Relance des négociations sur la vente de six EPR à l’Inde

Relance des négociations sur la vente de six EPR à l'Inde

New Delhi verrait bien EDF démarrer la construction des réacteurs à eau pressurisée au plus tard début 2019.

Le Monde
| 12.01.2017 à 11h15
Mis à jour le
12.01.2017 à 11h29
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Par Intérim et
Julien Bouissou (New Delhi, correspondance)

Enlisées depuis dix ans, les négociations sur la vente de réacteurs EPR à l’Inde ont repris. Le premier ministre indien, Narendra Modi, a confirmé son intérêt pour l’achat de six réacteurs à eau pressurisée de troisième génération, lors d’un entretien qu’il a eu, dimanche 8 janvier, avec le ministre français des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, en visite officielle à Bangalore, Ahmedabad et New Delhi.

En février 2009, la France avait signé un protocole d’accord avec l’Inde pour la livraison de deux à six réacteurs nucléaires, avant que les négociations butent sur le prix et le partage des responsabilités en cas d’accident. La loi indienne engage en effet la responsabilité du fournisseur, en l’occurrence EDF, et non celle de la Nuclear Power Corporation of India (NPCIL), la compagnie publique qui exploite les centrales nucléaires du sous-continent. Des négociations sur ce point ont néanmoins repris durant l’été 2016 et prévoient, entre autres possibilités, un accord-cadre incluant un pool d’assureurs.

Il y a exactement un an, le passage de François Hollande en Inde avait permis à EDF de signer un protocole de coopération avec les autorités indiennes pour relancer le dossier, à la suite de quoi l’électricien français a remis une première offre indicative, en juin 2016. Il était alors prévu qu’EDF, qui mène les discussions puisque l’activité réacteurs nucléaires d’Areva est entrée dans son giron, rende en décembre un rapport détaillé fixant les grandes lignes techniques du projet. Ce document a pris du retard.

Projet pharaonique

« Nous n’en sommes qu’au stade préliminaire », affirme Jean-Bernard Lévy, le PDG d’EDF, qui a rencontré à son tour M. Modi, mardi 10 janvier. « Jaitapur est un projet essentiel pour l’Inde, car cette centrale assurerait 5 % environ des besoins du pays en électricité », observe-t-il. EDF pense aussi que le passage de M. Ayrault, cette semaine, aura été un coup de pouce supplémentaire. « Avec M. Modi, les choses vont plus vite qu’avant, estime M. Lévy. Le premier ministre indien est un homme pragmatique qui a trouvé dans la France et son gouvernement un partenaire de confiance. Il sait que nous respecterons nos engagements. »

A New Delhi, les services du premier ministre ne cachent pas qu’ils verraient d’un bon il le chantier démarrer au plus tard début 2019, juste avant les prochaines élections générales, lors desquelles M. Modi cherchera à rempiler pour un second quinquennat. Mais le parcours risque d’être semé d’embûches. Car la mobilisation des opposants a repris à Jaitapur, ou plus exactement sur le plateau de Madban choisi pour accueillir les réacteurs d’EDF. Dans cette commune du district de Ratnagiri, sur la côte ouest de l’Inde, agriculteurs, pêcheurs, défenseurs de l’environnement et militants antinucléaires se sont donné rendez-vous le 25 janvier, veille de la fête nationale du « Republic Day », pour dire non à la centrale.

Le projet est pharaonique, puisqu’il s’agit d’implanter au bord de la mer d’Arabie, à mi-distance de Bombay et Goa, rien moins qu’une capacité de production d’électricité de 9 900 MW, ce qui ferait de Jaitapur la centrale nucléaire la plus puissante au monde. Elle représenterait à elle seule l’équivalent de 20 % de la production nucléaire française et pour l’instant, son coût approximatif est évalué, au bas mot, à 60 milliards de dollars (56,7 milliards d’euros).

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Le long chemin du nucléaire indien

Opposition de la population

« Il y a maintenant plus de dix ans que la population locale s’élève contre ce projet de la démesure, mais comme le gouvernement ne nous écoute pas, nous souhaitons maintenant alerter la communauté internationale », explique Satyajit Chavan, un ingénieur des travaux publics qui préside la Jan Hakka Seva Samiti (organisation de défense des droits du peuple), l’association qui chapeaute tous les opposants à la centrale. Satyajit Chavan s’inquiète du secret qui entoure ce dossier. Il dit que « personne ne sait » ce qu’EDF a proposé à NPCIL. Mais il est persuadé que les négociations entre les deux opérateurs avancent bien et que les pelleteuses ne tarderont pas à arriver.

Du point de vue d’EDF, Jaitapur offre une configuration idéale. « Nous pensons sincèrement que les conditions techniques sont très bonnes et les conditions économiques très correctes, confie Xavier Ursat, directeur exécutif chargé des nouveaux projets nucléaires. Si nous avions des doutes, nous n’irions pas, car nous ne voulons pas marier notre nom à un projet qui ne correspondrait pas à nos standards. » Le site se présente sous la forme d’une péninsule qui avance dans la mer, avec des falaises dessinant un plateau culminant à 25 mètres d’altitude. « L’accès à la mer est facile pour les prises d’eau destinées au refroidissement des réacteurs, et le site est classé en zone sismique modérée, ce qui est tout à fait compatible avec l’implantation de réacteurs EPR », affirme Xavier Ursat.

En avril 2011, plusieurs défilés de riverains avaient tourné à l’émeute et un manifestant avait même été tué par la police. Depuis, l’Etat s’est approprié les terrains, en indemnisant les propriétaires à raison de 2,25 millions de roupies l’hectare (31 360 euros). « La plupart ont accepté cet argent parce qu’ils allaient nécessairement être expropriés, mais cela ne signifie pas qu’ils ont retourné leur veste », indique Satyajit Chavan, avant d’énumérer les griefs de la population locale : les six mille pêcheurs de la région sont persuadés que le réchauffement de la mer par les circuits de refroidissement de la centrale représentera localement 6 à 8 degrés et détruira le patrimoine halieutique ; les cultivateurs de noix de cajou et de mangues de l’espèce Alphonso craignent pour leurs récoltes futures et pour la survie des forêts environnantes, où cohabitent 300 essences de plantes différentes et 150 espèces d’oiseaux, dont certaines en voie de disparition.

Quant aux doutes que soulève toujours la technologie EPR en Inde, M. Lévy les balaie du revers de la main :

« A Flamanville et à Taishan, en Chine, les EPR sont presque terminés. Il aura fallu du temps mais l’EPR est aujourd’hui le plus puissant et le plus sûr des réacteurs dans le monde. »

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