Prison ferme et 250 millions d’euros d’amende requis contre le marchand d’art Guy Wildenstein

Prison ferme et 250 millions d'euros d'amende requis contre le marchand d'art Guy Wildenstein

Le parquet a qualifié cette affaire de « fraude fiscale la plus sophistiquée et la plus longue de la Ve République ».

Le Monde
| 13.10.2016 à 19h05
Mis à jour le
14.10.2016 à 06h40
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Par Harry Bellet

A l’ouverture des réquisitions du procès pour fraude fiscale et blanchiment en bande organisée intenté à la famille Wildenstein, marchands de tableaux depuis 1875, devant la 32e chambre du tribunal correctionnel de Paris, et à ceux que le ministère public estime complices, la procureure Monica d’Onofrio n’y va pas de main morte : « C’est la fraude fiscale la plus sophistiquée et la plus longue de la Ve République ! »

Elle attesterait, selon elle, de la « mise en place de procédés, des montages conçus par des professionnels avertis à destination d’une famille qui a vécu dans l’opulence en payant peu d’impôt, que les citoyens du monde ne supportent plus ». Et de requérir, contre Guy Wildenstein, principal prévenu en tant que chef de famille, quatre ans d’emprisonnement, dont deux avec sursis, et 250 millions d’euros d’amende. En précisant : « Nous ne jugeons pas ici le droit d’être riche, ni les trusts. Nous sommes ici pour savoir si on a commis une fraude fiscale d’une gravité exceptionnelle. »

Des trusts, il a pourtant beaucoup été question lors de ce procès. Une entité juridique anglo-saxonne qui permet de mettre ses biens à l’abri, sous l’égide d’un « protecteur ». Ils sont tout ce qu’il y a de plus légal, sauf quand, comme l’accusation a tenté au long du procès de le démontrer, ils sont fictifs. C’est ainsi que maître Normand-Bodard, partie civile au nom du fisc français, qui réclame par ailleurs la bagatelle de 556 millions d’euros à la famille Wildenstein au titre de l’impôt sur les successions, définit ceux qui abritent les avoirs de la dynastie.

Un vaste système de dissimulation fiscale

Le principe est apparemment clair : si la constitution du trust est définitive et irrévocable, et que le « protecteur » le gère en toute indépendance, pas de souci. Or, la plupart des trusts créés par les Wildenstein (le premier par le patriarche Georges, mort en 1963, quatre ensuite par son fils et successeur Daniel, mort en 2001, trois par un des deux fils de ce dernier, Alec, frère de Guy, mort à son tour en 2008) ne répondent pas à cette obligation. Ils seraient révocables et de fait dirigés par les ayants droit. Et devraient donc être déclarés à l’administration fiscale, tant française pays de résidence de feu Daniel Wildenstein , qu’américaine, où vit son fils survivant Guy. Enfin, tous ou presque sont domiciliés dans des paradis fiscaux ou assimilés, ce qui a valu à la procureure ce beau lapsus, lorsqu’elle a cité, au lieu des Wildenstein, la famille « Lichtenstein »’

Les biens détenus par ces entités sont variés, mais assez difficiles à estimer, d’autant qu’ils sont la propriété d’une cascade de sociétés la procureure en a dénombré trente-trois créées par les trusts, dans le but, selon elle, de dissimulation fiscale : un avion privé, revendu depuis, des immeubles à New York, dont Guy Wildenstein pense qu’ils valent 125 millions de dollars, un ranch au Kenya, évalué par son neveu Alec « junior » (le fils d’Alec « senior ») à 10 millions de dollars, une île dans les Caraïbes, dont personne ne connaît la valeur exacte, et surtout des tableaux. Par exemple, 2 483 uvres déposées dans le Delta Trust, dont 1 749 n’ont, semble-t-il, jamais été estimées’ Beaucoup ont été déménagées de New York en Suisse, puis vers d’autres cieux, lors de la mort de Daniel Wildenstein, en 2001.

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Deux banques sur le banc des accusés

Guy Wildenstein, membre fondateur de l’UMP et ami personnel de Nicolas Sarkozy, lequel l’a décoré de la Légion d’honneur qu’il arborait au revers de sa veste lors de sa comparution au tribunal , n’est pas le seul prévenu dans cette affaire. Son neveu Alec « junior » est poursuivi aussi. Eu égard à son jeune âge (il avait toutefois 28 ans lors des faits qui lui sont reprochés), la procureure ne réclame pour lui que six mois de prison avec sursis. Pour sa belle-mère, Liouba Stoupakova, dernière épouse d’Alec « senior », que l’on croit coupable d’avoir signé de faux documents au moment de la succession de son défunt mari, un an de prison avec sursis est requis.

Leurs « complices », puisque c’est de complicité de blanchiment de fraude fiscale qu’ils sont accusés, sont au nombre de cinq : contre deux banques, la Northern Trust Fiduciary Services, à Guernesey, et la Royal Bank of Canada Trust Company (RBCTC), qui abritaient des trusts, a été requise l’amende maximale pour complicité de fraude fiscale, soit 187 500 euros. Pour l’avocat suisse Peter Altorfer, cheville ouvrière du système Wildenstein, le ministère public réclame trois ans de prison, dont deux avec sursis, et un million d’euros d’amende. Pour le notaire aujourd’hui retraité Robert Panhard, lequel a déposé les déclarations de succession litigieuses, qui, selon la procureure, « ne font pas honneur à sa profession », deux ans avec sursis et 37 500 euros d’amende.

Pour l’avocat français Olivier Riffaud, ancien inspecteur des impôts, devenu conseiller fiscal des Wildenstein (« un pompier pyromane, commente la procureure, ses courriers sont un mode d’emploi de la fraude fiscale »), deux ans de prison, dont un avec sursis, 500 000 euros d’amende et une interdiction d’exercer toute profession juridique pendant trois ans. La défense (il y avait une bonne vingtaine d’avocats dans la « salle des criées » du palais de justice où se tiennent ces audiences), plaidera à partir de lundi 17 octobre.

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