Virée sur les toits de Paris avec les acrobates urbains du parkour

Virée sur les toits de Paris avec les acrobates urbains du parkour

Dans les rues, dans les parcs ou sur les toits, ils sont de plus en plus nombreux à défier les lois de la gravité. L’ancien champion du monde, Yoann Leroux, alias Zéphyr, sert du guide.

La nuit tombe sur Paris. La tour Eiffel profite des dernières lueurs du jour avant d’enfiler sa robe de soirée. Les ­petites silhouettes qui animent la ville, elles, continuent de se promener dans la capitale. Un ballet que Yoann Leroux contemple depuis les premières loges, perché sur les toits parisiens.

Ce grand brun tatoué, qui passe la plupart de son temps au-dessus de l’agitation urbaine, profite de ces moments privilégiés devenus presque quotidiens. Mais c’est autre chose qui le pousse sur les hauteurs parisiennes : la performance. Sans assurance ni sécurité, il escalade balcons, lampadaires et cages d’escalier pour rejoindre les plus beaux panoramas de la capitale. Là-haut, un immense terrain de jeu se dévoile au trentenaire spécialiste du parkour et du free running. Ces deux disciplines s’articulent autour de la même base : l’art du déplacement.

Capacités physiques et d’endurance

Créé au début des années 1990 par le Français David Belle, le parkour repose sur un principe simple : relier un point A à un point B le plus vite possible. Les pratiquants, appelés traceurs, utilisent uniquement leurs capacités corporelles pour se déplacer. Courir, sauter, grimper, ­ramper, rouler, se suspendre, tous les moyens sont bons pour arriver à destination avec grâce et fluidité. Quelques ­années plus tard, le free running est ­apparu. Les deux termes ont mis du temps à trouver leur place mais, aujourd’hui, le vocabulaire semble posé. « Le parkour, c’est la méthode, explique Yoann Leroux. L’entraînement, l’efficacité physique pure, la performance. Le free running, c’est le côté freestyle de la discipline. On fait des figures, des gros sauts, on utilise des barres. » Les pratiques finissent par se mêler : « C’est un sport très personnel. Tu peux en faire ce que tu veux en mélangeant les styles, en inventant des figures. »

Lire aussi :
 

Le Parkour 59 trace sa route à Roubaix

Pour arriver au stade de la création, les free runners développent leurs capacités physiques et d’endurance. Entre la gymnastique, le breakdance, l’acrobatie et les arts martiaux, le parkour nécessite de nombreuses heures d’entraînement. Plus qu’un sport, il devient un style de vie et même un gagne-pain pour les meilleurs, comme Yoann Leroux qui enchaîne, entre autres, représentations et spots publicitaires.

Se promener dans les rues de Paris avec lui, c’est porter un regard différent sur le monde. Chaque obstacle devient prétexte à une figure, chaque mobilier urbain ­invite à la galipette. Sous les regards amusés des touristes, celui que l’on surnomme Zéphyr  « vent d’ouest » en grec ‘ compose avec tout ce qu’il croise. Le sol n’est plus le seul moyen de se déplacer. Murs, murets, rebords de fenêtres et échafaudages rendent le trajet ludique.

Si Paris est un terrain de jeu infini pour ces grands enfants, certains lieux restent incontournables. Dans le 13e arrondissement, des traceurs s’entraînent ici et là. Les non-initiés les distinguent à peine, ­Zéphyr les reconnaît de loin. Joggings larges et baskets, la communauté a ses codes. « Le pantalon large, ce n’est pas seulement pour le style. A l’image du ruban des gymnastes, il donne une esthétique, une fluidité aux mouvements. » Les free runners se saluent, échangent quelques mots et « bougent » ensemble avant de reprendre leurs chemins. Les murs noircis par les gommes des chaussures portent les stigmates des journées d’entraînement.

