Récit du sauvetage d’un canot repéré par l’ Aquarius 

Récit du sauvetage d'un canot repéré par l' Aquarius 

Le Monde
| 11.07.2016 à 17h18
Mis à jour le
11.07.2016 à 17h30
|

Par Maryline Baumard

Ils sont sains et saufs, et peinent à le croire. A 10 h 30, 107 jeunes hommes ont investi le pont arrière de l’Aquarius. En dépit de leur fatigue, ils n’en finissent pas de remercier les équipes de SOS-Méditerranée. La peur qui habitait leur regard quelques instants auparavant a disparu, laissant place à une grande incrédulité. « Trouver une équipe de médecins et de sauveteurs au milieu de la mer’ je remercie Dieu », lance l’un d’eux, visiblement très ému après l’immense peur de sa nuit. Partis à 2 heures du matin des environs de Tripoli, ils ont eu, des heures durant, ce sentiment d’abandon extrême.

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A peine installés à bord, les 54 Maliens, 39 Ivoiriens, 7 Guinéens, 4 Sénégalais, 2 Gambiens et le Burkinabé sont saisis par un grand épuisement qui va croissant. Certains, arrivés torse et pieds nus, cherchent le soleil. Ils sont glacés jusqu’aux os, le pantalon trempé depuis des heures. D’autres s’assoient, souffrant de vertiges pendant que les sauveteurs de SOS-Méditerranée reprennent leur souffle, s’essuient le front, après le rush matinal.

L’alerte a été donnée à 8 h 30 par le capitaine lui-même. Depuis 6 heures du matin, les fausses alertes s’enchaînaient, les jumelles repéraient ici et là des objets flottants, avant de les lâcher du regard avec l’assurance qu’il ne s’agissait pas d’esquifs habités. A peine arrivé à son poste, Alexander Moroz repère un canot, suivi d’un bateau en bois. Le capitaine de l’Aquarius pense d’abord à deux embarcations de migrants. Spéculation rapidement démentie par son il entraîné à percer les mystères de tout ce qui diffère de l’élément liquide, même loin vers l’horizon. « Il n’y a personne sur le pont du second. Cela ressemble plutôt à un bateau de pêcheur’ », observe-t-il sans se déparer de son calme habituel. Mathias Menge, le responsable du sauvetage pour SOS-Méditerranée, confirme l’analyse et estime qu’il faut en urgence se concentrer sur le pneumatique, « bien moins stable et beaucoup plus menacé ». L’affaire est lancée. Le bateau, ressemblant à une petite embarcation de pêcheurs, a, lui, suivi encore les migrants, puis passé son chemin, une fois leur prise en charge opérée par l’Aquarius.

Présentation, réassurance, sécurisation

Une tasse de café dans la main, un casque dans l’autre, Bertrand Thiébault, fixe son gilet de sauvetage en intégrant toutes les informations disponibles à bord, pendant qu’Albert Mayordomo et James O’Mahony descendent quatre à quatre les marches vers le pont central.

Pas un instant n’est perdu. Un brief de deux minutes permet à Mathias Menge de redonner ses instructions, et déjà le premier bateau de sauvetage fend la vague, mis à la mer par l’équipage de l’Aquarius. A son bord, un pilote issu de l’équipage, Mathias Menge en directeur des opérations, Bertrand Thiébault et la photographe Anna Psaroudakis.

Le second bateau part dans la foulée, après avoir chargé deux grands sacs de gilets de sauvetage. Albert Mayordomo, no 2 du SAR (« Search and Rescue ») de SOS-Méditerranée, en prend la tête pendant que James O’Mahony (SAR aussi) pilote. Le médiateur culturel de Médecins sans frontières (MSF), Amani Teklehaimanot, incontournable pour sa maîtrise de l’arabe et du tigrinia (langue majoritaire en Erythrée), et Le Monde embarquent aussi.

Une fois à hauteur du pneumatique, la première urgence pour les sauveteurs reste de se présenter, d’établir un premier diagnostic de l’embarcation et d’y maintenir le calme. Les mots de Bertrand Thiébault sont presque chirurgicaux. Sa voix posée, mais d’une extrême fermeté, expose les informations que les rescapés doivent avoir en tête. Pendant que son bateau tourne autour du canot, pour que tous entendent, il présente l’Aquarius, de sorte que les migrants soient immédiatement conscients qu’ils ne sont pas aux mains de Libyens. De la présentation et la réassurance, il glisse rapidement vers la sécurité. « Vous ne bougez pas, leur intime-t-il. Vous restez assis. Mon collègue va vous distribuer un à un des gilets de sauvetage, que vous attacherez avant le début du transfert. C’est moi qui indique l’ordre de montée dans le bateau. Si vous bougez trop, nous serons obligés d’interrompre l’opération. »

Ne pas se lever, ne pas se déplacer, ne pas se pencher

Sur le canot pneumatique, les coudes se touchent, les gilets de sauvetage frottent les uns contre les autres. La centaine d’hommes, massés là, peut à peine bouger. Les visages des Africains sont crispés, tendus vers leurs sauveteurs, osant à peine croire que le cauchemar prend fin. L’attente a été longue et ces derniers instants avant de quitter ce lieu de tous les dangers leur semblent une petite éternité.

