Un djihadiste devant la Cour pénale internationale pour la destruction de mausolées à Tombouctou

Un djihadiste devant la Cour pénale internationale pour la destruction de mausolées à Tombouctou
Ahmed Al-Faqi Al-Mahdi (à gauche) devant la Cour pénale internationale de La Haye, le 30 septembre 2015.
Crédits : ROBIN VAN LONKHUIJSEN / AFP

Le cliché date du 2 juillet 2012. On y voit Ahmed Al-Faqi Al-Mahdi, dit « Abou Tourab », kalachnikov en bandoulière, au moment de la destruction de la porte de la mosquée Sidi Yahia, érigée au XVe siècle au c’ur de Tombouctou, et classée au Patrimoine mondial de l’humanité. L’image figure au dossier de la Cour pénale internationale (CPI), qui devait ouvrir, lundi 22 août, le procès de l’ancien chef de la brigade des m’urs, à l »uvre lors de l’occupation du nord du Mali par les djihadistes d’Ansar Eddine et d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), entre avril 2012 et janvier 2013.

Une croyance disait que « si cette porte était ouverte, des crises éclateraient, la guerre, la sécheresse », rappelle un témoin dont la déposition est consignée au dossier. Le substitut du procureur, Gilles Dutertre, ajoute que « l’ouvrir devait conduire au Jugement dernier ». La prophétie ne s’est pas réalisée, mais Tombouctou reste aujourd’hui déchirée par l’insécurité et la violence de groupes islamistes et de trafiquants. Quant à l’ex-djihadiste d’Ansar Eddine, c’est devant la justice des hommes qu’il veut plaider coupable. Coupable d’un crime de guerre pour avoir supervisé la destruction de neuf mausolées de « la cité des 333 saints » et de la porte de bois de la mosquée Sidi Yahia.

« Deux visions du monde »

S’il plaide coupable, Ahmed Al-Mahdi « n’est pas un repenti », expliquent ses avocats. Cet ancien conseiller des chefs djihadistes en matière islamique, dont les avis faisaient autorité dans sa communauté religieuse, considère que les mausolées sont illégaux au regard de la charia. Mais selon ses avocats, il n’aurait pas préconisé leur destruction. Il aurait prévenu que la destruction de ces monuments provoquerait des réactions hostiles de la population. Mais les émirs en auraient décidé autrement. Le chef de la hisba, chargée de réprimer les vices apparents musique, cigarette, amour hors mariage’ , aurait alors dû se résoudre à punir l’idolâtrie portée aux érudits de l’islam et à leurs mausolées.

A La Haye, devant la CPI, Ahmed Al-Mahdi a reconnu avoir choisi les hommes, fourni bêches et barres de fer, sélectionné les bâtiments à abattre, dirigé les travaux, et préparé le sermon du vendredi inscrivant le projet dans une conformité supposée à l’islam. « Dès le début, il souhaitait demander la grâce des habitants de Tombouctou et des Maliens », avait plaidé Me Mohamed Aouini en mai.

Les convictions de l’accusé sont inspirées du wahhabisme dont il s’est imprégné lors d’un long séjour en Arabie saoudite. « Nous parlons de deux visions du monde qui sont en contradiction », ajoutait Me Jean-Louis Gilissen. « Le fondamentalisme est d’abord et avant tout un plan ou un projet politique [mais] un projet politique n’est pas un crime », plaidait-il. Ahmed Al-Mahdi « croyait et voulait introduire, ou si nécessaire imposer, la pureté ». « La pureté, nous savons que cela peut souvent se révéler extrêmement dangereux », ajoutait l’avocat.

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« Goût d’inachevé »

Ahmed Al-Mahdi sera seul dans le box des accusés. Aucun des chefs djihadistes qui ont mis en coupe réglée « la perle du désert » et le nord du Mali n’a, à ce jour, été inquiété par la justice internationale. Ahmed Al-Mahdi ne répondra pas de ces viols et persécutions dénoncés par la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) et plusieurs organisations maliennes dans une plainte pour crimes contre l’humanité, déposée en mars 2015 devant un juge de Bamako, la capitale malienne.

L’accusation a labellisé l’affaire : ce sera le procès de la destruction du patrimoine mondial. Alertée par le projet des djihadistes du Sahel, l’Unesco avait placé Tombouctou sur la liste du patrimoine en péril à la veille des destructions. Des bouddhas de Bamiyan, en Afghanistan, en passant par Palmyre, en Syrie, et jusqu’à Tombouctou, ces attaques visent « à réduire en lambeaux le tissu même de la société », déplorait la directrice de l’Unesco, Irina Bokova. Ce crime « affecte l’âme et l’esprit d’un peuple », assurait la procureure Fatou Bensouda, en demandant la mise en accusation du prévenu.

La CPI et l’Unesco assurent que cette affaire ne touche pas que « les murs et les pierres ». Mais, pour certains, au Mali, le procès a « un goût d’inachevé », relevait avec amertume un éditorialiste, regrettant que la CPI ne s’empare que du « menu fretin ». Qu’apporte à la Cour son plaider coupable ‘ Acceptera-t-il de parler ‘ De coopérer avec le procureur ‘ S’il n’est ni un dirigeant du djihad armé ni le concepteur de la prise de Tombouctou, il reste assez important pour intéresser toujours AQMI.

Trente ans de prison

En février, l’Emirat du Sahel, l’une des branches de l’organisation, exigeait la libération d’Ahmed Al-Mahdi en échange de l’otage suisse Béatrice Stockly, enlevée quelques semaines plus tôt au Mali. Sur la vidéo de revendication, un message incrusté figurait au bas de sa photo, rappelant qu’un musulman ne dénonce pas son frère. Ce message s’adressait-il au détenu ‘ A l’heure où s’ouvre le procès à La Haye, la religieuse suisse est toujours retenue en otage.

Les services antiterroristes néerlandais ont été alertés. La Cour a resserré ses mesures de sécurité. Longtemps exilée en Libye, la famille d’Ahmed Al-Mahdi est désormais placée sous protection. A La Haye, l’ancien chef de la brigade des m’urs risque jusqu’à trente ans de prison.

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