Rentrée scolaire , faut-il laisser les enfants aller à l’école tout seuls

Rentrée scolaire , faut-il laisser les enfants aller à l'école tout seuls

Paradoxalement, Agnès et Éric se sont moins questionnés pour l’entrée de leur aîné en 6e, il y a quatre ans, que pour le second, cette année. Est-ce le climat anxiogène actuel, le manque supposé de maturité de leur plus jeune, la pression exercée par les autres parents qui les rattrape malgré eux

Agnès se moque d’elle-même en se souvenant qu’elle s’est débrouillée toute seule bien plus jeune, alors que sa mère ne travaillait pas. «
Mes parents ne m’accompagnaient pas non plus chez mes copines ou pour mes activités extrascolaires, pourtant pas tout à côté. Avez-vous vu le documentaire Sur le chemin de l’école
On y découvre des enfants qui font parfois plusieurs heures de route à pied, à cheval, dans la savane ou la pampa. Nous, c’est à peine si on les laisse aller chercher le pain.
»

Conséquence : «
Aujourd’hui, les enfants sont moins préparés, sont plus
petit enfant
», constate effectivement la psychologue Etty Buzyn (*), «
alors que la 6e et la 5e demandent plus de capacités d’adaptation
». Son explication : «
Les parents d’aujourd’hui mettent plus la pression sur la scolarité que l’autonomie. Il y a une course à l’excellence et, pour la gagner, ils déchargent les enfants de tout le reste. Les enfants n’aident plus à la maison or c’est aussi une expérience qui vaut la peine, qui les fait grandir, les rend autonomes justement. Un enfant de 7-8 ans peut préparer le petit-déjeuner par exemple, ça lui apprend aussi le partage. C’est important pour la vie en société.
»

Parents, vous devriez donc vous détendre et faire confiance à votre enfant. «
Les enfants de parents pas du tout angoissés se débrouillent bien mieux. Les parents devraient se rendre compte qu’ils sont anxiogènes. C’est un gâchis de confiance qui nuit aux bons moments à vivre ensemble
», regrette encore la psychologue qui délivre cet autre conseil : leur laisser le temps. «
Si les résultats ne sont pas très bons à l’école, les parents s’angoissent tout de suite mais rassurez-vous, cela ne signifie pas qu’ils ne réussiront pas. Certains mettent plus de temps pour avoir le déclic.
» Et leur lâcher la bride, leur faire confiance, encore, les y aiderait.

Ne plus les traiter comme des « Nourrissons géants »

«
Les enfants n’ont aucune responsabilité et d’un seul coup, en 6e, tout arrive en même temps et ils devraient s’épanouir tout de suite mais ils sont en train de se faire. Il faut les laisser trouver par eux-mêmes pour qu’ils se trouvent
», conclut Etty Buzyn qui reconnaît qu’il est plus facile de le dire que de le faire. Elle-même avoue s’être inquiétée pour ses enfants, comme aujourd’hui ses petits-enfants.

«
Le monde est présenté comme assez dangereux, ajoute Béatrice Copper-Royer (lire ci-après). Mais il faut malgré tout que les parents montrent à leurs enfants qu’ils les voient grandir, qu’ils ne les traitent plus comme des
nourrissons géants
. C’est une question centrale à l’adolescence. Il faut être solidaire et les lâcher. Les laisser rentrer à la maison seul, c’est le début.
»

(*) Etty Buzyn est également l’auteure de « L’autonomie, mode d’emploi » et de « Papa, maman, laissez-moi le temps de rêver », chez Albin Michel.

«Ce n’est plus le grand lâcher d’autrefois»

Béatrice Copper-Royer, psychologue, est l’auteure de Quand l’amour emprisonne.

Les parents se posent-ils plus de questions sur comment et quand lâcher leurs enfants

« C’est une question qui se pose régulièrement, cela n’a pas changé. Et elle se pose toujours autour de la 6e car elle signe la fin de l’accompagnement à l’école. Mais nous sommes aujourd’hui tellement surinformés que cela crée une angoisse sécuritaire forte. Les enfants sont beaucoup plus surveillés, encadrés, pour tout. Ce n’est plus le grand lâcher d’autrefois. Avec le téléphone portable, nos enfants sont en régime de semi-liberté ce qui, d’ailleurs, pose d’autres dilemmes aux parents. J’ai ainsi rencontré une jeune maman qui ne savait plus quoi faire entre le principe qu’elle a posé pas de portable avant la 4e et son angoisse. Mais comment faisait-on avant »

Ne sommes-nous pas plus angoissés aussi parce qu’on ne leur donne pas de responsabilités plus tôt

