Le  selfie géant  avec Hillary Clinton un outil politique comme un autre

Le  selfie géant  avec Hillary Clinton un outil politique comme un autre

Le Monde
| 26.09.2016 à 11h51
Mis à jour le
26.09.2016 à 13h14
|

Par Luc Vinogradoff

Une photo montrant la candidate américaine Hillary Clinton lors de l’un de ses nombreux meetings de campagne a été diffusée dans la nuit de dimanche à lundi 26 septembre. On y voit la candidate saluant une foule qui lui tourne le dos pour se prendre en photo avec elle. Des jeunes femmes, majoritairement, se penchent légèrement en arrière pour arriver à cadrer leur visage avec celui d’Hillary Clinton, régler les filtres Instagram ou compléter leur story sur Snapchat. Personne ne la regarde (sauf un homme qui a dû oublier son portable).

Cette photo n’a pas été prise ou diffusée par hasard. Elle a été faite par la photographe officielle de la campagne Clinton, Barbara Kinney, le 21 septembre à Orlando en Floride. Cinq jours plus tard, elle a été mise sur son compte Twitter personnel par Victor Ng, également membre de l’équipe Clinton.

Lorsqu’elle apparaît sur le flux social de votre ordinateur ou téléphone lundi matin, la photo ne marque pas tant pour ce qu’elle représente, mais pour ce qu’elle renforce comme idées reçues. La « génération selfies », égoïste, coupée de la réalité, qui préfère tourner le dos et faire une duckface avec la possible première femme présidente des Etats-Unis, plutôt que de la regarder et écouter ce qu’elle a à dire. La scène symboliserait presque l’effondrement de la civilisation. On entend pratiquement « Ah, ces jeunes et leurs portables’ » émaner de l’écran, tellement c’est prévisible. Et c’est précisément ce qu’espérait l’équipe d’Hillary Clinton.

Pas un instant fugace, du marketing

La photo a été largement rediffusée en ligne, en grande partie par ceux qui s’extasient de sa vacuité, qui se lamentent de « notre époque où tout passe par le téléphone », du rapport faussé à la réalité de ces jeunes gens surconnectés, pensant « c’était quand même mieux avant, quand on regardait les candidats dans les yeux ». C’est de la publicité gratuite, assurée par ceux à qui elle était destinée, pour occuper le terrain, même virtuel, dans les heures qui précèdent le premier débat présidentiel.

Toute image diffusée par une équipe de campagne politique (ou une entreprise, ou toute personne ou entité ayant quelque chose à vendre) n’existe que pour assurer la promotion de son ou sa candidat ou de son produit (les deux mandats de Barack Obama sont là pour nous le rappeler). Ce n’est pas un instant fugace, capturé par hasard ou censé représenter notre époque. C’est réfléchi. C’est du marketing, comme le fameux selfie des Oscars, qui était en fait une campagne de pub pour Samsung.

D’ailleurs, comme l’a noté Arrêts sur images, il suffit de regarder d’autres photos de ce meeting, prises par des journalistes et non du personnel de l’équipe démocrate, pour comprendre que le public n’a pas toujours tourné le dos à Hillary Clinton, que le « selfie géant » n’était qu’une mise en scène et que oui, mêmes des jeunes-collés-à-leurs-téléphones sont capables de se concentrer assez longtemps pour écouter un discours politique sans être obligés de se prendre en photo compulsivement. Au final, écrit justement Daniel Schneidermann :

« Ce vague sentiment d’effondrement d’un monde, qui nous oppressait sourdement voici quelques secondes, ne nous dit finalement rien d’autre que notre propre terreur d’un monde que nous espérons/redoutons de voir advenir. »

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