Le football français de l’indifférence à l’inspiration

Le football français de l'indifférence à l'inspiration

Soudainement, en ce juillet 1998, on se mit à parler français dans les éditoriaux des journaux allemands. Et pour une fois, on alla plus loin que les éternelles expressions, « équipe tricolore ou « grande nation », traditionnellement utilisées à tort et à travers. Si les agences de presse se contentaient d’un « Jour de gloire » relativement facile à trouver (ceci dit, L’Equipe n’a pas trouvé mieux non plus aujourd’hui), la Süddeutsche Zeitung titrait, avant même les quarts de finale, « Equipes multiculturelles », mettant ainsi l’accent sur la diversité ethnique de certaines équipes présentes en France, notamment celle du pays hôte, en contraste flagrant avec la Nationalmannschaft. De son côté, Die Welt s’exclama : « Vive la différence ! »

Pour être plus précis, il aurait pu mettre « Vive la fin de l’ignorance, de l’indifférence et de la suffisance ». Car l’été 1998 est un point de bascule dans l’histoire du football, du moins pour ce qui est des relations franco-allemandes. Un vrai moment charnière, bien plus que l’événement du 8 juillet 1982 dont on nous rebat les oreilles (vous constaterez que je tiens ma promesse de ne pas mentionner le lieu ni les noms des protagonistes d’ici ce soir).

France 1998, la découverte d’un nouveau monde

Avant 1998, les Allemands se contrefichaient du football français. France 1998, ce fut comme la découverte d’un nouveau monde. On découvrit que l’autosatisfaction aussi béate qu’infondée dans laquelle on se berçait n’était qu’une illusion. Pourtant, comme l’ont rappelé en détail Les Cahiers du football hier dans leurs colonnes, il fallut un autre désastre deux ans plus tard pour en tirer les conséquences.

L’Instant X de l’Euro :
 

La réinvention millénaire de l’Allemagne, par « Les Cahiers du football »

Tout au long de la deuxième moitié du XXe siècle, ni les dirigeants du football allemand, ni les journalistes, ni les fans n’avaient à quelques exceptions près le moindre intérêt pour le football français. Au mieux, il y avait de la condescendance, mais le cas normal, c’était une indifférence quasi totale. On prit note de l’embellie des années Platini, mais le plaidoyer enthousiaste de la part d’un observateur comme Hans Blickensdörfer en faveur d’une inspiration, voire émulation transnationale (voir la chronique d’avant-hier), ne fut entendu par personne. Force est de constater que cela a bien changé depuis quelques années.

Le système de formation mis en place depuis le début des années 2000 est d’inspiration française, comme le reconnut très franchement Franz Beckenbauer en 2001, dans les colonnes de France-Football : « La France est un modèle dans ce domaine. En Allemagne, nous essayons maintenant de copier la France. Mais pour rattraper notre retard, il nous faudra au moins dix ans. » Plutôt bien vu.

Le rôle que le modèle de l’équipe de France a pu jouer dans le débat politique, en 1999, au sujet de la réforme du code de la nationalité en Allemagne, est moins évident, peut-être plus subliminal, mais loin d’être négligeable. Ce fut davantage une illustration tangible, compréhensible de ce qui était en jeu. Nous y avons consacré, il y a trois ans, à l’occasion du 50e anniversaire du Traité de l’Elysée, un article à part entière.

Autre inspiration : Aimé Jacquet et sa manière de diriger les hommes. Récemment, Jürgen Klinsmann a rappelé qu’il était personnellement allé chercher conseil auprès d’Aimé Jacquet lorsqu’il était en train de préparer, en 2004, sa grande rupture avec les vieilles habitudes. Rupture qui est souvent réduite au style de l’équipe et aux innovations techniques, mais qui visait autant à améliorer de manière significative les compétences sociales des ressources humaines, pour utiliser une terminologie du management. Et pendant que ces mêmes compétences ont été curieusement dédaignées en France pendant les années Domenech, Joachim Löw et Oliver Bierhoff ont patiemment révolutionné l’image de l’équipe d’Allemagne.

« Inspiration-émulation-appropriation »

Et aujourd’hui, la Fédération allemande est en train de construire son propre Clairefontaine. La nouvelle « DFB-Akademie » est en train de sortir de terre à Francfort, et Hansi Flick, ancien adjoint de Joachim Löw, désormais directeur technique national, évoque ses visites à Clairefontaine dans la gestation du projet.

Le DFB est, à ce jour, la seule fédération étrangère avec laquelle la FFF a un partenariat institutionnalisé, fondé sur un échange amical et assez fréquent. Car il y a, bien sûr, aussi de quoi s’inspirer de l’autre côté du Rhin. Sur l’exploitation d’un événement comme l’Euro pour le bénéfice de la pratique du football professionnel et amateur dans le pays, par exemple. Sur le développement du football féminin (et Brigitte Henriques, à la FFF, ne cache pas non plus sa source d’inspiration pour la mise en uvre de certains de ses programmes destinés à valoriser les pratiquantes et les dirigeantes de tous niveaux). Un jour, la FFF et la Ligue finiront peut-être aussi par s’inspirer de la manière dont les supporteurs sont considérés et impliqués dans le dialogue outre-Rhin’

Bref : le triptyque « ignorance-indifférence-suffisance » a été remplacé par « inspiration-émulation-appropriation ». C’est une évolution durable, parfaitement indépendante du résultat de ce soir. Reconnaître qu’il a toujours quelque chose à apprendre l’un de l’autre, cela devrait être ça, le principe même d’une Europe « unie dans la diversité », comme l’annonce sa devise officielle. Faut-il toujours, comme le suggère l’histoire du football allemand post-1998, les preuves irréfutables du déclin pour s’inspirer des voisins ‘

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