Quand Larossi Abballa recopiait des adresses de commissariats

Quand Larossi Abballa recopiait des adresses de commissariats

« Mon histoire, c’est celle de tout le monde ici. J’avais besoin de reconnaissance, je ne travaillais pas et je venais de rater mon CAP. On a alors commencé à me parler de religion, j’y ai trouvé mon réconfort. » Le jeune homme qui témoigne à la barre du tribunal correctionnel de Paris, en ce mois de septembre 2013, a 22 ans. Il s’appelle Larossi Abballa, et il est jugé pour « association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme » dans le cadre d’une affaire de filière d’acheminement de combattants islamistes vers les zones tribales afghano-pakistanaises.

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Il n’est pas encore le meurtrier qui a tué un commandant et une secrétaire administrative de la police nationale, lundi 13 juin, à Magnanville (Yvelines), avant de revendiquer le crime en direct, sur les réseaux sociaux, au nom de l’organisation Etat islamique. Au contraire, lors de ce procès, le garçon explique que quelques semaines avant son interpellation, il était encore éloigné de l’islam : « Internet a programmé ma radicalisation. » Il décrit l’irrépressible poids de « l’effet de groupe » : « On ne parlait que de ça, du djihad. C’est comme quelqu’un qui vivrait 24 heures sur 24 avec des braqueurs. Automatiquement, il va braquer ! »

« Quand je regardais les vidéos concernant l’oppression des musulmans, elles avaient un tel effet sur moi !’ C’était trop émouvant. Ensuite, il suffisait juste de quelques mots, et j’étais parti », raconte-t-il.

« Pas grand-chose à lui reprocher »

Larossi Abballa avait été mis en examen en 2011 par les juges d’instruction antiterroristes Marc Trévidic et Nathalie Poux aux côtés de sept autres personnes originaires de la banlieue parisienne. Entre le 5 décembre 2010 et le 26 février 2011, les huit hommes s’étaient retrouvés régulièrement en fin de semaine pour s’entraîner dans les parcs de La Courneuve (Seine-Saint-Denis) et d’Argenteuil (Val-d’Oise). Pour les enquêteurs, il s’agit d’un entraînement au combat, en vue de partir faire le djihad.

Mais dans un entretien au Figaro, mardi 14 juin, le juge Trévidic se souvient de la faiblesse des éléments obtenus contre Abballa : « Concrètement, à l’époque, à part ses mauvaises fréquentations et quelques joggings pour entretenir sa forme, il n’y avait pas grand-chose à lui reprocher au strict plan des poursuites pénales. Ses comparses les plus impliqués dans le réseau s’étaient évertués à le dédouaner. Et comme il était resté sagement en France’ »

Les magistrats l’ont toutefois placé en détention provisoire. Car les échanges d’e-mail entre Larossi Abballa et ses camarades témoignent de son impatience à rejoindre la frontière afghano-pakistanaise. Quand, en janvier 2011, l’un d’eux lui demande si ses parents sont d’accord, il répond : « Qu’ils le soient ou pas, ce ne sont pas mes histoires, je veux combattre pour Allah. »

Un mois plus tard, il insiste : « S’il vous plaît, laissez moi y aller, svp, svp, svp. » Avant de changer, progressivement, son fusil d’épaule. D’abord vers la Tunisie le président Ben Ali vient d’être chassé du pouvoir. Puis vers la France, comme en témoignent des échanges de messages obtenus par les enquêteurs. Quand l’un de membres de son groupe se plaint de devoir rentrer dans le pays, après seulement trois mois au Pakistan, il le réconforte : « Akhii, franchement, crois-tu qu’ils ont besoin de nous là-bas ‘ (..) Allah avec sa volonté va nous donner les moyens de hisser le drapeau ici, rien n’est fait, c’est un défi à relever. »

Quelques jours plus tard, il écrit à un autre : « Faut commencer le taf. » Et quand son ami lui demande de préciser, il répond : « Nettoyage de kouffar [infidèle]. » L’autre homme lui suggère de faire sauter Charlie Hebdo’. Et Larossi Abballa de lancer : « On va pas attendre d’être tous allés chez les frères [au Pakistan] et revenir chacun notre tour pour commencer. » Il insiste, deux semaines après : « Ne t’étonne pas si je quitte la Jama’a [communauté] et que je vais à la chasse aux kouffars. » Il assure pouvoir « se dégoter des armes ».

En garde à vue, il nie en bloc, y compris le fait même d’être le détenteur de l’adresse e-mail à l’origine des messages. Les enquêteurs l’ont pourtant rattachée à lui de manière formelle. Il reconnaît tout juste avoir recopié des adresses des commissariats de police et des mosquées dans un carnet découvert lors de la perquisition. Mais ne parvient pas à expliquer pourquoi.

A l’issue du procès, il est condamné à trois ans de prison dont six mois avec sursis. Ce qui correspond à la durée de sa détention provisoire. Il est donc libéré.

« Le Stage en explosifs »

Mohamed Abdul Raseed, un Indien de 34 ans considéré comme le chef de ce groupe d’apprentis djihadistes, est lui condamné à huit ans de prison et à une interdiction définitive du territoire français. Lors de son interpellation et des perquisitions, les policiers ont saisi des disques durs et des ordinateurs contenant des milliers de textes, ouvrages, photos, vidéos prônant le djihad ou détaillant la fabrication d’engins explosifs. Un ouvrage en anglais intitulé Le Stage en explosifs écrit par le chimiste d’Al-Qaida explique comment recycler des produits chimiques communs pour créer des explosifs.

Deux autres membres du groupe, Charaf-Din Aberouz, 27 ans, un habitant des Mureaux et Zohab Ifzal, un Franco-Pakistanais de 24 ans, avaient été arrêtés en janvier 2011 à la descente de l’avion à Lahore, au Pakistan, où ils projetaient de suivre un entraînement au combat armé. Placés en détention pendant quatre mois, ils avaient été expulsés vers la France le 22 mai et mis en examen quatre jours plus tard.

Dans l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, les juges Trévidic et Poux concluait sur le groupe : « Il convient de préciser que des actions violentes sur le territoire national ne sont pas à exclure. » Ils s’inquiètent notamment de « la réelle motivation de Mohamed Abdul Raseed (‘) lorsqu’il sollicite les membres du groupe pour lister les commissariats de police de leur département ». Mais ils n’ont pu déterminer, après des mois d’instruction, si ces huit hommes avaient concrètement prévu un attentat en France.

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