Syrie , l’évacuation des civils et des combattants d’Alep a commencé

Syrie , l'évacuation des civils et des combattants d'Alep a commencé

Près d’un millier de personnes sont sorties de la ville. Au petit matin, un premier convoi avait essuyé des tirs et dû rebrousser chemin.

Le Monde
| 15.12.2016 à 09h21
Mis à jour le
15.12.2016 à 15h19
|

Par Marie Jégo (Istanbul, correspondante)

Selon plusieurs sources, militaire et médicale, les premiers civils et combattants d’Alep ont été évacués jeudi 15 décembre et sont arrivés en territoire rebelle. « L’opération d’évacuation a concerné 951 personnes, dont plus de 200 rebelles, ainsi que 108 blessés parmi lesquels des insurgés », a rapporté un haut responsable militaire.

Le premier convoi a quitté dans l’après-midi le quartier d’Al-Amiriyah, encore tenu en partie par l’opposition, pour se rendre dans celui de Ramoussa, aux mains du régime. Un peu plus tard, ces véhicules « sont arrivés » en territoire rebelle, dans l’ouest de la province d’Alep, a annoncé à l’Agence France-Presse Ahmad Al-Dbis, à la tête d’une unité de médecins et de volontaires qui coordonnent les évacuations. Le convoi était ouvert par des véhicules du Comité international de la Croix-rouge (CICR) et du Croissant-Rouge syrien.

« Une fois que le convoi arrivera à bon port, il retournera prendre d’autres personnes pour une deuxième navette, et ainsi de suite. Nous allons continuer tant que les conditions le permettent », a déclaré Ingy Sedky, la porte-parole du CICR en Syrie.

Quelque 4 000 rebelles et leurs familles sont concernés, selon la télévision syrienne, par l’opération d’évacuation, qui pourrait durer plusieurs jours.

Un premier convoi visé par des tirs

Au petit matin, la plus grande confusion régnait dans les quartiers est d’Alep, où des dizaines de milliers de civils se retrouvent pris au piège, sans abri, sans soins, sans nourriture, tandis que les bombardements du régime et de son allié russe ont repris de plus belle.

L’espoir a resurgi dans la matinée de jeudi lorsque l’armée russe a annoncé dans un communiqué qu’une évacuation vers Idlib se préparait, précisant agir « sur ordre du président Vladimir Poutine ».

A 9 h 30 du matin (heure locale), un premier convoi 20 autobus, dix ambulances prenait la route en direction d’Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie. Mais à peine le convoi avait-il commencé à rouler qu’il était la cible de tirs de la part de l’armée syrienne et de ses alliés des milices chiites proïraniennes, faisant quatre blessés parmi les évacués.

Echec des précédentes tentatives d’évacuation

Voici des jours que les habitants des quartiers orientaux d’Alep sont pris en étau dans la ville en ruines. Au lieu de l’évacuation promise, ils ont été visés par des raids aériens intensifs. La confusion sur le terrain amoindrit la fiabilité de la trêve conclue entre Moscou et Ankara pour sauver les civils et exfiltrer les derniers combattants d’Alep. Les négociations ont eu lieu à Ankara dans le plus grand secret. L’Organisation des Nations unies (ONU) n’a pas été impliquée, et l’administration américaine a été tenue au courant après coup.

Annoncée mardi, la trêve était censée permettre l’évacuation des insurgés et de milliers de civils affamés, terrifiés et acculés. Dans un premier temps, elle a échoué. Selon les ONG, des milliers de personnes, venues d’autres quartiers repris par l’armée syrienne ces derniers jours, dorment dehors par un froid glacial. Munies de leurs maigres balluchons, des familles entières attendent depuis quarante-huit heures l’évacuation tant attendue.

Selon Kerem Kinik, le président du Croissant-Rouge turc, près de mille personnes ont pu monter mercredi à bord de plusieurs bus mais le convoi a été stoppé : « Après avoir quitté Alep, les civils évacués ont pu passer sans encombre le poste de contrôle russe mais ils ont été refoulés au suivant, tenu par des milices proïraniennes. »

Il semble que Téhéran et Damas aient fixé de nouvelles conditions à l’application des accords, exigeant l’évacuation d’une partie des habitants de Foua et Kefraya, deux villages alaouites de la région d’Idlib assiégés depuis des années par la rébellion anti-Assad.

Exactions des forces progouvernementales

Selon les témoignages qui circulent sur les réseaux sociaux la situation sur place est apocalyptique. Les rues d’Alep-Est sont jonchées de cadavres et de blessés qu’il n’est guère possible d’évacuer, vu l’intensité des combats. Selon l’ONG Médecins du monde, 100 000 personnes sont confinées dans le maigre espace resté aux mains de la rébellion, 5 km2.

La commission d’enquête de l’ONU sur les exactions en Syrie a confirmé mercredi avoir recueilli « de nombreux témoignages d’exactions perpétrées par les forces progouvernementales : exécutions sommaires, arrestations arbitraires, disparitions, enrôlement forcé », assurant que les rebelles, notamment ceux de Ahrar Al-Cham et du Fatah Al-Cham, une branche d’Al-Qaida, avaient tiré sur des civils « pour les empêcher de partir ».

Chaque camp rejette la faute sur l’autre. Dans une interview diffusée mercredi par la chaîne de télévision pro-Kremlin Russia Today, le président syrien Bachar Al-Assad a expliqué que les Occidentaux voulaient un cessez-le-feu à Alep pour « sauver les terroristes » et « stopper l’avancée » de ses troupes. Damas et Moscou assurent que la trêve a été brisée par les rebelles qui en ont profité pour lancer une offensive. « L’attaque des terroristes a été repoussée. L’armée syrienne poursuit son opération de libération des quartiers est d’Alep contrôlés par les rebelles », a déclaré laconiquement l’état-major russe mercredi dans un communiqué.

Sommet le 27 décembre

La Turquie, qui parraine la rébellion syrienne, accuse les milices chiites soutenues par l’Iran d’avoir sabordé le cessez-le-feu. « Le régime syrien et certains de ses alliés ont essayé de l’empêcher », a déploré Mevlut Cavusoglu, le chef de la diplomatie turque, appelant la Russie et l’Iran « à prendre leurs responsabilités et à cesser de blâmer les autres ». Il a annoncé la tenue d’un sommet entre la Turquie, la Russie et l’Iran le 27 décembre à Moscou, consacré à la recherche d’une solution politique en Syrie.

Le succès est loin d’être assuré. A première vue, les positions sont toujours aussi inconciliables. La Russie et l’Iran soutiennent Bachar Al-Assad, que la Turquie et ses alliés rebelles veulent voir partir. Avant tout, Moscou tient à savourer les fruits de sa nouvelle idylle avec Ankara, réalisée aux dépens de Washington. Les négociations avec les Turcs « se sont avérées bien plus efficaces que les flâneries sans but auxquelles nous avons eu droit pendant des mois avec les Américains », a tenu à souligner Sergueï Lavrov, le ministre des affaires étrangères russe.

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