Monde Festival , Edouard Louis évoque  la résistance du corps  face à la violence

Monde Festival , Edouard Louis évoque  la résistance du corps  face à la violence

La salle de l’Opéra Garnier est comble, ce samedi 17 septembre, pour écouter la « conversation avec Edouard Louis » animée par Jean Birnbaum, directeur du Monde des livres. Une conversation qui s’ouvre sur le thème de cette année : « Agir ». Car dans les romans d’Edouard Louis, la question de l’agir est essentielle, et d’abord par la présence du corps, le corps violenté, souffrant, mais par lequel passera aussi l’affirmation de soi.

« La question de l’agir politique, pour les gens avec qui j’ai grandi, c’était d’abord la question du corps », raconte l’écrivain, évoquant l’urgence des besoins, se nourrir, se soigner, comme premiers prismes de l’appréciation du politique, notamment à travers l’impact sur la vie des plus pauvres des mesures sociales (ou de leur absence). « Nous avions conscience du fait que moins on possède de capital culturel, économique ou social, et plus on est lié à la politique. »

Et puis ce corps, Edouard Louis le travaille, le transforme, pour échapper à son milieu. « Quand j’ai quitté le lieu de mon enfance, je m’entraînais à rire, à parler sans accent. C’était une surveillance du corps », ce corps qui est à un héritage, l’espace ou s’exerce l’habitus bourdieusien, mais aussi « le lieu de l’écart que l’on peut produire par rapport à une vérité que l’on n’a pas choisie ». Et de souligner une sorte d’expérience « heureuse » de ce que l’on est, en décalage avec la norme. « Quand j’ai rouvert Eddy Bellegueule, cela m’a frappé : au fond, personne ne respecte les règles ! », s’amuse l’écrivain. « Peut-être que la violence du monde, c’est l’écart entre la loi et nous, c’est cet écart qui produit la honte. » Mais cette honte est tout ce qu’il en reste, car « le pouvoir échoue à nous transformer ».

La « norme » sexuelle est une pression sur le corps

Dans le milieu ouvrier pauvre où a grandi Edouard Louis, la « norme » sexuelle, viriliste, est à la fois une pression sur le corps et ce qui va lui permettre d’imposer sa transformation, son arrachement : « La découverte de l’identité gay a été comme la découverte d’une histoire qui m’avait attendue », raconte-t-il, dans ce geste paradoxal d’affirmation de soi par l’appartenance à une minorité : « Comme les femmes au cours de l’histoire, quand elles ne veulent plus être seulement des femmes, qui créent des mouvements féministes, descendent dans la rue et affirment je suis une femme’ », s’amuse-t-il.

Edouard Louis revient également sur l’un des propos qui traverse son premier roman, En finir avec Eddy Bellegueule. L’obsession des hommes de son village, de son père et de ses frères, pour l’idée d’être « un dur », la hiérarchisation de toutes les valeurs à partir des attributs masculins : « Toute la question des classes sociales, c’est la question du genre, de la féminité et de la masculinité », explique-t-il, de sorte que « la définition de soi comme appartenant aux classes populaires est une lutte contre les marques de la féminité ». Les manières dites « féminines » sont les attributs de la bourgeoisie. Dans Eddy Bellegueule, l’auteur évoque sa surprise en rencontrant pour la première fois, dans son lycée d’Amiens ville où il n’était presque jamais allé  des garçons qui « se font la bise ». Des corps qui se comportent différemment, des corps « bourgeois », dit le texte. Edouard Louis commente : « Les ouvriers que je rencontrais associaient toujours l’homosexualité au dominant. Le signifiant féminin, paradoxalement, était lié au dominant, alors que les femmes sont une catégorie dominée. »

Dans cet arrachement du corps à son origine sociale, Edouard Louis réapprend aussi un langage, une façon de s’exprimer différente de celle de ses parents. Au point de ne pas pouvoir la retrouver. « Entre les deux romans, vous avez quitté la langue d’où vous venez, celle de votre famille », commente Jean Birnbaum. Edouard Louis évoque alors ses efforts pour retrouver les mots de sa famille, leurs expressions, leur langue « saccadée ». Il dit avoir essayé d’enregistrer sa s’ur et sa mère avant d’écrire Eddy Bellegueule, sans que cela ne fonctionne.

A la fin de la rencontre, la salle pleine de lecteurs assidus demande à l’auteur ce qu’il y a de plus violent, entre la stigmatisation de l’homosexualité et la violence sociale de l’écart avec son milieu d’origine. « Comme disait Michel Foucault, on ne peut pas hiérarchiser les violences », répond Edouard Louis, qui se réjouit, au contraire, que l’on puisse désormais produire une littérature qui se fasse l’écho de plusieurs identités à la fois, et non uniquement celle des femmes, ou des homosexuels, ou des milieux ouvriers. « Il faut produire une littérature qui prendrait en compte la pluralité des catégories auxquelles on appartient », affirme-t-il. Evoquant les auteurs de la « littérature gay » qui ont compté pour lui, comme Hervé Guibert et Jean-Luc Lagarce, Edouard Louis affirme « c’est ça, la bonne nouvelle de la littérature. Il n’y a plus seulement le point de vue de l’homme blanc hétérosexuel ».

Lire aussi :
 

Edouard Louis et le mauvais garçon

Leave A Reply