Le pic de pollution n’est pas venu des centrales à charbon allemandes

Le pic de pollution n'est pas venu des centrales à charbon allemandes

Des observateurs accusent l’Allemagne d’être à l’origine de la pollution de ces dernières semaines en France. Une affirmation largement démentie par les faits.

Le Monde
| 12.12.2016 à 16h45
Mis à jour le
12.12.2016 à 16h52
|

Par Adrien Sénécat

Les centrales à charbon allemandes sont-elles responsables du pic de pollution qu’a connu l’Ile-de-France début décembre ‘ Plusieurs observateurs ont défendu cette hypothèse ces derniers jours, à l’aide notamment de cartes météo, et le plus souvent contre l’avis des experts, selon lesquels il s’agissait d’un épisode majoritairement dû aux émissions locales. Et si certaines objections peuvent sembler pertinentes à première vue, elles sont en réalité largement démenties par les faits. Explications.

CE QUE DISENT LES SCEPTIQUES

Le think tank Les Econoclastes.fr a ainsi affirmé dans un billet que des vents d’est observés à la fin du mois de novembre auraient amené un nuage de pollution d’outre-Rhin vers la France.

Nicolas Meilhan, l’auteur du billet, ironise :

« Bon finalement je me demande si on ne serait pas dans ce cas très rare de vent d’est ou nord-est, où l’import de particules est effectivement un problème puisque les émissions dans le secteur nord-est sont très importantes en raison de l’impact du Benelux et d’une partie de l’Allemagne’. Maintenant je dis ça, je dis rien. »

L’expert en « énergie et transports » s’était déjà agacé quelques jours plus tôt sur Twitter que la pollution allemande soit passée sous silence, carte à l’appui.

POURQUOI C’EST FAUX

La composition des particules permet de connaître leur origine

Pour comprendre de quoi il est question, il faut d’abord rappeler de quel type de pollution il est question. Dans le dernier épisode en Ile-de-France, mais aussi ailleurs en France comme dans la vallée du Rhône et en Europe, notamment à Londres, il était principalement question de particules fines PM10. Selon les mesures de l’Association de surveillance de la qualité de l’air en Ile-de-France (Airparif), la concentration en particules fines a atteint des niveaux particulièrement élevés du 30 novembre au 9 décembre.

Le terme PM10 désigne la taille des particules (un diamètre de 10 µm, soit 10 millièmes de millimètre, ou moins). Ces dernières sont considérées comme particulièrement néfastes pour la santé à forte concentration. Or, il existe différents types de particules PM10. Il est donc possible d’avoir des indications sur leur origine en fonction de leur composition.

C’est ce qu’a fait l’institut de mesure de la qualité de l’air pour le pic de pollution de début décembre : « Les centrales thermiques produisent des particules soufrées, explique Karine Léger, porte-parole d’Airparif. Or, il y en avait très peu pendant cet épisode de pollution, seulement des traces. »

A l’inverse, d’autres marqueurs relatifs à d’autres types de pollution ont été observés pendant le pic de pollution. C’est notamment à partir de cette base que les experts ont pu affirmer que la grande majorité de la pollution n’était pas d’origine industrielle (Allemagne comprise), mais issue du chauffage au bois et du trafic routier.

Une pollution « piégée » par les conditions météorologiques

Tous les épisodes de pollution n’ont pas les mêmes caractéristiques. « Dans certains cas, une part de pollution importée est observable, en plus de la pollution produite localement », reconnaît Karine Léger. Mais concernant celui de décembre en Ile-de-France, les conditions climatiques confortent l’idée d’une pollution majoritairement locale, assure-t-elle :

« Il y a eu sur la période une forme de couvercle d’air chaud à basse altitude au-dessus de l’agglomération, avec des vents très faibles. »

Les particules fines à Paris et autour étaient donc loin d’être charriées par les vents d’est. Elles ont surtout été produites localement, et se sont accumulées sur place, comme piégées par les conditions météorologiques. A Airparif, on fait d’ailleurs remarquer que le peu de vent présent pendant le pic de pollution venait « plutôt du secteur sud », d’où un panache de pollution plus marqué au nord de la région, plus particulièrement le jeudi 8 décembre :

Que penser, alors, de la carte relayée par Nicolas Meilhan sur Twitter, qui semblait pourtant montrer que la pollution venait d’Allemagne ‘ Vérification faite, cette dernière vient de la plate-forme nationale Prev’Air qui donne des indications sur la qualité de l’air. Mais cette dernière a été interprétée de manière hâtive, nous explique Frédérik Meleux, ingénieur à l’Ineris et coordinateur de la plate-forme :

« Sur cet épisode, il y avait des vents quasiment nuls. Quand il y a un apport de pollution continentale, on voit une continuité des masses de pollution, sur plusieurs jours. »

Or, depuis fin novembre, on a surtout pu voir des masses de pollution localisées autour des grandes villes, sans continuité, relève l’ingénieur.

Les particules fines issues de l’activité industrielle de pays voisins ont pu en revanche jouer dans d’autres cas. Par exemple, sur quelques jours au c’ur pic de pollution de mars 2014 en Ile-de-France. Après plusieurs jours de pollution localisée et renforcée par l’absence de vent, des masses d’air venues de pays voisins s’y étaient ajoutées, donnant des concentrations en particules fines plus fortes encore, comme l’avait noté Frédérik Meleux dans une analyse à l’époque. Sauf que dans ce cas précis, il s’agissait surtout d’une pollution issue du transport routier et de l’agriculture, selon l’intéressé, et pas vraiment des centrales au charbon.

Si la pollution ne s’arrête pas aux frontières, il n’est pas si simple de distinguer la part qui vient d’Allemagne ou d’autres pays comme la Belgique et les Pays-Bas, qui ont eux aussi de fortes émissions. Sans oublier que la pollution française s’exporte aussi. « Il me paraît difficile d’extraire l’Allemagne et de dire qu’il y a là un comportement particulièrement différent », estime Frédérik Meleux.

La question des centrales à charbon allemandes revient régulièrement sur la table depuis que Berlin a décidé de sortir du nucléaire. Un choix qui rend le pays dépendant de ses centrales à charbon (la part de ce dernier dans la production d’électricité est restée stable, autour de 40 % du total) et le pénalise pour remplir ses objectifs climatiques. Dans le même temps, la part des énergies renouvelables a tout de même fortement augmenté (elles représentent environ 30 % du total aujourd’hui). Mais ce débat, on l’a vu, n’avait pas grand-chose à voir avec le pic de pollution de décembre.

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