Le Mozambique s’explique sur ses dettes cachées
Vue des huit bateaux de la société d’Etat mozambicaine, Proindicus.
Crédits : AFP
Il était temps. Plus de trois semaines après les premières révélations, et dix jours après les remontrances du Fonds monétaire international (FMI), le gouvernement mozambicain s’est enfin décidé, mardi 26 avril, à apporter quelques informations aux médias locaux sur les emprunts qu’il a dissimulés aux institutions financières internationales, aux investisseurs, et surtout au grand public.
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Au total, ce sont 1,378 milliard de dollars de dette qui ont été contractés en toute opacité en 2013 et 2014, pour financer des embarcations militaires et des installations portuaires destinées à la protection des infrastructures stratégiques.
Financer un « système intégré de surveillance »
Ces emprunts garantis par le gouvernement ont été souscrit par « l’entreprise Proindicus en 2013 pour un montant de 622 millions de dollars, et l’entreprise Mozambique Asset Management en 2014 pour un montant de 535 millions de dollars », a déclaré Mouzinho Saide, le porte-parole du gouvernement, en sortie de conseil des ministres mardi 26 avril.
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Confirmant ainsi des chiffres qui circulaient depuis plusieurs semaines, il s’est borné à rapporter ce que le premier Ministre, Carlos Agostinho de Rosario, a clarifié auprès des institutions de Bretton Woods la semaine dernière. Celui-ci s’était précipité à Washington suite à la décision coup de tonnerre du FMI, le 15 avril dernier, de suspendre ses prêts au Mozambique, face à l’ampleur de la dette dissimulée.
Selon les dires du porte-parole, Proindicus a bien été fondé en 2012 pour sous-traiter des activités de défense qui sont habituellement des prérogatives de l’Etat. Pourtant enregistrée comme une société anonyme, elle est censée agir comme « autorité nationale responsable de la protection des infrastructures ».
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« Au moment de la création de l’entreprise, le pays faisait face à des menaces comme la piraterie, l’immigration illégale, le trafic de drogue et la pêche illégale », M. Saide a t-il esquissé, comme bribes de justification. En jeu également, la protection des futurs équipements dédiés à l’exploitation des immenses réserves de gaz offshore, dans le nord du Mozambique, un marché fortement rémunérateur.
A cette fin, l’emprunt de Proindicus doit permettre de financer un « système intégré de surveillance » comprenant plusieurs types d’embarcations militaires, des avions de patrouille maritime, et des radars répartis le long de la côte mozambicaine. Au moins huit de ces navires ont déjà été livrés en septembre 2014 et sont toujours visibles en cale sèche au port de Maputo, comme Le Monde Afrique l’a déjà révélé.
De son côté, Mozambique Asset Management doit opérer deux chantiers navals et des installations portuaires à Pemba (nord) et à Maputo, la capitale. Le but : proposer des services de maintenance aux embarcations des entreprises publiques et aux navires commerciaux des compagnies pétrolières. Mais aussi, à terme, construire des embarcations pour le marché interne et l’export.
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Enfin, un troisième prêt, bilatéral cette fois, a été émis pour la période 2009-2014 en faveur du Ministère de l’Intérieur, pour un montant de 221,4 millions de dollars. Saide n’a pas précisé le mystérieux pays concerné. Il a promis plus de détails pour les jours qui viennent, alors qu’aucune information sur les échéances du prêt n’a été communiquées et qu’une foule d’autres interrogations subsistent.
Indignation au Mozambique
Avec l’emprunt d’Ematum, la Compagnie mozambicaine de thon qui avait souscrit 850 millions de dollars sous forme d’euro-obligations en 2013, le total de la dette levée secrètement avec la garantie du gouvernement est porté à 2,2 milliards de dollars. Samedi, le FMI a semblé s’adoucir, saluant « une vaste divulgation d’informations qui constitue une première étape importante vers la pleine restauration de la confiance envers les autorités [mozambicaines] ».
Avec son premier ministre à Washington, le président Filipe Nyusi était lui en visite à Berlin et Bruxelles la semaine dernière pour tenter de limiter les dégâts face aux investisseurs et aux bailleurs de fonds.
Mais au Mozambique, l’indignation est maximale, et se fait ressentir jusque dans les rangs du parti au pouvoir, le Frelimo. Les organisations de la société civile réclament une poursuite pénale des responsables alors que le parlement a été contourné, au mépris de la Constitution, comme l’avance l’opposition.
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Des appels à manifester circulent depuis plusieurs jours sur les réseaux sociaux et entendent exiger l’arrestation de l’ancien président Armando Guebuza, au pouvoir jusqu’en 2015, qui est perçu comme l’artisan de ces man’uvres financières douteuses. Peu croient néanmoins qu’il soit un jour inquiété. « Le Frelimo est obsédé par le maintien de l’unité à tout prix. Les disputes sont réglées à l’intérieur du parti et le but recherché est toujours un accord gagnant-gagnant », commente Joseph Hanlon, un fin connaisseur de la politique mozambicaine.
Lundi 25 avril, la police de Maputo a fait savoir qu’elle réprimerait toute manifestation non autorisée. Le climat politique s’est détérioré au Mozambique ces derniers mois alors que le conflit avec la Renamo dans le centre du pays s’intensifie. « Il est difficile de croire réellement que ces manifestations auront lieu », estime l’activiste et blogueur Tomas Queface. « La question de la dette externe peut difficilement motiver les personnes moins scolarisées et informées à sortir dans la rue ».
En dépit d’une communication lacunaire et de la profonde déception des partenaires internationaux, le gouvernement pourrait bien se sortir du scandale sans trop de tracas.