Justice régionale , un budget ric-rac qui impose des choix
«
Je connais même un tribunal où on n’imprime plus les jugements parce qu’il n’y a plus d’argent pour acheter des ramettes de papier.
» Jean-Michel Urvoas, le ministre de la Justice, dans un entretien donné au Journal du dimanche du 3 avril, a mis les pieds dans le plat, décrivant une justice «
sinistrée
» au plan matériel. Le garde des Sceaux n’a pas découvert cette réalité en acceptant cette charge, mais là il signifie qu’une limite est atteinte.
À Douai, le bon fonctionnement de la justice est-il pendu à l’arrivée des crédits nécessaires pour acheter des feuilles de papier au format A4 «
Non
», rassure Philippe Dupriez, le directeur délégué à l’administration interrégionale judiciaire, située à Douai, qui s’occupe de ces problèmes de logistique pour tous les tribunaux dépendant de la cour d’appel de Douai, soit dix tribunaux de grande instance, dix-sept tribunaux d’instance, sept conseils de prud’hommes et six tribunaux de commerce, et bien sûr la cour d’appel, tous situés dans le Nord et le Pas-de-Calais. Mais «
l’exemple donné par le garde des Sceaux est certainement un choix de la juridiction en question. Ici, dans le ressort de la cour d’appel, on privilégie les fournitures de bureau et l’accueil du justiciable pour rendre un produit fini
: un jugement avec le tampon dessus.
»
« On ne peut plus assurer l’entretien des bâtiments,
au-delà de l’urgence »
Ce qui ne veut pas dire que Douai fait exception. Le budget est tellement ric-rac que ce qui est pris pour payer les fournitures de bureau se fait au détriment d’autres besoins, énumérés au long d’une liste que l’on n’attendait pas si longue : «
On a décidé de ne pas payer certains de nos partenaires, comme La Poste. On n’arrive plus à payer les fluides, l’électricité, le gaz, le téléphone, les sociétés de nettoyage, de gardiennage privé, les baux locatifs, sinon avec des mois de retard, en fonction des urgences, des sollicitations les plus appuyées. Nous avons également de grosses difficultés à payer nos experts. On met en difficulté certains d’entre eux qui ont fait de leur mission d’expert auprès de la justice leur métier. On le voit à Calais notamment, où avec le problème des migrants, nous avons de gros besoins en interprétariat pour des langues comme le pachtoune, le syrien, des dialectes syriens, etc. On ne peut pas non plus assurer l’entretien des bâtiments au-delà des dépannages d’urgence. Mais les travaux qu’on diffère, on devra bien les réaliser à un moment ou à un autre.
»
Comment cela se vit-il de donner l’image d’une justice, à qui la notion de rigueur est attachée, qui paie quand elle peut voire pas du tout «
Avec mes dix collaborateurs, cela nous met dans des situations qui ne sont pas confortables. Jusqu’en 2012-2013, on arrivait encore à équilibrer nos budgets. Mais maintenant, on ne gère plus des enveloppes budgétaires mais des dettes budgétaires. Je fais ce métier depuis 2001 et jamais je n’aurais imaginé ne pas payer nos dettes. On en est réduit à faire, comme on dit, de la cavalerie budgétaire.
»
Le tableau est si sombre que M. Dupriez pense nécessaire de préciser que les salaires des fonctionnaires et des juges sont payés, comme l’aide juridictionnelle est bien versée aux avocats. Ouf !
L’aide juridictionnelle, cette «misère»
Pour Me Bruno Bufquin, bâtonnier du barreau de Douai, c’est le montant de l’aide juridictionnelle qui pose problème. Ce système permet aux personnes qui n’ont pas les moyens de s’offrir les services d’un avocat de le faire via cette aide, payée par le ministère de la Justice. «
Son montant est de 28 pour une unité de valeur. Un dossier rémunéré par l’aide juridictionnelle, c’est entre deux et trente unités de valeur. Or, un rapport a établi que la juste rémunération de cette aide devrait s’élever à 48 l’unité de valeur pour qu’un cabinet d’avocat soit viable économiquement. Dans notre région, l’aide juridictionnelle, c’est 60 % des dossiers. On a ouvert de plus en plus la possibilité de profiter de cette aide, mais en la payant des clopinettes, mettant des avocats en difficulté.
»
Les problèmes de logistique des tribunaux douaisiens concernent-ils les avocats «
On a de la chance, on n’a pas de problème de photocopieurs en manque de papier. Au niveau des effectifs des magistrats, un vrai problème il y a quelques années, la situation a bien évolué. C’est au greffe qu’ils ne sont pas assez nombreux. C’est pour cette raison qu’en ce moment, au tribunal correctionnel, ils sont en train de rédiger les jugements du mois de novembre.
»