Nétanyahou demande la grâce du soldat qui a achevé un Palestinien

Nétanyahou demande la grâce du soldat qui a achevé un Palestinien

Elor Azaria, 20 ans, était jugé pour avoir, le 24 mars 2016, tué d’une balle dans la tête un Palestinien blessé qui gisait au sol.

Le Monde
| 04.01.2017 à 12h20
Mis à jour le
05.01.2017 à 03h30
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Par Intérim (Jérusalem, correspondant)

Le tribunal militaire israélien de Jaffa a déclaré coupable d’homicide Elor Azaria, un soldat franco-israélien, mercredi 4 janvier. Le militaire était accusé d’avoir achevé un assaillant palestinien blessé, après des mois d’un procès exceptionnel qui divise profondément ses compatriotes. La sentence sera prononcée à une date ultérieure.

Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a très vite réagi au verdict sur son compte Facebook. « C’est un jour difficile et douloureux pour nous et particulièrement pour Elor et sa famille (‘) pour beaucoup de soldats et de parents de soldats, et parmi eux, moi-même », a-t-il écrit.

« Nous avons une armée, qui est la base de notre existence. Les soldats de cette armée sont nos fils et nos filles ; nous devons rester au-delà de tout différent. (‘) Je soutiens la grâce demandée pour Azaria. »

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« Il savait ce qu’il faisait »

Lors de l’audience mercredi, la juge Maya Heller a déclaré qu’Elor Azaria avait agi « sans raison » et que « le terroriste ne présentait pas de menace », récusant l’un des principaux arguments de la défense. Dès l’ouverture du procès, le 9 mai 2016, l’avocat d’Elor Azaria avait en effet invoqué un « acte de légitime défense » puisque le « terroriste » palestinien pouvait porter une ceinture d’explosifs. « Il savait ce qu’il faisait », a poursuivi Mme Heller, avant de reprocher au jeune homme de ne pas avoir suivi le protocole de l’armée israélienne.

Accusé d’homicide, Elor Azaria encourt une peine maximale de vingt ans de prison. Si la décision des juges était tant attendue, c’est parce que l’affaire a pris une tournure symbolique et politique sans précédent en Israël. Le quotidien Haaretz parlait mercredi matin d’un des procès les plus suivis dans l’histoire de l’armée israélienne.

Les réactions politiques ne se sont pas fait attendre, révélatrices de deux camps qui se sont affrontés pendant toute la durée du procès : un état-major et une opposition qui considéraient Elor Azaria comme coupable, tandis qu’il était défendu par la droite, dont une minorité l’avait érigé en véritable héros.

La veille du verdict, Gadi Eizenkot, le chef de l’état-major, avait récusé le slogan de certains de ses partisans qui le désignaient comme « notre enfant à tous ». « Ce n’est pas notre enfant, c’est un combattant, un soldat qui doit consacrer sa vie à s’acquitter des tâches que nous lui confions », avait-il corrigé, avant de dénoncer un discours ambiant « qui méprise les valeurs les plus fondamentales » de l’armée et ses règles d’engagement.

Malgré « un verdict difficile », Avigdor Lieberman, ministre de la défense, a prescrit de respecter la décision du tribunal et de « montrer de la retenue ». Quelques mois auparavant, le 29 mars 2016, celui qui n’était encore que député à la Knesset (le Parlement), pour la formation nationaliste Israël Beitenou, avait rejoint les partisans d’Elor Azaria qui manifestaient devant le tribunal militaire à Jaffa. Là, il avait assuré que l’accusation était sans fondement et que « tout terroriste [devait] être tué ».

« Condamné comme un criminel »

Il a été « le premier à contaminer la procédure en tant que représentant élu », lui a reproché aujourd’hui Yoel Hasson, un député de l’opposition. Mercredi matin encore, pendant la lecture du verdict à Tel-Aviv, des centaines de manifestants s’étaient rassemblés pour soutenir, parfois violemment, le soldat.

Avigdor Lieberman est cependant bien le seul de son camp à parler ainsi. Dès l’annonce du verdict, des parlementaires de droite ont aussitôt demandé la grâce du jeune homme de 20 ans : parmi eux, la ministre de la culture, Miri Regev (Likoud), qui a déposé une demande de grâce officielle au ministère de la défense. « C’est ainsi qu’on traite un de nos soldats », a-t-elle déclaré, ajoutant que le procès « n’aurait jamais dû avoir lieu » et qu’une « procédure disciplinaire » établie par le commandant de brigade aurait suffi.

« Aujourd’hui, un soldat qui a tué un terroriste qui méritait de mourir et qui avait essayé de tuer un [autre] soldat a été menotté et condamné comme un criminel », a dénoncé le ministre de l’éducation, Naftali Bennett, à la tête du parti nationaliste religieux Habeit HaYehudi. « Quand tout le système du pays marche contre vous, il n’y a pas, et il n’y avait pas, de chance pour un procès juste », s’est résigné Bezalel Smotrich, un député du même parti.

Alors que le camp de la droite en appelle à la clémence du président israélien, Reuven Rivlin, beaucoup de représentants de l’opposition ont salué le jugement. Le tribunal s’est conduit « avec professionnalisme et courage », a félicité Shelly Yacimovich, député du Parti travailliste. « Trois juges indépendants ont donné leur verdict et chacun devrait en respecter le processus et la décision, a déclaré Isaac Herzog, président du Parti travailliste. L’assaut sur les juges, sur l’armée, sur l’état-major et les commandants de l’armée doit cesser. » Il s’est engagé à soutenir Gadi Eizenkot à l’avenir, mais a aussi rappelé « les circonstances de l’incident » et « la situation impossible à laquelle les soldats israéliens doivent faire face jour après jour ».

« Perversion de la justice »

Ayman Odeh, président de la Liste arabe unie à la Knesset, a plus clairement dénoncé l’occupation israélienne à Jérusalem-Est et en Cisjordanie et « la corruption morale » qui en résulte, ainsi révélée par le procès. Le soldat est certes « responsable de ses actions », mais le député considère que « les vrais responsables sont les gouvernements d’Israël qui ont, depuis cinquante ans, choisi de faire des jeunes hommes et des jeunes femmes des soldats dont le rôle est de maintenir la loi militaire sur une population civile privée de droits ».

Si le procès Azaria a été ainsi révélateur des tensions et non-dits que traverse la société israélienne, « les épaules d’Azaria sont trop étroites pour [en] supporter le poids », a averti Shelly Yacimovich. Après les émeutes de mercredi matin à l’extérieur du tribunal, entre la police et des militants d’extrême droite venus soutenir Elor Azaria, Yair Lapid, président du parti Yesh Atid, a appelé au calme et à l’unité pour « éviter un schisme » dans la société israélienne, mais aussi toute rébellion contre l’armée, une des institutions de l’Etat d’Israël.

De son côté, Fathi Al-Sharif, l’oncle de l’assaillant tué à Hébron, ne se fait pas d’illusions. Interrogé par le quotidien Haaretz, il a regretté que le soldat ait été accusé d’« homicide » et non pas de « meurtre » comme c’était le cas au début. Le 31 mars 2016, les procureurs ont en effet décidé de requalifier son geste. Le signe d’une « perversion de la justice et du tribunal », selon le Palestinien, qui prévoit de toute façon « une sentence légère » ou la grâce, vu « les pressions exercées sur le système et la sympathie que le soldat s’est attirée de la part de la société israélienne ».

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