Migrants, c’est où le répit’

Allex (drôme). Une place de village avec son église, son tabac, son bureau de poste, son école et sa mairie. Et même sa petite supérette. Enfin, puisqu’on est au c’ur de la Drôme, son soleil éclatant.

C’est mignon, niché sur un vallon qui annonce les premières senteurs provençales, et surtout tout à fait tranquille. Rien ne bouge, personne ne passe. Il est difficile d’imaginer qu’il y a quelques jours, ici, on vociférait, on insultait, on menaçait, et tout ça parce que le gouvernement a annoncé qu’une cinquantaine de migrants pourraient arriver dans quelques semaines.

Oh, pas ici, sur cette place déserte, mais dans un château un peu perdu dans la lande, à deux bons kilomètres de là. Le Domaine de Pergaud, qui appartient au Diaconat protestant, accueillait jusqu’en décembre dernier un centre d’aide par le travail à destination d’anciens alcooliques ; aujourd’hui, il est vide.

Sortant du tabac, une jeune femme se souvient de cette opposition qui lui a fait un peu peur, l’autre samedi : « Il y avait des gens du Front national, avec des banderoles, et quelques personnes d’ici, qui criaient derrière eux’ » Le FN a fait 27 % aux dernières régionales, à Allex. « Il y avait aussi beaucoup de gens qu’on ne connaissait pas. » Et tout ce beau monde vociférait qu’Allex « 
ne veut pas devenir Calais », que « ces gens-là doivent savoir avant de venir qu’on ne veut pas d’eux ici » et même, c’est arrivé au moins une fois, qu’ « on ne veut pas que nos filles se fassent violer ».

Dans les lotissements de petites maisons provençales, il est difficile de trouver quelqu’un qui veuille bien commenter cela. On rentre, on ne veut pas parler. Devant le tabac, la jeune mère de famille et deux autres Allexois n’en reviennent toujours pas : « 
On ne les verra jamais, ces gens. Ils seront au château, ils ne viendront jamais ici. Et même s’ils viennent’ »

Agitation

S’ils viennent, ça dérange du monde, semble-t-il. Au point que le maire, Gérard Crozier, a cru bon de calmer un peu toutes ces ardeurs xénophobes en organisant, le 2 octobre prochain, un référendum sur le sujet : « Ce que ne supportent pas les Allexois, surtout, c’est d’être mis devant le fait accompli. Je veux demander l’avis de tous ces gens qui m’ont élu. » Sauf que cette consultation ne sert à rien : le pouvoir décisionnel est loin de l’étage communal. La préfecture a même fait savoir que c’est illégal.

Une chose agace les gens de la petite troupe qui a fini par se former devant le tabac : « 
Le curé a fait remarquer qu’il y avait beaucoup de gens qui ne sont pas d’ici’ » Comme si on avait cherché à remuer quelque chose. Tout comme à Saint-Denis-de-Cabanne, quatre jours plus tôt. C’est un autre village charmant, trois cents kilomètres plus au nord, dans la Loire.

Là, c’est quand le sous-préfet et le maire ont organisé une réunion d’information, au sujet de quatre-vingts migrants qui devraient arriver en novembre, qu’une militante du FN a voulu les interrompre, prendre une petite foule à témoin de l’envahissement qui se prépare, des crimes qui ne manqueront pas’ Le maire, René Valorge, parle d’un comportement « haineux et raciste ». Et lui aussi dit qu’il y avait bien peu des mille trois cents habitants de son village dans ce groupuscule éructant.

Cinquante par-ci, quatre-vingts par-là, il devrait y avoir un peu moins de mille huit cents migrants disséminés parmi près de huit millions d’habitants de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Mais dès cette annonce, Laurent Wauquiez, son président, avait appelé au refus, au rejet. Il semble suivi par une toute petite partie de sa population, qui vocifère à sa suite. La majorité, elle, se demande pourquoi tant de bruit.

5700

C’est le nombre de personnes accueillies au 15 septembre, selon le ministère, dans les 161 centres d’accueil et d’orientation ouverts depuis début 2015. L’ambition est de trouver 9 000 places supplémentaires.

Un mieux, c’est vrai, mais après

Vintimille. La première lettre d’instruction du ministère de l’Intérieur, au début de l’année 2015, indiquait sa volonté de considérer les CAO comme des « 
centres de répit ». Une sorte de pause, après les conditions de vie inhumaines du camp de Calais, le temps de prendre une décision pour l’avenir.

Le plus simple, évidemment, c’est d’obtenir un dossier de demande d’asile, pour ceux qui ont fini par renoncer à leur rêve britannique. C’est d’ailleurs ce qu’on leur a souvent promis à l’intérieur du camp de Calais. Un jeune Malien qui assure s’appeler Ali s’était laissé tenter, au printemps dernier. Après deux jours de discussion, il est monté dans un bus qui l’a amené dans l’est de la France, où il a été accueilli’ avant d’être expulsé en Italie, d’où il venait.

« Une trahison »

Ali montre dans son téléphone les photos de la vie dans le camp et des panneaux d’information promettant que tout se règle pour les migrants dans les centres d’accueil et d’orientation. « C’est une trahison
 », lâche-t-il un peu abattu. Après un moment de dépression profonde, il a repris la route depuis le sud de l’Italie, et le voilà aujourd’hui bloqué à Vintimille, où la frontière est fermée.

à Istres aussi, certains ont préféré quitter le confort du centre pour la rue, de peur d’être renvoyés dans le pays où ils ont été contrôlés en premier. Le plus souvent en Italie ou en Grèce, voire en Bulgarie, en Hongrie’ Ali raconte que beaucoup d’entre eux se sont brûlé le bout des doigts pour effacer leurs empreintes.

Mais de Marseille à Digne, et à travers tout le pays, les accords de Dublin ne sont pas mis en uvre avec le même zèle. Quand le préfet des Bouches-du-Rhône affirme son intransigeance, d’autres permettent des demandes d’asile à des personnes enregistrées dans d’autres pays, au compte-goutte. Des consignes de mansuétude auraient été discrètement données depuis Paris.

E. D.

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