YagaBurundi ces blogueurs qui veulent réconcilier leur pays

YagaBurundi ces blogueurs qui veulent réconcilier leur pays
Une femme pleure les membres de sa famille tués en juillet 2015 à Bujumbura par la police lors des manifestations pour protester contre la candidature du président Pierre Nkurunziza à un troisième mandat.
Crédits : MARCO LONGARI/AFP

En kirundi, la langue officielle du Burundi, yaga signifie « raconter ». Il y a un an, c’est la mission que s’est donnée un collectif de blogueurs : faire le récit d’un pays dans la tourmente.

En avril 2015, des manifestations éclatent au Burundi pour demander le respect de la Constitution qui limite l’exercice du pouvoir à deux mandats présidentiels. Pierre Nkurunziza, président depuis dix ans, s’apprête alors à se représenter pour la troisième fois à l’élection du 26 juin. Alors que des milliers de jeunes sortent dans la rue, Alain, Dacia et Armel, les fondateurs du site YagaBurundi.com s’arment de leur clavier et commencent à chroniquer le quotidien de Bujumbura, la capitale de ce petit pays de l’Afrique des Grands-Lacs.

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Alain, longiligne et souvent coiffé d’un chapeau, est diplômé de l’Université de droit. Poète et slameur à ses heures, il accompagne Armel, journaliste depuis plusieurs années, passionné d’histoire et rédacteur en chef d’un hebdomadaire burundais, pour couvrir les mobilisations. Dacia, elle, est journaliste pour le quotidien Iwacu (dont Le Monde Afrique est partenaire) et rédige des billets à tour de bras.

#JesuisArusha

« On a commencé Yaga à cette période et on a lancé la campagne #JesuisArusha sur les réseaux sociaux. On appelait à respecter les accords signés en Tanzanie en 2000, socle de notre nouvelle Constitution adoptée en 2005 », raconte Armel.

Lorsque, le 25 avril 2015, le parti au pouvoir CNDD-FDD annonce officiellement la candidature de Pierre Nkrunziza pour un troisième mandat, la situation s’envenime. Dès le lendemain les manifestations dégénèrent. La police tire sur les civils. Népomucène Komezamaharo, un garçon de 15 ans, né la même année que la signature des accords d’Arusha est l’une des premières victimes : tué d’une balle dans le front.

Mais le basculement a lieu le 13 mai 2015, date à laquelle le président Nkunrunziza, en déplacement pour un sommet régional en Tanzanie, encaisse un coup d’Etat. Il parvient à revenir en scène. La répression monte encore d’un cran. Les médias du pays sont mis à sac, le bilan humain s’alourdit. Les tensions cristallisent entre les partisans de Nkuruniza et ceux du changement, « dans un conflit qui est avant tout politique et non ethnique », insiste Alain.

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« La situation que connaît le Burundi aujourd’hui découle en partie d’un ras-le-bol chez les jeunes, d’une frustration liée à l’absence de perspective et d’emploi. Il n’a fallu qu’une étincelle pour que ressorte toute la frustration accumulée », analyse-t-il.

Des quartiers entiers sont classés « contestataires » par un régime qui y envoie ses « imbonerakures », les membres de la ligue des jeunes du CNDD-FDD, effectuer la sale besogne. Des charniers sont découverts et témoignent d’exécutions sommaires tandis que des centaines de personnes disparaissent. Peu à peu, une frange de cette jeunesse contestataire s’arme, elle aussi. Grenades et attaques ciblées tuent des deux côtés tandis qu’en politique l’opposition, contrainte à l’exil, peine à parler à l’unisson et à trouver un écho sur le terrain.

Pluralité d’opinions et dialogue

C’est dans ce contexte que les blogueurs prennent peu à peu le relais pour couvrir l’actualité. « Grâce à nos blogueurs et aux réseaux sociaux comme WhatsApp ou Twitter, on arrivait à accéder à beaucoup de choses, à avoir des informations dans des quartiers qui n’étaient plus accessibles, raconte Dacia. On pouvait aussi communiquer et vérifier nos informations. Mais rapidement la situation est devenue vraiment trop risquée pour continuer. »

Les trois blogueurs quittent alors le Burundi pour se réfugier à Kampala, en Ouganda. Trois mois d’exil durant lesquels ils cherchent une solution pour rentrer et continuer de faire vivre YagaBurundi. Comme eux, 230 000 Burundais sont contraints de se réfugier dans les pays voisins (Tanzanie, Rwanda, Ouganda et République démocratique du Congo).

La crise au Burundi en 40 dates
Des barricades de pierres posées par des manifestants à Nyakabiga, dans la banlieue de Bujumbura, juillet 2015.
Crédits : CARL DE SOUZA / AFP

Depuis avril 2015, une crise sanglante secoue le Burundi : 500 morts, 4 000 arrestations, des dizaines de disparus et 220 000 personnes réfugiées dans les pays voisins. Pour expliquer le contexte et les dynamiques de cette crise, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) s’associe avec Le Monde Afrique et publie une chronologie interactive des principaux événements qui ont marqué le pays, de la guerre civile de 1993 à aujourd’hui. Cette chronologie sera régulièrement mise à jour.

« On a fait le choix de rentrer à Bujumbura, poursuit Dacia. Pour ouvrir Yaga à tous les jeunes Burundais, même aux jeunes proches du pouvoir afin d’avoir une pluralité d’opinions et pour essayer de renouer le dialogue. » Le but : créer une plate-forme sur laquelle la jeunesse puisse s’exprimer. « Peu importent tes opinions, la règle c’est : développe tes idées sans tomber dans l’insulte et l’appel à la haine », ajoute-t-elle.

Aujourd’hui, l’équipe s’est constitué un réseau de 70 blogueurs, répartis dans plusieurs régions du pays et au sein de la diaspora. Alain, Dacia et Armel s’occupent de l’édition et de la vérification des informations. Si Yaga revendique le blogging et la prise de position dans ses publications, la plate-forme a gagné sa notoriété en s’imposant une rigueur journalistique. « On a toujours pris le temps de vérifier nos informations et les images qui nous ont été envoyées par les blogueurs. Nous n’avons jamais laissé de place à la rumeur », affirme Armel.

Aujourd’hui, environ 11 % de la population du Burundi aurait déjà consulté les publications de YagaBurundi. « C’est en se parlant qu’on résoudra les problèmes au Burundi, notre jeunesse dans sa pluralité mérite mieux que la violence », concluent ensemble les trois blogueurs.

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