Un Marcquois enterré dans le carré des indigents à Lille… sans que sa famille soit prévenue

Un Marcquois enterré dans le carré des indigents à Lille... sans que sa famille soit prévenue

Joëlle Decottignies se souvient précisément de l’heure à laquelle son cauchemar a débuté. Il était 14 h 03, c’était le 23 février. Elle était parfaitement réveillée, mais elle avait passé une mauvaise nuit parce qu’elle n’avait aucune nouvelle de son frère, Dominique Haan, depuis trois semaines. «
Il lui arrivait de faire des grands voyages, mais il me laissait toujours des coordonnées pour le joindre, explique-t-elle. Il ne me laissait jamais sans nouvelle.
» Mais là, quelle que soit l’heure à laquelle elle appelait sur son fixe, ça ne décrochait pas. Et ses SMS restaient sans réponse.

Ce 23 février, Joëlle, qui habite en Normandie, se lance donc dans des recherches sur Internet. Elle sait que son frère, qui habite à Marcq-en-Bar’ul et est tout juste retraité de La Poste, a une passion pour le bridge. Elle retrouve son club, à Wasquehal. La pendule affiche 14 h 03 quand elle appelle le club. «
J’ai demandé à la dame qui a décroché si mon frère était bien dans leur club et j’ai senti toute sa détresse. Elle m’a annoncé qu’il était décédé. J’ai hurlé au téléphone, c’était épouvantable.
»

« Je suis dans une détresse épouvantable »

Dominique Haan, 62 ans, est mort d’une crise cardiaque lors d’un tournoi de bridge organisé à la Halle aux sucres, à Lille, le 3 février. Le juge arbitre, médecin de profession, a tenté de le réanimer, mais il n’a rien pu faire. Ensuite, ni la police, ni les pompes funèbres, ni la mairie de Lille n’ont prévenu sa s’ur. Quinze jours après son décès, Dominique Haan a été inhumé au cimetière de Lille-Sud dans ce qu’on appelle pudiquement le terrain commun. Autrement dit, le carré des indigents.

Bien inséré socialement, avec des revenus confortables, Dominique Haan n’avait qu’un seul tort : il était célibataire. À quel point la police a-t-elle poussé les investigations Dans la mémoire du portable de son frère, Joëlle a retrouvé son ancien numéro, pas le nouveau. Aucune démarche n’a été entreprise auprès de son ancien employeur, ses ressources n’ont pas été vérifiées. Aucun proche, aucun collègue n’a assisté à son enterrement.

«
Je suis dans une détresse épouvantable et en colère, confie Joëlle Decottignies. Mais je suis une battante et je n’en resterai pas là.
» Avec l’aide de Me Bruno Clément, ancien collègue de son frère au service juridique de La Poste devenu avocat au barreau de Boulogne-sur-Mer, elle a alerté le parquet de Lille. «
Les faits sont difficiles à qualifier pénalement, reconnaît l’avocat, mais nous ne sommes pas satisfaits des explications fournies par la mairie de Lille. Comment un homme parfaitement inséré socialement, avec une famille, disposant de ressources confortables, a-t-il pu être inhumé dans la fosse commune
» La mairie ne reconnaît aucune faute de ses services.

Un fichier des personnes seules

Au-delà des démarches entamées en justice, la s’ur de Dominique Haan aimerait que sa mésaventure n’arrive pas à d’autres. Elle invite donc les personnes qui vivent seules à déclarer le nom et les coordonnées d’un proche à contacter en cas de décès. Dans l’absolu, on pourrait imaginer un fichier dans chaque mairie, mais il faudrait pour cela des dispositions législatives pour l’encadrer.

En attendant un éventuel fichier, le cas de Dominique Haan reste très rare, mais pas unique. On se souvient, l’an passé, d’un Marcquois qui avait appris la mort de son frère au bout de dix ans. SDF, il avait été inhumé dans le terrain commun de Lille-Sud. En 2010, à Hellemmes, des parents avaient découvert le nom de leur fils sur une tombe du carré des indigents
: il était mort depuis deux mois.

Pas d’obligation de chercher les proches

«
Nous comprenons le choc et l’effroi de la famille, mais la mairie n’a commis aucune faute
», affirme Arnaud Deslandes, le directeur de cabinet de Martine Aubry. Dans le code général des collectivités territoriales, on ne trouve en tout cas pas d’obligation de rechercher la famille d’un défunt.

Arnaud Deslandes affirme cependant que la mairie a mené des investigations, demandant au préfet l’autorisation de repousser le délai légal pour procéder à l’inhumation. Mais son champ d’action est assez limité
: le service état civil de Lille a contacté ses homologues de Roubaix, ville de naissance du défunt (mais pas de sa s’ur), et de Marcq-en-Bar’ul, sa ville de résidence.

Au bout de quinze jours, il a été décidé de l’inhumer dans le terrain commun, en théorie réservé aux personnes sans ressources, comme l’indique l’article 2223-27 du code des collectivités. C’est sur ce point que Me Bruno Clément, avocat de la s’ur de Dominique Haan, pense avoir trouvé un moyen d’attaquer la ville de Lille : le défunt n’était absolument pas dans la misère, il a pourtant « bénéficié » de ce service gratuit. Mais là encore, Arnaud Deslandes affirme que la mairie ne pouvait pas investiguer : «
On n’entre pas dans l’intimité des gens comme ça, la Banque de France n’est pas autorisée à nous dire si des gens sont endettés ou non.
»

La mairie de Lille a proposé de prendre en charge l’exhumation et le transport du corps vers son nouveau lieu de sépulture. Martine Aubry a téléphoné à Me Clément pour le lui dire. «
Nous n’avons pas eu de réponse, l’avocat semble décidé à aller au contentieux.
» Y. M.

Leave A Reply