Communiquer plutot que se braquer

Depuis quelques années, la discipline se popularise. « Sur YouTube on est passé ­devant le skate et le roller », se réjouit ­Yoann Leroux. Sur certains sites d’entraînement, comme à la Défense, « il faut parfois faire la queue pour sauter ». Même la passerelle Simone-de-Beauvoir, son terrain de jeu favori, a changé. « Dès son inauguration en 2006, j’ai fait de ce pont mon spot d’entraînement. J’ai passé des journées et des nuits entières, seul, à me pendre et à sauter de barre en barre. Un jour, je me suis loupé, je suis tombé dans la Seine. » Aujourd’hui, le pont est un repaire pour les traceurs. « Il y a des tags partout. Certains y ont même inscrit mon nom. Pour moi ce n’est pas l’esprit du parkour. Quand je vois ça, je me sens étouffé. J’ai perdu cette liberté que j’avais en venant ici. »

A l’autre bout du pont, Loïc et Corentin, 16 ans, évaluent la distance qu’il faut pour sauter d’une barre à l’autre. Elles sont étroites, s’ils se loupent ils doivent pouvoir se rattraper pour ne pas chuter dans la Seine. Habitués du parkour, ils ont fait plus d’une heure de train pour défier ce spot. Un homme les interpelle : « Vous ne pouvez pas aller jouer ailleurs ‘ » Zéphyr assiste à la scène. Il explique au quadragénaire que les jeunes ont conscience de ce qu’ils font, que c’est un sport avec ses bases, ses codes et ses règles. L’homme s’éloigne, semblant ne pas approuver la prise de risque. « Les gens ont du mal à comprendre que nous ne sommes pas des têtes brûlées, confie Zéphyr. Ils ignorent ce qu’il y a derrière une action. Ce sont des jours, des mois d’entraînement avant de réaliser un saut ou une figure. En interpellant les jeunes, ils leur communiquent leurs peurs au lieu de les encourager. »

Yoann a vécu de nombreuses situations comme celle-ci. Avec le temps, il a appris à utiliser la communication, à expliquer sa discipline plutôt que de se braquer. C’est vrai qu’avec ses cheveux mi-longs, sa barbe à motifs et son pantalon large, le jeune homme peut paraître marginal. Il cultive cette différence : « Sur les bancs de l’école, je regardais dehors en me disant : Si je sors par la fenêtre de cette classe, que je vais tout droit, où vais-je atterrir  » L’inconnu m’attirait. Sur les toits de Paris je retrouve cette sensation. Je veux être sous le ciel et pouvoir le voir. C’est un endroit magnifique et serein. C’est rare de croiser du monde là-haut. »

S’inspirer des félins

Le côté féerique de ces explorations ­urbaines, réservées aux traceurs chevronnés, ne fait pas oublier le danger. Un pied qui glisse, une main qui lâche, une impulsion ratée, la moindre erreur peut être ­fatale. Avant chaque saut, Yoann Leroux a plusieurs scénarios en tête. « Le but, c’est de savoir comment faire si on se rate. Ça arrive souvent. On a développé des gestes instinctifs, par l’entraînement, qui nous permettent de nous rattraper. » Reste la question de la peur : « Elle empêche la maîtrise. Quand on ne le sent pas, on ne le fait pas. On s’entraîne jusqu’à s’en sentir capable, et on revient. C’est ça le parkour. Quand physiquement tout est en place, il est hors de question que la peur s’infiltre. Je déconnecte. Ma devise, c’est réfléchis avant de sauter et saute sans réfléchir’. »

Cette maîtrise de lui, il l’a apprise, en Chine, à l’école des moines Shaolin, à 18 ans, où on lui a donné son surnom : « Le hasard des rencontres m’a conduit là-bas. C’était très violent. Réveil à 5 heures, tu manges peu, tu dors sur un morceau de paillasson. Tant que tu ne réussis pas, tu te prends des coups de bâton. Tu dois apprendre vite et bien. L’instinct de survie se développe dans ces moments-là. » La technique des Shaolin est « un mix entre la gymnastique, la respiration et l’observation des animaux ». Cette dimension est essentielle pour les traceurs qui peuvent ainsi « réapprendre à se déplacer, à être efficaces, à être forts. Comme les animaux, on utilise les jambes et les bras pour se déplacer et créer de la vitesse », explique Yoann.

Lire aussi :
 

Les « Gaza Parkour » rebondissent sur l’initiative de Banksy

S’inspirer de l’agilité, de la puissance, de la rapidité des félins pour créer de nouveaux styles plus aériens, plus élancés, plus efficaces. Retrouver l’état naturel, la simplicité de la vie sauvage au c’ur des plus grandes villes. Et si c’était ça le parkour ‘

Meryll Boulangeat

Leave A Reply