Leonard Cohen l’autre poète

Leonard Cohen l'autre poète

A 82 ans, Leonard Cohen sort un nouvel album. Le « New Yorker » revient sur sa carrière de musicien, d’écrivain, de poète, en parallèle et parfois dans l’ombre de celle de Bob Dylan, qui vient de recevoir le prix Nobel de littérature.

Le Monde
| 14.10.2016 à 16h06
Mis à jour le
14.10.2016 à 16h39
|

Par Le Monde.fr

C’est évidemment un hasard de calendrier : le journaliste David Remnick ne savait pas que Bob Dylan allait recevoir le prix lorsque l’article a été publié. Pourtant, choisir de parler aussi longuement de Leonard Cohen le jour où certains se demandent pourquoi l’académie suédoise a choisi de récompenser un musicien est intéressant à plusieurs titres.

D’abord parce que les deux artistes qui se connaissent bien ont souvent été comparés. Leonard Cohen faisait partie, avec sans doute quelques autres, des musiciens qui auraient pu prétendre à un prix Nobel de littérature.

Ensuite parce que le portrait fait intervenir directement Bob Dylan, qui commente, en des termes élogieux, le travail d’un artiste qui a accédé à la célébrité quelque temps après lui, bien que Leonard Cohen, âgé de 82 ans, soit de quelques années son aîné.

« Fais gaffe à toi, Dylan ! »

Leonard Cohen enregistre son premier album assez tard. A plus de 30 ans, il est déjà un auteur et poète publié, « venu au songwriting’ principalement parce qu’il ne gagnait pas sa vie comme écrivain », raconte David Remnick. L’enregistrement se fait sous la houlette du producteur de Dylan, John Hammond. Dans les studios Columbia, à New York, il aurait conclu une prise par cette déclaration enthousiaste : « Fais gaffe à toi, Dylan ! »

« Les liens entre Leonard Cohen et Bob Dylan étaient évidents. Juifs, lettrés avec un penchant pour l’imagerie biblique, la tutelle de John Hammond mais leur travail divergeait. Dylan, même dans ses premiers enregistrements, s’engageait déjà vers une langue surréaliste, faite de libres associations [‘]. Les textes de Leonard Cohen n’étaient pas moins chargés ni moins inventifs, moins ironiques ou moins introspectifs. Mais il était plus clair, plus économique, plus formel, plus liturgique. »

Bob Dylan et Leonard Cohen ont eu, cependant, des lectures similaires. Des poètes contemporains comme Allen Ginsberg, mais aussi le moins célèbre Irving Layton, que Leonard Cohen a connu à l’université. Là où Dylan assume volontiers des influences puisées chez les symbolistes français et dans la grande tradition anglaise (Shakespeare, Blake, Yeats), les textes de Cohen penchent vers la prière, voire l’incantation.

David Remnick nous apprend (entre autres) que Leonard Cohen continue à lire régulièrement des textes religieux. La Torah et le Zohar (une exégèse de la Torah), mais aussi des textes de spiritualité bouddhiste. Le chanteur se retirera près de six ans dans un monastère zen en Californie. Les écrits religieux continuent d’influencer les siens, à l’heure où « il envisage d’écrire un livre de poèmes qui seraient, comme les pages du Talmud, entourés de textes d’interprétation ».

« Tu es numéro 1 et je suis numéro zéro »

Au cours de l’une de leurs rencontres, dans les années 1980, Dylan demande à Cohen combien de temps lui a pris l’écriture de la chanson Hallelujah, qu’il appréciait beaucoup.

« Deux ans », a-t-il menti, alors que la version définitive n’était arrivée qu’au bout de cinq ans. Il lui demande alors combien de temps a pris l’écriture de la chanson I and I. « A peu près quinze minutes », répond Bob Dylan.

Plus tard, alors que Cohen et Dylan font ensemble un voyage en voiture, une chanson de Bob passe à la radio. Dylan lui fait cette réflexion : « Pour moi, tu es numéro un et je suis numéro zéro. » Pour Leonard Cohen, cela signifie « que son travail était au-delà de toute mesure et que le mien était plutôt pas mal ».

Lorsque le New Yorker lui demande de parler du travail de son confrère, Bob Dylan se montre « plutôt enthousiaste ». Pour mettre en avant le « génie » de ses mélodies, d’une simplicité et d’une pureté harmonique exceptionnelles. « Leonard est au-dessus de tout », estime Bob Dylan, qui n’est pas d’accord avec l’un des principaux reproches que l’on fait, et que l’on faisait déjà, à l’époque, à la musique de Leonard Cohen : d’être une longue berceuse de la dépression.

« Je ne vois aucun désenchantement dans les textes de Leonard », dit Bob Dylan, qui préfère ne pas choisir entre ses premiers textes et les derniers, hantés par la perspective de la mort.

« J’aime toutes ses chansons, les plus anciennes et les plus récentes. »

Cette réputation de musicien triste, Leonard Cohen la gardera toute sa vie. Là où Bob Dylan peut réveiller un stade, Cohen restera terrifié par la scène jusqu’à très tard dans sa carrière. La chanteuse Suzanne Vega trouve ses textes « intimes et personnels ». Là où « Dylan pouvait vous emmener aux confins de l’Univers en expansion », les chansons de Leonard Cohen ont quelque chose de plus « terrestre ».

« Ses chansons [sont] une combinaison de détails très réalistes et d’une forme de mystère, comme une prière, ou une formule magique. »

Une question religieuse qui habite encore ses textes et son existence, lui qui se déclare « prêt à mourir » (la phrase a fait l’objet des principales reprises du portrait du New Yorker dans la presse). Durant l’une de leurs rencontres, il se met soudain à réciter une chanson sur laquelle il est en train de travailler.

« Listen to the mind of God

Which doesn’t need to be

Listen to the mind of God

Don’t listen to me. »

L’intégralité du portrait de Leonard Cohen est à lire sur le site du New Yorker.

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