Tout comprendre sur les paradis fiscaux cancer de l’économie mondiale en quatre points
1. À quoi servent les paradis fiscaux
D’un point de vue stricto sensu, un paradis fiscal est un endroit où on paye peu ou pas d’impôt. Ainsi, la France peut être considérée comme un paradis fiscal pour les investissements qataris en matière de plus-value immobilière, par exemple. Mais comme le rappelle l’éditorialiste à Alternatives Économiques Christian Chavagneux, «
le paradis fiscal est d’abord un territoire qui permet de découpler l’endroit où se réalise une transaction économique (salaire, héritage, profit’) de l’endroit où cette transaction va être enregistrée et donc contrôlée et taxée
».
Pour Éric Vernier, chercheur à l’IRIS (Institut de recherches internationales et stratégiques), auteur de Fraude fiscale et paradis fiscaux (Ed. Dunod), «
le problème se pose quand on a conjonction de paradis fiscal, bancaire et judiciaire. C’est-à-dire peu ou pas d’impôts, opacité bancaire et laxisme juridique
».
Là, on commence à comprendre à quoi servent les paradis fiscaux.
Pour Christian Chavagneux, «
on met souvent en avant la dissimulation d’argent sale (drogue, trafics d’armes, prostitution, corruption). Mais la première raison c’est d’échapper aux impôts, que l’on soit particulier ou entreprise.
L’OCDE estime qu’un quart de l’impôt sur les sociétés échappe au fisc. Une autre activité liée aux paradis fiscaux, c’est la prise de risque financière de manière opaque pour les établissements financiers. » En 2008, les fonds spéculatifs placés aux Îles Caïman par la banque américaine Bear Stearns étaient plus importants que son capital, entraînant sa faillite.
Pour Éric Vernier, notre économie mondialisée et libéralisée ne voit pas toujours d’un mauvais il les paradis fiscaux : «
Une entreprise qui paye moins d’impôt est plus riche, donc plus compétitive.
» De là à cacher ses profits’
2. Peut-on récupérer l’argent
En 2015, la lutte contre la fraude fiscale a permis à l’État français de récupérer 12 milliards d’euros. Selon Lucie Watrinet, du CCFD Terre Solidaire qui vient de sortir un rapport sur l’évasion fiscale, les 80 milliards d’euros que coûte chaque année à l’État la fraude pourrait être récupérés dans les cinq ans : «
Mais il faudrait des mesures vraiment ambitieuses ! Actuellement, avec l’optimisation, il y a trop de zones grises. Il faut changer la loi sur l’activité réelle dans les territoires et ne plus rendre possible la création de sociétés écrans qui ne servent clairement qu’à faciliter l’évasion fiscale. Sur ce sujet, j’espère que leur disparition sera à l’agenda de la loi Sapin. »
Pour cette experte des paradis fiscaux, la solution est aussi ailleurs : «
Je suis un peu agacée par la réaction de François Hollande qui manque de retenue dans sa joie. On parle quand même de défaillances de l’administration fiscale !
»
Selon Lucie Watrinet, «
récupérer l’argent ne suffit pas, il faut engager des poursuites pénales. Nous venons d’apprendre que la Société Générale fait partie du Top 5 des banques qui ont fait le plus appel au cabinet d’avocats de Mossack Fonseca, il faut utiliser ces éléments.
À chaque fois, on oublie les banques trop vite pour se concentrer sur des noms plus sexy comme Michel Platini. Il faut absolument réglementer aussi leurs activités et celles des avocats.
»
Pour Éric Bocquet, sénateur nordiste PC qui prépare un livre sur l’évasion fiscale, il faudrait aussi simplement donner plus de moyens à l’administration fiscale : «
Il faudrait les laisser aller enquêter sur place, leur donner les moyens humains et techniques de faire leur travail.
»
4. Quel est le coût économique et social de l’évasion fiscale
D’un strict point de vue financier, on estime la perte de recettes fiscales en France liées à l’évasion fiscale entre 60 et 80 milliards d’euros, 100 milliards si l’on rajoute la fraude aux cotisations sociales. Soit 15 à 20 % des recettes fiscales du pays en perte sèche du fait de la fraude. On imagine le nombre de routes, d’écoles, d’hôpitaux qui pourraient être aménagés avec cet argent’
Au niveau mondial, impossible de trouver un chiffre fiable, l’estimation des fonds placés dans les paradis fiscaux évoluant entre 15 000 et 25 000 milliards de dollars (22 000 milliards d’euros).