« Avant 9-10 ans, cela ne me semble pas raisonnable de les laisser rentrer de l’école seul. Et ce n’est pas qu’une question de maturité de l’enfant mais aussi de maturation neurologique. Une étude a en effet démontré qu’avant cet âge, les enfants avaient encore du mal à évaluer les distances, à traiter toutes les informations. Ils sont plus impulsifs, risquent plus facilement de traverser spontanément pour retrouver un copain. »

Et tous sont-ils prêts à être autonome

« Certains le revendiquent beaucoup, d’autres n’ont tout simplement pas le choix. Il faut évaluer le niveau de tranquillité intérieure de l’enfant. Pour les plus anxieux, il faut répéter le trajet avec lui avant, l’aider à apprivoiser sa peur. Il faudrait d’ailleurs les lâcher un peu en amont, commencer par les laisser seuls une heure à la maison. Le CM2 est une bonne année pour ça. »

La 6e est souvent l’année où les parents tirent aussi un trait sur la baby-sitter’

« C’est un vrai problème qu’il n’existe pas d’heures d’études dans tous les collèges pour suivre le travail des enfants car s’ils peuvent rester une heure, une heure et demie seul, au-delà, c’est beaucoup. La prise d’autonomie a ses limites et pour que l’autonomie soit bien acquise, il faut accorder du temps à l’enfant. Il ne doit pas être mis en difficulté. L’objectif doit être réalisable pour ne pas créer d’angoisse et qu’il puisse ainsi bien grandir. ».
PAR S. L.

Témoignages

« J’appelle pour vérifier que tout va bien »

Delphine, maman de Pablo (11 ans, 6e) et Vittorio (6 ans et demi, CE1). « L’an dernier, j’ai donné une clef à Pablo pour le mercredi. Il rentrait seul à midi, il déjeunait, puis il partait avec la maman d’un copain à son entraînement sportif. Il verrouillait la maison en partant. Ma mère arrivait dans l’après-midi avec Vittorio. J’appelais pour vérifier que tout allait bien. C’était une répétition pour cette année. Il ne fait pas de bêtises, mais il lui est arrivé de trouver le temps long et je n’aime pas ça. Je redoute qu’il passe trop de temps sur les jeux vidéo.

Mon autre inquiétude portait sur une route dangereuse à traverser. Je lui ai donc appris, comme j’apprends à Vittorio, à traverser. Pablo ira seul au collège, qui est sur le chemin de l’école. Il a un téléphone portable, c’est nouveau. Vittorio, qui va à la garderie, me demande déjà pour rentrer seul de l’école ! J’ai fixé l’âge de 10 ans minimum. Je m’adapte au degré de responsabilisation de mes enfants. Pour les devoirs, j’aimerais que Pablo aille en permanence les jours où il finit tôt. Pour être sûre que ce soit fait et qu’il ne reste pas seul trop longtemps en attendant mon retour du travail avec Vittorio. Je sais que je dois accepter de les laisser prendre des risques, mais c’est encore un peu difficile pour moi ! »

« Nous lui avons appris à se préparer seule »

Ysé a 10 ans. C’est la cadette d’une fratrie de trois s’urs : l’aînée entre à la fac, la puînée passe en seconde. Ysé, elle, découvre le CM2. L’école est au bout de la rue, un détail qui a son importance, comme le souligne sa maman Hélène : «
Les deux grandes allaient à l’école dans une autre ville, j’étais toujours là pour aller les chercher.
»

Ysé rentre seule chez elle depuis le CM1. Samuel, son papa, se souvient parfaitement qu’«
une fois, elle m’a envoyé balader quand je suis allé la chercher à l’école : elle voulait rentrer seule avec ses copines.
» Le pli était pris. Puis un événement a changé la donne, pour la conduite du matin : «
J’ai repris les études, explique Hélène, je devais partir tôt. Et Sam commence à 5 heures. Nous avons dû lui apprendre à se préparer, et surtout, à quitter la maison seule.
» Hélène réveille Ysé et quitte la maison quand sa fille entame le petit-déjeuner. Puis une copine passe la prendre pour faire la route. «
C’est beaucoup plus stressant de la laisser se débrouiller le matin
», note Hélène. Première inquiétude : la grande petite fille respectera-t-elle les horaires Saura-t-elle verrouiller la porte Et, ajoute Sam, ne va-t-elle pas perdre sa clef Le bilan est très positif : Ysé n’est jamais en retard. Elle considère même que c’est «
un bon entraînement pour le collège
».
L. V.

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