Une semaine cinématographique dominée par la virtuosité du style

Une semaine cinématographique dominée par la virtuosité du style

Le Monde
| 20.04.2016 à 06h41
Mis à jour le
20.04.2016 à 10h11
|

Par Jacques Mandelbaum

UN FILM DE CAMPUS DÉLICIEUSEMENT POP : « Everybody Wants Some !! », de Richard Linklater

Une maison en bois peuplée de jeunes gens bâtis comme des dieux grecs, moulés dans des shorts et tee-shirts ajustés à leur belle musculature, la bouche immanquablement coiffée d’une moustache bien taillée. C’est la résidence de l’équipe de base-ball de la fac texane où débarque Jake (Blake Jenner) avec sa valise et sa caisse de vinyles, à deux jours de la rentrée universitaire. On se déplace en meute, entassés dans une belle Dodge bleu métal toutes fenêtres ouvertes, l’autoradio crachant à plein volume des tubes de Blondie, des Cars, de Foreigner. On repère les lieux, on alpague les filles en fleur aux jambes interminables qui renvoient en revers de volée des réparties d’intellectuelles au caractère bien trempé. Plus qu’à sa réjouissante bande originale, plus qu’à sa singulière beauté plastique, le charme du film tient à ce talent qu’a toujours eu Linklater de saisir une vérité des gestes et des expressions, et de révéler ce faisant l’essence de l’instant. Quelqu’artificielle que soit la mise en scène, il parvient ici aussi à donner à ses scènes la force de l’évidence. Isabelle Regnier

Film américain de Richard Linklater avec Blake Jenner, Ryan Guzman, Tyler Hoechlin, Wyatt Russell, Zoey Deutch (1 h 57).

La critique du « Monde »  :
 

« Everybody Wants Some !! » : le campus, un autre espace-temps

RECHERCHE BAROQUE EN FILIATION : « Le Fils de Joseph », d’Eugène Green

Le cinéma d’Eugène Green est foncièrement honnête. Que la situation soit poétique ou triviale, il laisse voir d’emblée les fortes particularités de son travail formel : le goût du décor, des postures picturales, du beau français et des liaisons si bien faites qu’elles semblent fort étranges aux oreilles et aux langues paresseuses qui sont les nôtres. Si l’on tient compte du référentiel biblique sur lequel se construit, comme de coutume chez Green, le découpage du film, le « fils de Joseph » est d’abord « le fils de Marie » et d’elle seule, ce qui le fait souffrir. Il s’agit de Vincent (Victor Ezenfis), adolescent solitaire que ses camarades qualifient de « bizarre » parce qu’il a mieux à faire que torturer un rat. Vincent est en colère. Mais chez Eugène Green, les êtres libres changent, et changent toujours bien, car ils font toujours le choix de l’amour. Marie l’a fait, Vincent le fera en s’accordant la liberté de se choisir un père aimable. Noémie Luciani

Film franco-belge d’Eugène Green avec Victor Ezenfis, Natacha Régnier, Fabrizio Rongione, Mathieu Amalric, Maria de Medeiros (1 h 55).

La critique du « Monde » :
 

« Le Fils de Joseph » : derrière le nom du père, un fils

SAÏGON IMPRESSIONNISTE : « Mékong Stories », de Phan Dang Di

Le Mékong, au cinéma, c’est le fleuve qui mène au c’ur des ténèbres, celui que Willard remonte jusqu’à Kurtz, dans Apocalypse Now, et qu’importe s’il coulait aux Philippines. Cette vision dantesque était celle d’Occidentaux rongé de culpabilité post-coloniale, qui ne voyaient dans ces eaux que la mort qu’ils y avaient versée. Le fleuve de Mékong Stories est comme tous les fleuves de ce siècle, pollué, sale, mais vivant, charriant les traces et les déchets des existences qui foisonnent sur ses berges. Le deuxième long-métrage de Phan Dang Di est à son image, tour à tour tumultueux et languissant, séduisant et sordide. En partie autobiographique, le scénario suit les tribulations d’une poignée de jeunes gens à Saigon, au début du XXe siècle. Thomas Sotinel

Film vietnamien de Phan Dang Di avec Do Thi Hai Yen, Le Cong Hoang, Nguyen Ha Phong (1 h 42).

La critique du « Monde » :
 

« Mékong Stories » : le long du fleuve, une jeunesse à la dérive

LA COMTESSE DE SÉGUR REMISE AU GOÛT DU JOUR : « Les Malheurs de Sophie », de Christophe Honoré

A elle seule, l’idée qu’a eue Christophe Honoré de réhabiliter la comtesse de Ségur, de passer un petit coup de plumeau entre ses pages pour remettre au goût du jour la fantaisie et la sagacité de ses romans, mérite une belle salve d’applaudissements. Depuis la fin du siècle dernier, la prose de cette écrivaine magnifique semblait avoir perdu de son attrait auprès de la jeunesse, et c’était bien triste. Le nouveau film de Christophe Honoré devrait y remédier. Auteur lui-même de formidables livres pour enfant, ce cinéaste qui associe volontiers une manière ludique de mise en scène avec une réflexion sur les questions de genre était certainement bien placé pour faire des Malheurs de Sophie et de sa suite, Les Petites filles modèle, un film moderne, fidèle à l’esprit de leur auteure. Le résultat, enlevé, débordant d’imagination, tout en restant proche des textes, dépasse les espérances. Isabelle Regnier

Film français de Christophe Honoré avec Caroline Grant, Anaïs Demoustier, Golshifteh Farahani, Muriel Robin (1 h 46).

La critique du « Monde » :
 

« Les Malheurs de Sophie » : la comtesse de Ségur prend un coup de jeune

UN ÉTOURDISSANT CHEF D »UVRE IRANIEN À VOIR ET À REVOIR : « Close-up », d’Abbas Kiarostami

Les qualités de Close-up sont spectaculaires. Elles résident dans la manière avec laquelle Abbas Kiarostami parvient à conjuguer les particularités les plus extrêmes et les plus opposées du cinéma. A l’origine du film, il y a un fait divers. Un employé d’imprimerie, Hossein Sabzian, s’est fait passer pour le célèbre cinéaste Mohsen Makhmalbaf auprès des membres d’une famille aisée de Téhéran, leur laissant miroiter la perspective de tourner dans son prochain film. Le pot aux roses découvert, l’homme sera arrêté et jugé. Kiarostami est allé retrouver tous les protagonistes de ce récit, leur a fait rejouer leur aventure. Il filme par ailleurs, en noir et blanc, le procès d’Hossein Sabzian, qu’il entrelarde de retours en arrière reconstitués, et organise, après sa libération la rencontre de celui-ci avec le vrai Makhmalbaf lui-même. Entre reconstitution et documentaire, Close-up apparaît comme un objet conceptuel emmêlant le vrai et le faux, l’artifice et l’authentique, ce qui est rejoué et ce qui est pris sur le vif, jusqu’à, bien sûr, brouiller ces notions, racontant finalement l’histoire d’une imposture au c’ur de laquelle le mensonge est un élément de la réalité filmée ou reconstruite. Jean-François Rauger

Film iranien d’Abbas Kiarostami avec Hossein Sabzian, Mohsen Makhmalbaf, Abolfaz Ahankhah (1 h 31).

La critique du « Monde » :
 

Reprise : « Close-up », de Kiarostami, par-delà le vrai et le faux

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