back »

De son côté, Ted Cruz compte sur les fermiers de la Vallée centrale. Comme Cheryl Westberg, une ancienne cadre commerciale de la Silicon Valley. Il y a vingt ans, elle a quitté le monde de l’entreprise pour cultiver les amandes et élever ses enfants à Oakdale, à 180 km à l’est de San Francisco.

Cette « traditionnaliste » est favorable à un gouvernement minimum qui place l’individu au centre de l’économie. Elle n’a pas très envie de voter pour Donald Trump s’il devient le candidat du parti. « Il a été démocrate, républicain. Il y a toujours ce doute qu’il peut pencher d’un côté ou d’un autre. Alors que Cruz a un axe central : la défense de la Constitution ».

Pour l’instant, les sondages donnent l’avantage à Donald Trump, mais le système de désignation des 172 délégués californiens est compliqué (3 délégués pour chacune des 53  circonscription, 10 « volants » attribués au vainqueur de l’Etat et 3 désignés par le parti). Et dans chaque circonscription, c’est la règle du winner-take-all qui s’applique. Or le découpage des circonscriptions ne tient pas en compte le nombre de républicains, mais la population dans son ensemble.

Exemple : il faut 8 000 voix d’avance pour être déclaré vainqueur à Oakland où sont concentrés les Latinos , mais 80 000 dans le comté d’Orange, dans la banlieue de Los Angeles, bastion de la classe moyenne blanche.

Selon le San Francisco Chronicle, les Latinos des circonscriptions urbaines auront six fois plus de poids dans la primaire républicaine que les Blancs des « suburbs ». Paradoxalement, le sort de Donald Trump pourrait être décidé par une poignée de Latinos…

Autodestruction

Le parti républicain de Californie a déjà eu beaucoup à pâtir de ses positions radicales sur l’immigration. A l’époque de Ronald Reagan qui, élu président a régularisé les clandestins en 1986 il était tout puissant. Aujourd’hui, il ne représente plus que 28 % des électeurs inscrits. Les deux chambres sont à majorité démocrate. Depuis la réélection d’Arnold Schwarzenegger en 2006, aucun républicain n’a gagné un siège qui nécessite le vote de l’ensemble des électeurs de l’Etat (gouverneur, attorney general etc..)

Le déclin a commencé après 1994, quand le parti a soutenu un ensemble de mesures anti-immigrants, notamment la « proposition 187 » qui refusait les services publics aux clandestins (et l’école à 300 000 enfants sans papiers). Les publicités pour la proposition, soumise à référendum populaire, jouaient sur la peur de l’invasion : « They keep coming » (« Ils continuent à arriver »). En novembre 1994, la proposition 187 a été adoptée à une large majorité (59 %). Son application a été bloquée par la justice mais dans les dix années suivantes, plus d’un million de Latinos se sont inscrits sur les listes électorales et les démocrates ont gagné la haute main sur l’Etat.

Ron Unz: « Trump will probably lose in november »

Pour les républicains de l’Etat, l’irruption de Donald Trump tombe particulièrement mal. Le parti était engagé dans une laborieuse tentative pour regagner le terrain perdu auprès des Latinos, qui représentent 38 % de la population (soit autant que les habitants d’ascendance européenne).

Certains craignent que le repositionnement idéologique soit compromis. Et au-delà, que l’exemple de Californie préfigure le sort qui attend le parti au niveau national s’il choisit l’homme d’affaires.

« Tous ses non sens sur l’immigration, ce n’est pas bon. Quand on bâtit sa campagne sur les attaques anti-immigrants, ils ne risquent pas de voter pour vous, souligne Ron Unz, 54 ans, candidat au sénat fédéral. C’est ça qui a détruit le parti républicain de Californie ».

Ce physicien devenu créateur d’entreprise de logiciel financier dans la Silicon Valley était à l’époque l’un des leaders de l’opposition au projet anti-immigrants. Aux primaires, il pense cependant soutenir Donald Trump. La raison : le milliardaire attaque l’establishment « qui a voté pour la guerre en Irak ». Mais en novembre, il écrira sur son bulletin le nom d’un autr. Le libertarien « Ron Paul par exemple ». Pour lui, l’homme d’affaires « va probablement perdre ».

Le cauchemar Barry Goldwater

L’histoire se répétera-t-elle En 1964, les primaires de Californie avaient scellé la désignation de Barry Goldwater à l’investiture républicaine lors d’une convention houleuse à San Francisco. Le 3 novembre suivant, ce dernier avait été laminé à l’élection présidentielle : son adversaire Lyndon Johnson l’avait emporté avec 61 % des voix (et 44 Etats sur 50), dépassant le record établi par Franklin Roosevelt. Le raz-de-marée anti-conservateur avait donné aux démocrates leur plus large majorité à la Chambre des représentants depuis 1936.

Ce scénario donne des cauchemars à l’establishment du GOP. Non seulement Trump pourrait perdre la Maison Blanche, mais il pourrait déclencher une vague d’hostilité (ou d’abstentionnisme chez ses électeurs) qui coûterait au parti conservateur sa majorité au Sénat voire à la Chambre des représentants. « Ce que va devenir le parti républicain, c’est la question que tout le monde se pose, soupire Cheryl Westberg. Personne ne sait comment on va sortir de tout ça à l’été ».

Signaler ce contenu comme inapproprié

Leave A Reply