Ne sous-estimons pas la gravité des perturbateurs endocriniens sur la fertilité 

 Ne sous-estimons pas la gravité des perturbateurs endocriniens sur la fertilité 

Le professeur François Olivennes, gynécologue obstétricien, estime que « le drame potentiel le plus grave des perturbateurs endocriniens concerne les femmes ».

Le Monde
| 04.12.2016 à 07h38
Mis à jour le
04.12.2016 à 14h05
|

Par François Olivennes (gynécologue obstétricien)

On ne peut que se féliciter de la tribune parue dans Le Monde daté du 30 novembre concernant les dangers des perturbateurs endocriniens, et des articles pointant du doigt le retard de Bruxelles à sévir et à réguler l’utilisation de ces produits, qui pourraient être considérés comme de véritables poisons pour la santé.

Il me semble cependant qu’il manque le mot « infertilité » dans cette tribune listant les risques que semblent entraîner ces molécules.

Concernant la fertilité masculine, des éléments scientifiques pointent du doigt la probable contribution des perturbateurs endocriniens dans la baisse de la qualité spermatique, comme le signale la tribune. Ces molécules jouent probablement un rôle dans une baisse de la fertilité, même si cette corrélation n’est pas encore parfaitement démontrée et fait l’objet d’interprétations contradictoires.

La fertilité masculine est évaluée par l’analyse du spermogramme qui peut être, de plus, répété à volonté pour surveiller les effets potentiels. On peut aussi surveiller son évolution devant la suppression de l’exposition au produit chimique, comme on a pu le voir avec certains ouvriers agricoles ayant des pathologies spermatiques reliées à des pesticides, qui ont vu les valeurs de leur spermogramme s’améliorer après l’arrêt de l’exposition aux molécules incriminées.

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Principe de précaution

Mais le drame potentiel bien plus grave concerne les femmes. D’abord la reproduction de la femme est fondamentalement différente de celle de l’homme. L’homme fabrique toute sa vie des millions de spermatozoïdes. La femme naît avec un stock d’ovocytes (ou ovules) qui va décroître avec le temps de manière physiologique. La dégradation de ces ovocytes peut être accélérée par des produits chimiques, comme les chimiothérapies par exemple, qui peuvent sauver une femme de certains cancers mais parfois au prix d’une stérilité définitive par destruction ovocytaire. L’impact potentiel des perturbateurs endocriniens pourrait entraîner des effets irréversibles s’ils contribuaient à une destruction des ovocytes, ou même a une diminution du stock folliculaire d’un f’tus féminin que porterait une femme enceinte exposée.

Le problème est que l’évaluation de la fertilité de la femme est bien plus difficile que celle de l’homme. Pour affirmer l’impact éventuel des perturbateurs endocriniens sur la fertilité féminine de manière indiscutable, il faudrait mettre en évidence que les femmes exposées font moins d’enfants, ou ont plus de difficulté a les concevoir. Or la période de fertilité d’une femme s’étend sur une vingtaine d’années, et la plupart des femmes font en général deux enfants. Il est donc bien difficile de mesurer a court terme une baisse de la fertilité.

Cependant, la majorité des médecins impliqués dans le traitement de l’infertilité ont le sentiment de voir de plus en plus de femmes jeunes ayant une fonction ovarienne altérée. Le lien avec les perturbateurs endocriniens n’est pas établi. Mais tout comme dans la fertilité masculine, ils pourraient au minimum jouer un rôle, même s’il peut exister plusieurs facteurs contributifs.

Si les enjeux du rôle des perturbateurs endocriniens sur la survenue de cancers sont considérables, ne sous-estimons pas la gravité que représente l’impact de ces molécules sur la fertilité. Il est plus que temps que le principe de précaution s’applique a ces poisons dont les effets sont malheureusement difficiles à évaluer.

Le Professeur François Olivennes est gynécologue obstétricien, spécialiste des traitements de l’infertilité

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