Paralympiques , le grand bond en avant du handisport français

Paralympiques , le grand bond en avant du handisport français

Le Monde
| 15.09.2016 à 16h49
Mis à jour le
18.09.2016 à 11h54
|

Par Erwan Le Duc

« Para », préfixe d’origine grecque signifiant « à côté de ». Dans leur appellation même, les Jeux paralympiques sont à part. Les athlètes en situation de handicap n’aspirent pourtant qu’à une chose : être reconnus en tant que sportifs de haut ­niveau, comme les autres, c’est-à-dire les valides. Un objectif qui ne ressemble plus à une chimère depuis le succès des Jeux de Londres en 2012, et que la 15e édition, à Rio, du deuxième événement sportif de la planète, avec ses 4 300 participants, est en passe de parachever.

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Une révolution copernicienne, qui tient d’abord au fait que ces Jeux sont, en France, tout simplement visibles. « La couverture en direct de France Télévisions [qui propose pour la première fois cent heures de retransmissions en direct], ça change tout. Les athlètes ont enfin un ­retour, ils ressentent l’enthousiasme ou les déceptions’ On a tellement été dans l’ombre que la médiatisation, on la prend, même si on souhaite qu’elle porte sur les performances sportives, sur le changement de regard, sur l’intégration de toute personne qui a une différence dans la ­société », explique Emmanuelle Assmann, présidente du Comité paralympique et sportif français (CPSF) et chef de la délégation tricolore à Rio.

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« Lors des Paralympiques de 2004, j’avais dû envoyer un télégramme à mon père pour lui dire qu’on avait remporté une médaille. L’anonymat était complet », rappelle encore l’ancienne épéiste, médaillée de bronze par équipes à Athènes.

Même le fait que la couverture médiatique ait été assez négative en amont, avec les polémiques liées à l’organisation, au manque de moyens du pays hôte ou à des ventes de billets inquiétantes, est perçu comme un signal positif. Celui d’une normalisation. « Ces polémiques sont finalement la rançon de la gloire. Avant, il y avait trois spectateurs en tribunes, mais ça ne choquait personne. Tant mieux si c’est l’inverse aujourd’hui », ­explique-t-on au sein du service de presse de la délégation tricolore.

« Des vraies stars, des idoles »

D’autant que l’affluence est finalement au rendez-vous, grâce à une grande ­braderie des billets  avec notamment un pic le samedi 10 septembre : 170 000 spectateurs dans le Parc olympique, record des JO battu.

« J’ai pris un selfie devant la foule, c’était infernal », témoigne le nageur Charles Rozoy, champion olympique du 100 mètres papillon (catégorie S8) en 2012, ­emballé par l’ambiance à Rio, malgré sa quatrième place dans sa course fétiche. « Dans le taxi, en rentrant du club France, le chauffeur commence à me parler de ­natation, des nageurs brésiliens, et là il ne me cite que les nageurs paralympiques, les Daniel Dias, André Brasil’ Pour lui c’était des vraies stars, des idoles. »

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Son camarade Florian Merrien, médaillé de bronze en tennis de table, abonde dans son sens, soulignant l’importance des nouveaux modes de communication. « L’intérêt pour les Paralympiques est grandissant, on le sent dans les médias, mais aussi beaucoup grâce aux réseaux sociaux, qui ont permis une ­démocratisation du handicap et du handisport. On se sent respectés pour nos performances, on nous regarde comme des athlètes plutôt que comme des personnes handicapées, à qui il manque une jambe ou un bras, qui pratiquent un sport. »

« On est forcément face à des gens qui ont des histoires de vie atypiques, et qui ont été obligés d’apprendre plus vite que les autres », rappelle Charles Rozoy, qui a perdu l’usage de son bras gauche après un accident de la route.

La fin de la compassion

« Derrière une performance, il y a souvent une histoire de vie qui peut évoquer beaucoup de choses aux gens, des échecs et des rebonds. Mais on va de plus en plus vers le sport. Aujourd’hui, ce sont d’abord les meilleurs sportifs qui sont le plus mis en avant’ Je le vois bien, je suis moins sollicité parce que je n’ai pas encore fait de médaille, rigole le nageur, ravi de ce changement de paradigme, qui a aussi son revers : Il va falloir être capable d’accepter la critique. Avant, on n’osait pas nous critiquer, à cause du handicap. Maintenant il va falloir accepter d’être jugés seulement sur nos performances. »

La fin de la compassion dans le regard des valides, c’est également ce que prône Hubert Ripoll, psychologue et auteur du livre La Résilience par le sport (Odile Jacob, 160 p., 19,90 ‘). « Tous les athlètes en situation de handicap que j’ai interrogés disent que le regard porté sur eux par la société française est stigmatisant. On préfère ne pas les voir, on se sent coupable de quelque chose au point qu’on ne les regarde pas, ou alors avec compassion », explique le spécialiste en neurosciences.

