L’errance des migrants évacués du campement de Stalingrad

L'errance des migrants évacués du campement de Stalingrad

Le Monde
| 23.09.2016 à 16h42
Mis à jour le
23.09.2016 à 19h14
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Par Solène Cordier

Mamadou Sissoko (son identité a été changée à sa demande) dormait depuis plus d’un mois à Paris, sous le métro Stalingrad, quand il a été réveillé peu après cinq heures du matin, vendredi 16 septembre, par un Afghan qui criait « Policemen, policemen ! ». Monté dans un bus affrété par les pouvoirs publics, il s’est retrouvé avec environ 80 personnes dans un hôtel de Pontault-Combault, en Seine-et-Marne, à environ une heure de transports en commun du campement qu’il avait rejoint lors de son arrivée à Paris.

Il y retourne pourtant tous les jours, notamment pour retrouver un membre du collectif La Chapelle debout, qui l’aide dans ses démarches administratives. Ce jeudi 22 septembre, presque une semaine après la dernière « évacuation » massive du campement de Stalingrad, il brandit une amende de 91 euros qui vient de lui être infligée. Sans papiers ni titre de transport, il a fraudé dans le métro pour se rendre à son rendez-vous destiné à remplir son dossier de demande d’asile.

Comme lui, 2 083 personnes, selon la préfecture, ont été orientées le 16 septembre vers divers lieux d’hébergement d’urgence en Ile-de-France lors d’une vaste « opération de mise à l’abri » organisée par les pouvoirs publics. Tous venaient du campement de Stalingrad-La Chapelle, un lieu de rendez-vous bien connu des migrants qui sont nombreux à y trouver refuge depuis l’été 2015.

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Reprendre son souffle

Ce jour-là, Youssef Abderhamane est conduit, lui, dans l’un des deux centres de transit français, situé à Créteil (Val-de-Marne) et géré par l’association France Terre d’asile. Dans le bâtiment construit en 1975 pour accueillir les « boat people » vietnamiens, le jeune homme peut enfin reprendre son souffle.

Youssef restera là jusqu’à recevoir une proposition d’hébergement dans l’un des 31 centres d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) disséminés sur le territoire. Cela peut prendre quelques semaines, voire quelques mois. En attendant, il est nourri, logé dans une chambre qu’il partage avec deux autres migrants, et des travailleurs sociaux l’accompagnent dans ses démarches de demande d’asile. « Ici, je me sens en sécurité et j’ai l’impression d’être un être humain », dit Youssef pour résumer sa situation actuelle.

Youssef porte au doigt la seule chose qu’il a ramenée du Soudan. Une chevalière en bois que sa mère lui a confiée avant son départ, en lui disant de la garder précieusement. A l’évocation de ce souvenir, le jeune homme de 24 ans marque un temps d’arrêt. Sa voix, monocorde jusque-là, se brise. Cela n’arrivera qu’une fois dans son récit d’exil. Tout le reste, les quatorze mois qui l’ont conduit de son village du nord du Darfour à cette petite salle d’un centre de transit en région parisienne, il le raconte sur un ton égal, quasiment d’une traite.

D’abord les milices qui mettent à sac son village au nord du Darfour, les dix jours passés dans la montagne avant de rejoindre un camp de réfugiés, l’incursion d’autres groupes armés venus enrôler de force les jeunes hommes, provoquant la décision de partir. Puis le voyage, les quatorze mois en Egypte avec le souhait d’être régularisé et, ce premier espoir douché, de nouveau le départ, vers l’Europe cette fois. « Paris, la France », répète Youssef comme un mantra.

« J’ai confiance en la France. Ma vie était en danger dans mon pays, la France est le seul pays capable de me protéger. C’est le conseil de mon père. » Mais avant cela, c’est la traversée d’Alexandrie vers l’Italie, les six jours en mer sans manger ni boire, un corps fatigué parmi plus de 260 autres personnes. Puis l’arrivée en Sicile, le rapprochant de sa destination finale. En bus, à pied et pour finir en train, il rejoint enfin la capitale du pays rêvé, en août. A son arrivée, des compatriotes l’orientent vers le métro Stalingrad.

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Critiques de collectifs

En un an, le campement de fortune a été évacué vingt-neuf fois. Il se reforme sitôt évacué. Addoum Sadek s’y trouvait lui aussi ce 16 septembre au petit matin. Au hasard des placements, il est arrivé avec cinq autres hommes, tous d’Afrique occidentale, au centre d’Emmaüs solidarité du Bois de l’Abbé, dans l’Essonne. Son récit résonne singulièrement avec celui de Youssef. Originaire, lui aussi, du Soudan, il a fui son pays en raison des conflits armés qui s’y déroulent et s’est retrouvé sur les trottoirs parisiens.

« Avant d’arriver au centre, ce n’était pas une vie. J’errais et la nuit je dormais sur des cartons à La Chapelle », confie le jeune homme de 24 ans. Venu en France « parce que c’est plus facile pour les procédures d’asile et le logement », croit-il, il souhaite apprendre rapidement la langue et débuter une formation en électricité. Son avenir est suspendu à la décision de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) lui accordant ou non le statut de réfugié.

Selon les travailleurs sociaux qui les suivent, la plupart des personnes qui composent les campements sauvages de l’Est parisien souhaitent poser leurs bagages en France. Majoritairement originaires du Soudan, d’Erythrée ou d’Afghanistan, ce sont souvent des hommes seuls, même si quelques familles se retrouvent aussi là. « Soixante-dix personnes dites vulnérables, des familles avec enfants, ont été prises en charge vendredi », précise la préfecture.

Les plus malchanceux ne bénéficient pas du même suivi que Youssef et Addoum. Faute de places suffisantes dans des structures d’accueil, un certain nombre de lieux jusque-là inoccupés, comme des gymnases, font aussi partie du dispositif de « mise à l’abri ». Deux cent vingt et une personnes ont été conduites dans des hôtels sociaux gérés par le SAMU social, selon la préfecture. Mais certaines sont déjà de retour à la rue, après quelques nuits seulement de prise en charge, dénoncent les collectifs de soutien aux migrants, vent debout contre « l’opération marketing » des autorités.

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