Le président Santos a reçu son prix Nobel de la paix

Le président Santos a reçu son prix Nobel de la paix

Le chef de l’Etat colombien, accompagné de négociateurs et de victimes, a reçu le prix samedi 10 décembre à Oslo. Une nouvelle version de l’accord de paix avec les FARC a été ratifiée par le Congrès du pays.

Le Monde
| 09.12.2016 à 11h04
Mis à jour le
10.12.2016 à 15h42
|

Par Marie Delcas (Bogota, correspondante)

Le président colombien Juan Manuel Santos a reçu le prix Nobel de la paix, samedi 10 décembre. « Santos a le Nobel, il ne lui reste plus qu’à faire la paix », ironisent à Bogota les sceptiques.

Après cinquante-deux ans d’un conflit rural qui laisse plus de 8 millions de victimes indirectes (paysans déplacés, veuves et orphelins, familles de disparus, invalides, ex-otages), les défis à relever sont immenses.

Déjà le cantonnement des quelque 6 000 combattants des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), en vue de leur désarmement, menace de prendre du retard. Et la recrudescence des assassinats dans les régions à pacifier fait craindre le pire.

En apprenant la nouvelle, le 7 octobre, le chef d’Etat avait affirmé vouloir recevoir le prix Nobel « au nom de tous les Colombiens et plus particulièrement au nom de toutes les victimes du conflit armé colombien ». Cinq jours plus tôt, ses compatriotes avaient, de peu, refusé de valider dans les urnes l’accord de paix laborieusement négocié avec la guérilla des FARC. Une nouvelle version de l’accord a été rondement renégociée et ratifiée par le Congrès.

Samedi, M. Santos a souligné dans un entretien avec l’Agence-France-Presse que la période qui s’ouvrait était « une étape plus difficile que le processus [de négociations] lui-même, qui nécessite beaucoup d’efforts, de persévérance et d’humilité ». Tout en précisant qu’il était impossible, pour lui, de « garantir que l’on conclura [la paix] avant la fin de mon mandat ».

Le président colombien a reçu son prix accompagné de son équipe de négociateurs et de victimes emblématiques du conflit armé, parmi lesquels la Franco-Colombienne Ingrid Betancourt, otage des FARC pendant plus de six ans ; sa compagne d’infortune, Clara Rojas, aujourd’hui députée ; Leiner Palacios, survivant de Bojaya, ce hameau où plus de 70 paroissiens avaient été tués par un tir de mortier des FARC sur l’église en 2002. Ou encore Fabiola Perdomo dont le mari, député régional, a été assassiné par ses geôliers guérilleros après cinq ans de captivité. Tous ont fait le choix de la réconciliation. Le président s’est engagé à reverser aux associations de victimes les 8 millions de couronnes (820 000 euros) du prix Nobel.

Passivité des autorités

Aucun délégué des FARC n’a été invité à Oslo. « Il ne faut pas donner d’arguments à la droite ultrahystérique », justifie un fonctionnaire de la présidence. L’ex-président Alvaro Uribe et ses partisans continuent de tirer à boulets rouges sur l’accord de paix.

Ils entendent capitaliser le mécontentement des électeurs qui, ayant voté non le 2 octobre, jugent illégitime la ratification parlementaire du nouvel accord. L’élection présidentielle de 2018 est déjà dans toutes les têtes.

Loin des calculs politiques de la capitale, les territoires qui ont vécu la guerre s’essayent à la paix. « Voila deux ans que nous n’entendons plus les mitraillettes », s’émerveille Rosita. Elle vit à Toribio, un village indien au c’ur de la cordillère des Andes, martyrisé par le conflit.

On s’y promène aujourd’hui en toute sécurité. L’infirmière du village, Julia, vient d’y monter un petit hôtel pour recevoir les touristes qui ne manqueront pas d’arriver. Rosita s’interroge : « Comment comprendre que les gens des villes ne croient pas à la paix. Ou pire qu’ils n’en veulent pas ‘ » Le gouvernement est convaincu que la paix avec les FARC apportera croissance et investissements.

Mais la paix n’a pas mis fin aux assassinats de civils. Selon les chiffres du bureau local des Nations unies (ONU), 57 militants d’organisations sociales et de défense des droits de l’homme ont été assassinés depuis le début de l’année. Des dizaines d’autres ont été victimes de menaces. La Fondation Ideas para la Paz (« idées pour la paix ») fait, elle, état de 71 assassinats, de 71 tentatives d’homicides et de 237 menaces de mort. L’ONU a manifesté son inquiétude dans un communiqué, fin novembre, en précisant qu’elle comprenait « la peur des organisations sociales touchées ».

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La gauche craint une répétition du massacre de militants qui avait suivi la première tentative de paix, dans les années 1980. Les organisations sociales dénoncent une résurgence du paramilitarisme. Et s’inquiètent de la passivité des autorités.

L’analyste Laura Gil considère que, « selon les régions, les assassinats d’activistes semblent obéir à des logiques différentes. Ils démontrent que l’Etat peine à occuper les territoires abandonnés par les FARC. Et c’est très grave. Dans les régions d’économies illicites mines clandestines ou cultures de drogue , le retrait des guérilleros est source de vives tensions. »

Selon le président Santos, « d’ici à la fin de l’année », les milliers de combattants des FARC et tout leur armement devraient avoir rejoint les zones transitoires de normalisation, conformément au calendrier établi par l’accord de paix.

L’opération est d’envergure. Après un demi-siècle d’affrontements, militaires et guérilleros doivent apprendre à coopérer pour mener à bien l’opération. Le risque de voir le cessez-le-feu mis à mal est d’autant plus grand que d’autres groupes armés dont les milices au service des trafiquants de drogue sévissent encore dans ce pays à la géographie difficile.

« Enormément de retard »

Dans une conférence de presse donnée à Bogota mardi, les chefs des FARC ont confirmé que les guérilleros avaient entamé leur regroupement. Ils le termineront « une fois que la voie sera libre de tout obstacle juridique », a précisé Ivan Marquez, un responsable de l’organisation. A court terme, la guérilla exige en effet que soient levés tous les mandats d’arrêt contre ses membres pour garantir leur sécurité juridique.

L’autre problème est matériel. Selon le guérillero Joaquim Gomez, l’équipement des zones où les guérilleros vont vivre pendant six mois a pris « énormément de retard ». Un diagnostic que partagent les membres de la commission tripartite de vérification du cessez-le-feu (FARC, gouvernement, ONU). Il faut loger les guérilleros, les fournir en eau et en électricité, assurer leur ravitaillement.

Les déboires politiques de l’accord de paix expliquent les incertitudes actuelles. La Cour constitutionnelle devrait se prononcer, ce lundi 12 décembre, sur l’applicabilité du « fast track » (« voie rapide ») qui permettrait d’accélérer l’adoption des lois et des réformes constitutionnelles prévues par l’accord de paix. A commencer par la loi d’amnistie. Le gouvernement devrait déposer mardi un projet de texte en ce sens.

En attendant, les FARC multiplient les gestes médiatiques. Jeudi, l’organisation cédait à la mode du « Mannequin Challenge », en présentant une vidéo de guérilleros immobiles pour illustrer la vie dans les campements maintenant que la paix est signée.

Les uns travaillent sur leur ordinateur portable, les autres jouent aux échecs. Une plaisanterie qui circule sur Internet dit : « Gabriel Garcia Marquez, prix Nobel de littérature 1982, a créé dans son roman Cent ans de solitude le pays de Macondo. Juan Manuel Santos, prix Nobel de la Paix 2016 a dû le gouverner. »  

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