Les musulmans de France une population jeune et diverse

Les musulmans de France une population jeune et diverse

Le Monde
| 18.09.2016 à 02h39
Mis à jour le
18.09.2016 à 10h05
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Par Cécile Chambraud

L’Institut Montaigne (un think tank créé en 2000) publie une enquête pionnière au fort potentiel polémique sur les musulmans de France intitulée : « Un islam français est possible », et dont rend compte le Journal du Dimanche, le 18 septembre. Ce document, rédigé par Hakim El Karoui, conseiller en stratégie et ancien collaborateur de Jean-Pierre Raffarin à Matignon, s’appuie sur un gros sondage effectué par l’IFOP auprès de 1 029 personnes de confession (874) ou de culture (155, ayant un parent au moins musulman mais ne se disant pas musulman) musulmane, elles-mêmes extraites d’un échantillon de 15 459 personnes âgées de 15 ans et plus représentatif de la population française.

Ces données fournissent des renseignements précieux sur les musulmans de France, dans un pays où le maniement des statistiques ethniques ou religieuses est très encadré par la loi. Elles frappent par l’ampleur de l’adhésion (28 %) à un islam d’affirmation, critique de la laïcité, d’abord soucieux de la loi religieuse, qualifié de « fondamentaliste » et de « sécessionniste » dans le rapport. Et si la majorité des musulmans ne s’y reconnaissent pas, pas moins de la moitié des 15-25 ans, eux, se rangent dans cette catégorie. Il s’agit donc d’une tendance lourde, qui touche les jeunes de manière puissante, dans un paysage religieux par ailleurs très différencié.

Cette importante enquête (réalisée par téléphone du 13 avril au 23 mai) permet d’évaluer la part des personnes se disant musulmanes à 5,6 % de la population globale (soit environ 3,7 millions) et à 1 % (quelque 660.000) celles ne se déclarant pas musulmanes tout en ayant au moins un parent musulman, et qui traduisent un processus de « sortie de la religion ». Cette population est plus jeune que la moyenne, au point que la part des musulmans monte à 10 % chez les 15-25 ans. Elle est française de naissance à 50 %, par acquisition de la nationalité à 24 %.

Les musulmans de confession ont en commun une pratique religieuse plus soutenue que le reste de la population. Même si 30 % ne se rendent jamais à la mosquée, 31 % y vont au moins une fois par semaine. La pratique de la prière est encore plus fréquente : la moitié de ceux qui ne vont dans un lieu de culte que pendant le ramadan observent les cinq prières quotidiennes, ainsi que 45 % de ceux s’y rendant moins souvent.

Marqueurs de l’identité

Deux éléments apparaissent comme de véritables marqueurs de l’identité musulmane, pratiquante ou non, tant ils sont partagés. Il s’agit d’abord de la viande halal, consommée exclusivement par 70 % d’entre eux et occasionnellement par 22 %. L’attachement à cette pratique conduit huit musulmans sur dix à estimer que les enfants devraient pouvoir manger halal à l’école.

L’autre marqueur est le voile. Quelque 65 % des musulmans de confession ou de tradition se disent favorables au voile et 24 % sont favorables au port du voile intégral, les femmes étant un peu plus favorables que les hommes dans l’un et l’autre cas. Cette approbation n’entraîne pas nécessairement une pratique : les deux tiers des femmes disent ne pas porter le voile, tandis que 35 % le portent, soit « toujours » (23 %), soit sauf sur le lieu de travail ou d’étude (7 %), soit « rarement » (5 %).

À travers le traitement statistique des réponses, les enquêteurs ont identifié six catégories partageant un même système de valeurs construisant leur rapport au religieux. Ces groupes s’étagent des personnes les plus éloignées de la religion, favorables à la laïcité, ne formulant aucune revendication d’expression religieuse dans la vie quotidienne, à ceux ayant une vision plus engagée, présentant « des traits autoritaires », souvent favorables au port du niqab, à la polygamie, critiquant la laïcité.

Trois groupes identifiés

In fine, soutiennent les auteurs, ces catégories pourraient être résumées en trois groupes. Le premier, représentant 46 % des musulmans de foi ou de culture, regroupe les personnes n’ayant pas ou peu de revendications d’expression religieuse dans le quotidien et plaçant la loi de la République avant la loi religieuse tout en conservant une pratique très supérieure à la moyenne nationale. Le rapport les qualifie de « soit totalement sécularisées, soit en train d’achever leur intégration dans le système de valeurs de la France contemporaine ». Ils sont qualifiés de « majorité silencieuse ».

Le second groupe, représentant un quart de l’effectif, se trouve dans une situation intermédiaire, avec une forte pratique, souvent favorable à l’expression de la religion au travail, mais ayant intégré la laïcité.

Le troisième groupe, ces 28 % cités auparavant, ne considère pas que la foi appartienne à la sphère privée, est majoritairement favorables à l’expression de la religion au travail et contestent la laïcité. Le rapport de l’institut Montaigne est à leur endroit sévère. Il qualifie leur système de valeur de « clairement opposé aux valeurs de la République », de « sécessionnistes ». « L’islam est un moyen pour eux de s’affirmer en marge de la société », affirme la note.

À travers cette classification, on voit donc se dessiner une double polarité au sein de la population musulmane, dont l’étude souligne qu’elle est étrangère à tout communautarisme. L’une, la plus nombreuse, « s’inscrit dans un système de valeur et dans une pratique religieuse qui s’insèrent sans heurts dans le corpus républicain », deux tiers de l’échantillon jugeant que la laïcité permet de vivre librement sa religion. L’autre, très présente chez les jeunes générations, fait de la religion un élément structurant de son identité, valorisant les pratiques qu’il lui associe, parfois en opposition avec la loi (niqab, polygamie).

Hakim El Karoui appelle à combattre cette progression d’une lecture jugée « fondamentaliste » de l’islam en France, notamment parmi les jeunes générations. Il propose des réformes concernant à la fois l’Etat et les musulmans eux-mêmes. Il demande ainsi l’enseignement de l’arabe à l’école (plutôt que dans les mosquées), la réforme des institutions du culte musulman afin de mettre fin à la tutelle des Etats étrangers dont sont originaires les générations d’immigrants, de faire émerger de « nouveaux cadres » nés en France, de favoriser la formulation et la diffusion d’un discours théologique ouvert, de permettre la création d’une faculté de théologie en Alsace-Moselle, à la faveur du concordat.

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Le sondage a été conduit auprès de 1 029 personnes de confession ou de culture musulmane (dont 874 se déclarant musulmanes), extraites d’un échantillon de 15 459 métropolitains âgés de 15 ans et plus.

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