Les antidépresseurs inefficaces contre la dépression de l’enfant et de l’adolescent

Les antidépresseurs inefficaces contre la dépression de l'enfant et de l'adolescent

Le Monde
| 09.06.2016 à 00h45
Mis à jour le
09.06.2016 à 09h49
|

Par Pascale Santi

La prise en charge de la dépression de l’enfant et de l’adolescent est souvent compliquée. Une étude parue dans la revue scientifique britannique The Lancet, jeudi 9 juin, relève que la plupart des antidépresseurs disponibles ne sont guère efficaces et ne sont pas supérieurs au placebo.

Cette méta-analyse porte sur trente-quatre études incluant 5 260 participants de 9 à 18 ans. Une vingtaine de spécialistes de différents pays ont scruté plusieurs bases de données d’essais cliniques publiés, portant sur le traitement aigu du trouble dépressif majeur chez les enfants et les adolescents, en comparant les effets de quatorze antidépresseurs sur quatre semaines de traitement. Cette étude, dont les premiers auteurs sont les professeurs Andrea Cipriani (université d’Oxford) et Xinyu Zhou (université de Chongqing, Chine), est financée par le Programme national de recherche fondamentale chinois.

Résultat : sur les quatorze antidépresseurs, seule la fluoxétine (Prozac) a été plus efficace (plus d’avantages que de risques) que le placebo pour soulager les symptômes de la dépression. Un trouble qui touche environ 3 % des enfants de 6 à 12 ans et entre 8 % à 12 % des adolescents en France.

La psychothérapie, traitement de première intention

Le débat n’est pas nouveau. « Il est admis depuis une dizaine d’années que les traitements médicamenteux n’ont que peu d’effets sur les dépressions de l’enfant et de l’adolescent », explique le professeur David Cohen, chef du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à la Pitié-Salpêtrière (AP-HP), signataire de l’étude.

Seule la fluoxétine est d’ailleurs autorisée en France pour la dépression de l’enfant et du jeune adolescent. La Haute Autorité de santé (HAS) notait cependant fin 2014 que le rapport efficacité/effets indésirables de ce médicament était mal établi dans la dépression de l’enfant.

Il y a un consensus : la psychothérapie reste le traitement de première intention. Un travail publié en 2015 dans World Psychiatry, réalisé par cette même équipe de chercheurs, avait d’ailleurs déjà montré que les psychothérapies constituaient le traitement de référence pour traiter la dépression.

« Les antidépresseurs sont-ils des outils de première ligne La réponse est non, tranche le pédopsychiatre Bruno Falissard (Inserm, Maison de Solenn). Le traitement de premier recours devrait être la psychothérapie. » Dans les faits, c’est plus compliqué, notamment en France. « Les psychothérapies ne sont généralement pas remboursées hors de l’hôpital, les délais d’attente sont souvent de plusieurs mois dans les centres médico-psychologiques », poursuit ce spécialiste.

Un suivi indispensable

Les symptômes de la dépression, difficile à diagnostiquer, peuvent souvent passer inaperçus, relève la HAS, cette maladie s’exprimant davantage par des comportements et des somatisations. La HAS avait fait des recommandations fin 2014, telles que repérer plus précocement la dépression de l’adolescent ou améliorer l’accompagnement et la prise en charge.

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Malgré cela, les antidépresseurs sont largement utilisés, constatent les auteurs. Selon des études, la proportion d’enfants et d’adolescents américains prenant des antidépresseurs a augmenté de 1,3 % à 1,6 % entre 2005 et 2012 et au Royaume-Uni de 0,7 % à 1,1 %. La sertraline (Zoloft) est l’antidépresseur le plus prescrit aux Etats-Unis. En France, en revanche, cette proportion a baissé de 17 % de 2007 à 2014 avec 0,28 % des moins de 18 ans traités par antidépresseur, selon les données de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).

Dès 2004, la Food and Drug Administration américaine avait mis en garde contre le risque d’effets secondaires de ces médicaments, notamment un risque suicidaire accru. Un tiers des adolescents souffrant de dépression ferait une tentative de suicide, précise la HAS. L’étude montre que le venlafaxine (Effexor) est lié à des risques accrus de pensées suicidaires.

Les auteurs soulignent toutefois le biais de certaines de ces études, notamment la difficulté de lier de façon certaine pensées suicidaires ou passage à l’acte avec une prise de médicament. Reste que, dans tous les cas, cette dernière doit être étroitement encadrée.

« Les enfants et les adolescents qui prennent des antidépresseurs doivent être très surveillés, quel que soit l’antidépresseur choisi, en particulier au début du traitement », explique l’équipe dirigée par le professeur Peng Xie (université de Chongqing), qui a conduit l’étude du Lancet.

Ce que confirment les cliniciens. « Ces prescriptions doivent être réservées à l’hôpital et ne pas être effectuées en médecine générale, afin de regarder de près d’éventuels effets secondaires, surtout le risque suicidaire », souligne ainsi le professeur Xavier Pommereau, qui dirige le pôle aquitain de l’adolescent (centre Abadie, Bordeaux). Autre élément à prendre en compte selon lui : « La biologie de l’enfant et de l’adolescent, sous l’effet des hormones sexuelles, mérite une attention particulière quand on prescrit des médicaments. »

Attention, avertit le professeur Falissard, « on voit souvent, chez les adolescents, des épisodes dépressifs qui sont des plaintes, mais pas des maladies proprement dites. La catastrophe serait de médicaliser ces plaintes et encore plus de les médicamenter ». L’adolescence est un moment où le corps change, où les addictions peuvent survenir’ La vie émotionnelle de l’adolescent peut connaître des hauts et des bas, avec des passages à vide qui risquent de durer, et peuvent être assortis de grande tristesse et de repli sur soi. Il faut être vigilant et ne pas confondre déprime traversée durant l’adolescence et dépression.

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