«
Quelle que soit la somme, c’est gigantesque
», constate Éric Vernier, chercheur à l’Institut de recherches internationales et stratégiques. «
Ce système est inutile, délétère et dangereux. Quand on regarde tel président d’un pays d’Afrique qui spolie son peuple, qui détourne des sommes énormes, c’est autant d’argent qui va empêcher le développement économique et humain du pays. D’un point de vue économique, les paradis fiscaux attirent le business et les richesses vers des territoires artificiels, déstabilisant l’équilibre économique mondial
».
Pour l’éditorialiste à Alternatives Économiques Christian Chavagneux, «
les paradis fiscaux fonctionnent essentiellement au profit d’une petite élite mondialisée, même si l’on constate une forme de démocratisation de l’exil fiscal. Dans tous les cas, cela renforce les inégalités, remet en cause le consentement à l’impôt et donc fragilise la démocratie.
»
3. Le système est-il assez dissuasif
Pour Lucie Watrinet, la réponse est clairement non : «
Il n’y a pas assez de procédures pénales engagées ! Il faudrait traiter ces affaires comme des délits à grande échelle. Le problème est que les gens ont encore du mal à se rendre compte que les victimes c’est vous, moi, les services publics, la société tout entière !
»
Tout comme Éric Bocquet, cette coordinatrice de la plate-forme « Paradis fiscaux et judiciaires » estime que le fameux « verrou de Bercy » est un premier frein
: «
On ne peut pas engager de procédure si Bercy ne donne pas le feu vert. Or l’État préfère récupérer de l’argent avec une amende et un redressement fiscal qu’aller au procès.
»
Exemple : la liste des clients HSBC produite par Hervé Falciani qui étaient coupables d’évasion fiscale. «
On leur a proposé de transiger avec eux s’ils se dénonçaient. Comme ils savaient que la liste était connue, ils l’ont fait. Il n’y a pas eu de procédure…
»
Ceci posé, Lucie Watrinet estime que des avancées existent
: «
Il y a eu la loi sur la transparence de 2013, la mobilisation de l’OCDE (1)
et celle des politiques. Avant 2012, c’était un non-sujet. Aujourd’hui, nous avons des députés qui connaissent bien la question. Et l’opinion publique s’est emparée du sujet ! Qui aurait pu imaginer que la fraude fiscale pourrait passionner les gens pendant une semaine et les faire réagir à ce point Cela va, forcément, faire pression sur les politiques et contrebalancer les connivences encore trop nombreuses avec le monde de la finance.
»
(1) L’échange informatique d’informations fiscales entre 127 pays de l’OCDE sera mis en place en 2017.
Dans le cadre de son plan de lutte contre l’évasion fiscale décidé après le LuxLeaks, en novembre 2014, la Commission européenne a dressé une liste « noire » de trente paradis fiscaux. Elle a compilé les listes des pays considérés comme les moins vertueux par chaque pays de l’Union. La France ne retenait ainsi que six pays : le Bostwana, le Brunei, le Guatemala, les îles Marshall, l’île de Nauru, l’île de Niue. Auxquels elle vient d’ajouter Panama.
Glossaire
Paradis fiscaux. Il s’agit de pays ou de territoires disposant d’une fiscalité avantageuse, notamment pour les sociétés étrangères qui s’y enregistrent. Il n’existe pas de définition officielle de ce que sont ces « paradis », et donc pas de de liste qui fasse l’unanimité. Mais tous ont en commun l’opacité, cultivée à dessein pour protéger les titulaires des comptes des éventuelles poursuites dans leur pays d’origine.
Évasion fiscale. L’évasion fiscale résulte d’une action illégale et délibérée pour ne pas payer ou payer moins d’impôt. Elle ne doit pas être confondue avec l’« optimisation fiscale », qui consiste à utiliser les instruments juridiques existants de façon licite (à défaut d’être toujours morale), pour réduire sa facture fiscale.
Société offshore. C’est une société enregistrée à l’étranger qui n’exerce aucune activité dans le pays où elle est domiciliée, mais qui peut bénéficier des avantages fiscaux du pays en question. Certaines d’entre elles sont des sociétés-écrans, qui dissimulent l’identité de leurs propriétaires.