Albert Mayordomo, le Catalan, distribue un à un les gilets, de la main à la main, très calmement, pour éviter tout mouvement parmi les naufragés. Lui aussi apaise toute velléité de se lever, de tenter de se déplacer, ou de se pencher par-dessus bord, de sa voix ferme. Amani, le médiateur, demande si quelqu’un a besoin d’entendre les consignes en anglais ou en arabe et comme ce n’est pas le cas, il passe à une série de gestes sans équivoque pour insister sur l’importance de ne pas se lever. Son il repère les gilets de sauvetage mal bouclés et là encore, son intervention discrète se solde par un résultat.

Une fois le canot pneumatique sécurisé au maximum, les consignes répétées, le bateau 1 s’approche au plus près du pneumatique pour emmener un premier groupe de naufragés. Ce transfert est un moment très délicat. En équilibre instable, chaque fois qu’un migrant saisit sa main et prend appui sur lui, Bertrand Thibault peut tomber dans l’eau. Heureusement que son pied marin fait la différence et permet aux migrants de passer sur le bateau de sauvetage, en prenant, eux, un minimum de risques. Mathias Menge les récupère et les installe de la façon la plus cartésienne pour embarquer à chaque voyage un maximum de 18 hommes.

Pendant que le bateau 1 rejoint l’Aquarius  où le reste de l’équipe de sauvetage aide les rescapés à grimper et où MSF opère le premier accueil et le repérage des besoins urgents ‘, le bateau 2 prend le relais auprès du canot pneumatique.

Jerricanes, bouteilles d’eau, déchets divers

James, le pilote, circonscrit doucement le canot, pour s’assurer que tout va bien de tous les côtés. « Est-ce que tout le monde va bien ‘, s’enquiert Albert Mayordomo. Etes-vous sûrs que personne n’est blessé ‘ Ne vous levez surtout pas, vous déstabiliseriez l’équilibre du canot. C’est mon collègue qui vous appelle un à un et décide de l’ordre. Mais soyez rassurés, il y aura de la place pour tous sur l’Aquarius. »

Le bateau est assez près du canot pour qu’Albert accroche des regards en parlant. Son message apaise encore et encore l’inquiétude de ces jeunes gens. Plus tard, ils raconteront leur odyssée. Mais déjà leurs yeux trahissent la galère de leur nuit et celle de leurs aventures antérieures.

Une fois le canot vidé de ses passagers, Albert Mayordomo et James O’Mahony entament la dernière opération du sauvetage. C’est à eux qu’il revient de percer le canot, après l’avoir bombé d’un marquage indiquant bien « SAR », pour Search and Rescue. « C’est notre signature, le meilleur moyen pour que d’autres bateaux de sauvetage sachent à quoi s’en tenir à propos de ce pneumatique », rappelle Albert. Cela évite aussi de penser à tort que les occupants du canot se sont noyés.

Dans ses coups de couteau sur les flancs de ce petit bateau, il décharge beaucoup de tout ce que lui, Albert Mayordomo, plongeur de formation, a sur le c’ur, à chaque fois, en arrivant face aux conditions de traversée de ces exilés’ Dans ce qui reste de l’embarcation plastique, quatorze jerricanes d’essence, des bouteilles d’eau vides, des déchets divers flotteront pour longtemps sur les eaux de la Méditerranée.

En attendant, les 107 Africains ne sont pas restés longtemps sur l’Aquarius. Dès le début d’après-midi, le poste de commandement de Rome a demandé que SOS-Méditerranée les transfère vers un navire des gardes-côtes prêts à rentrer au port, afin que l’Aquarius reste sur l’est de Tripoli, où il est seul à mener des opérations de secours. Sans avoir vraiment pu se reposer, tous ont remis les gilets de sauvetage et redescendu l’échelle. Entre-temps, Erna Rijnierse, la médecin de MSF, a pris en charge un jeune Malien du bateau blessé par balle il y a quelques semaines en Libye, alors qu’il circulait en voiture.

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