Ouverture du procès d’une mère infanticide à Saint-Omer

Ouverture du procès d'une mère infanticide à Saint-Omer

Le Monde
| 20.06.2016 à 06h49
Mis à jour le
20.06.2016 à 07h35
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Par Pascale Robert-Diard

L’enquête est pleine de chiffres, secs et nus. Le 19 novembre 2013, à 10 h 51, gare du Nord à Paris, Fabienne Kabou a acheté un billet de train aller-retour au tarif « Découverte Enfant » pour une somme de 69,10 euros. Elle est montée avec sa fille Adélaïde, quinze mois, et la poussette de l’enfant, à bord du TER de 11 h 46, qui arrivait à 14 h 23 à Rang-du-Fliers (Nord). La mère et l’enfant ont ensuite pris à 14 h 50, le bus à destination de Berck-sur-Mer, et en sont descendues à 15 h 05. À 16 h 34, une caméra de vidéosurveillance les a saisies cheminant dans une rue de la ville en direction de la plage. Elles se sont présentées quelques minutes plus tard à la réception de l’hôtel Le Littoral, où Mme Kabou a réservé une chambre pour la nuit. Elle en est ressortie avec sa fille à 21 h 06. Vers 21 h 40, elle est rentrée à l’hôtel, seule.

Cette nuit-là, la température de l’air sous abri a oscillé entre 5,3 degrés à 18 heures, et 0,2 degré le lendemain à 6 heures. Celle de l’eau était de 13 degrés. Le coefficient de marée était de 83, avec une pleine mer à 0 h 54 et une basse mer à 8 h 06. Le lendemain matin, 20 novembre, à 10 h 10, Fabienne Kabou a repris le bus en gare de Berck, pour rejoindre celle de Rang-du-Fliers et Paris Nord. Deux heures plus tôt, à 8 h 20, un pêcheur s’était présenté au commissariat de police de Berck pour signaler la découverte du corps sans vie d’une enfant, allongée sur le dos, vêtue d’une combinaison de couleur sombre, la tête lovée dans une capuche bordée de fourrure. Adélaïde pesait 9, 330 kg, mesurait 74 cm, elle avait six dents.

Le procès de Fabienne Kabou, 39 ans, renvoyée devant la cour d’assises du Pas-de-Calais sous l’accusation d’assassinat, s’ouvre lundi 20 juin à Saint-Omer. La cour et les jurés se sont donné cinq jours pour tenter de percer les ténèbres d’un geste, derrière la glaciale clarté des chiffres.

Officiellement, Adélaïde n’existait pas

L’enquête était allée vite. Dix jours après la découverte de l’enfant, Fabienne Kabou était interpellée à Saint-Mandé (Val-de-Marne) au domicile de son compagnon Michel Lafon, un atelier sommairement aménagé par cet ancien cadre supérieur dans la finance, devenu sculpteur, de trente ans son aîné. Aux policiers, elle confirmait qu’elle était bien la mère d’une fillette née le 9 août 2012. Elle leur expliquait d’abord qu’elle venait de confier la garde de l’enfant à sa propre mère pour une durée d’un an, au Sénégal, afin de pouvoir poursuivre ses études de philosophie. Elle précisait que la grand-mère et l’enfant s’étaient envolées vers Dakar le 21 novembre.

Quelques heures plus tard, elle avouait tout. Le voyage en train, le choix de Berck, « pour la sonorité désagréable de ce nom », les horaires des marées qu’elle avait consultés et l’abandon de sa fille à la mer. « Elle était endormie, docile, je lui ai demandé pardon », a-t-elle dit. Au juge d’instruction Hervé Vlamynck, elle a confié que « le plus difficile avait été de franchir la porte de l’atelier. Après, tout s’est enchaîné parfaitement, on aurait dit que j’avais le vent dans le dos. C’était comme si je me sentais portée. Je n’arrivais pas à dire stop. »

Officiellement, Adélaïde n’existait pas. Quinze mois plus tôt, Fabienne Kabou avait donné naissance à sa fille, seule, à l’atelier. Elle ne l’avait pas déclarée à l’état-civil. Son compagnon et père de l’enfant était alors au chevet de son frère malade. Lorsqu’il était revenu, Fabienne Kabou lui avait dit avoir accouché à la clinique des Bleuets. Il n’en avait pas demandé davantage, et ne s’était pas plus préoccupé de reconnaître sa fille. Il ne s’était pas étonné non plus lorsque Fabienne Kabou lui avait annoncé qu’elle allait confier Adélaïde à sa mère. Il les avait seulement accompagnées jusqu’à l’arrêt du bus, près de l’atelier. Puis il avait rangé les quelques jouets et les rares vêtements qui restaient, et en avait fait un lot pour Emmaüs.

Isolée du monde depuis des années

Le couple s’était rencontré en 2001, lors d’un vernissage. Fabienne Kabou, élevée dans un milieu aisé de Dakar, était venue à Paris après son baccalauréat, pour poursuivre des études. De double nationalité, sénégalaise et française, elle travaillait alors comme hôtesse et venait d’achever sa licence de philosophie. En 2007, alors qu’elle se trouvait sans ressources, Michel Lafon lui avait proposé de venir vivre avec lui à l’atelier. Enceinte à deux reprises, elle avait avorté. Elle n’avait annoncé sa troisième grossesse à son compagnon qu’une fois dépassée la date légale autorisée pour une interruption.

Cela faisait déjà quelques années que Fabienne Kabou s’était isolée du monde. Elle avait rompu avec son père, traducteur auprès des Nations unies, qui semblait lui en vouloir d’avoir échoué à mener la carrière brillante qu’il espérait d’elle. A sa mère, domiciliée en Espagne, avec laquelle elle s’entretenait chaque semaine au téléphone, elle avait tu la naissance d’Adélaïde. Elle avait aussi renoncé aux études et fermé son compte bancaire. Son couple vacillait, elle se sentait mal, avait des hallucinations, croyait entendre les voix des défunts de sa famille qui s’acharnaient contre elle, et elle consignait tout cela dans un carnet.

Des croyances irrationnelles

Les trois collèges d’experts qui l’ont examinée ont tous été frappés par sa grande intelligence elle a un quotient intellectuel très supérieur à la moyenne , mais aussi par la foi qu’elle accorde à des croyances irrationnelles, comme la sorcellerie. Ils ont conclu qu’au moment des faits, son discernement et le contrôle de ses actes n’étaient pas abolis, mais altérés.

« Dans son délire, c’est pour protéger sa fille de la malveillance qu’elle a dissimulé sa grossesse et qu’elle ne l’a pas fait inscrire à l’état-civil. Le passage à l’acte accompagne la conviction que son enfant était en danger majeur », écrivent les docteurs Daniel Zagury, Roland Coutanceau et Mourassis Wilquin.

Sa mort a donné un état civil à Adélaïde Kabou, qui a été enterrée dans un cimetière de Boulogne-sur-Mer en décembre 2013. Elle y a été accompagnée par ses grands-parents maternels, qui se revoyaient pour la première fois depuis trente ans, ayant appris, quelques heures plus tôt dans le cabinet du juge d’instruction, à la fois la vie et la mort de leur petite-fille. Fabienne Kabou encourt la réclusion criminelle à perpétuité. Avait-elle vu, avant de le choisir, que l’hôtel Le Littoral, à Berck-sur-Mer, est situé au 36, avenue Marianne Toute Seule ‘

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