« Or, le sport permet de changer ça, en créant de l’empathie et en dépassant la différence, insiste Hubert Ripoll. Lorsque je vois ­Marie-Amélie Le Fur sur le podium, après ses victoires lors du saut en longueur ou du 400 mètres, malgré la lame en acier sur sa jambe, je rentre en empathie avec elle, elle entre de plain-pied dans mes émotions. Lorsque je regarde ce pongiste égyptien [Ibrahim Hamato, amputé des deux bras] jouer avec la raquette entre les dents, bien sûr, je suis ébahi, il fait des choses invraisemblables, mais quelque chose d’autre se passe : je communie avec lui, j’oublie le handicap pour penser au sportif. C’est la nature du regard qui change. »

Défier l’idée même de norme

Pour les acteurs et les spectateurs se joue, lors des Paralympiques, le spectacle d’une différence qui se dépasse d’abord par sa célébration, sa mise en scène dans une arène sportive, dans toute sa splendeur, et son invraisemblable richesse humaine et technologique. Une compétition qui défie donc l’idée même de norme, ne montrant que de l’exceptionnel.

« Je n’aime pas quand on dit que les athlètes paralympiques sont des athlètes comme tout le monde. Ils sont tous singuliers, c’est ça qui est beau et qu’il faut ­défendre : cette richesse de la singularité de chacun », explique Emmanuelle Assmann, qui s’enthousiasme en évoquant la campagne de communication du diffuseur anglais Channel Four, présentant les personnes en situation de handicap comme des « superhumans ». Une campagne qui a aussi été critiquée outre-Manche précisément parce qu’elle va contre la normalisation du regard.

« Mais on a besoin de rentrer un peu dans le lard pour pouvoir exprimer des choses. Si on est timoré, rien ne bouge », estime la présidente du CPSF, suivie par Charles ­Rozoy. « Elle est magnifique, cette campagne de pub. C’est un coup de buzz, mais ça a marché, ça a choqué les gens. Il faut communiquer, ne pas s’en excuser ! », s’exclame le nageur.

« Une fois qu’on a attiré l’attention, on peut recentrer le discours, expliquer que toutes les personnes en situation de handicap ne sont pas des super-héros ou des athlètes, que chacun a son rêve, et qu’il faut s’attacher à réaliser le sien, pas ­celui des autres », continue Charles Rozoy, qui, comme plusieurs de ses camarades paralympiens, intervient régulièrement dans des entreprises ou auprès des écoles afin de partager son expérience.

Les JO de 2024 à Paris, « un formidable coup d’accélérateur »

Pour continuer de grandir, notamment sportivement  le bilan de l’équipe de France à Rio est, malgré quelques éclatantes réussites, assez mitigé ‘, le handisport tricolore s’est beaucoup investi dans la candidature de Paris pour les Jeux de 2024. « Ça donnerait un formidable coup d’accélérateur au développement du sport pour les gens en situation de handicap, mais aussi à toute la société, au regard porté sur le handicap, à l’accessibilité de toutes les structures’ », ­confirme Emmanuelle Assmann.

« On a des beaux discours d’élus qui sont pleins de bonnes intentions par rapport au handicap, renchérit Ryadh Sallem, membre de l’équipe de France de rugby fauteuil à Rio. Mais, dans la réalité, les lois sont toujours remises à plus tard et les ­infrastructures ne sont pas accessibles à tous. Pour qu’il y ait une politique volontaire sur le handicap, il faut des événements comme Paris 2024. »

En imaginant que la société française puisse alors s’inspirer de la devise du Comité paralympique international, « L’esprit en mouvement ». « On peut même aller plus loin, rebondit Hubert Ripoll : Le mouvement peut être tel que l’esprit peut s’envoler. Etirer le corps là où il n’aurait jamais été’ »

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