Le difficile accès aux visas humanitaires pour les Syriens et les Irakiens

Le difficile accès aux visas humanitaires pour les Syriens et les Irakiens

A peine plus de 4 000 visas d’asile ont été délivrés par la France en 2016, selon les données du ministère de l’intérieur, rendues publiques aujourd’hui.

Le Monde
| 16.01.2017 à 06h31
Mis à jour le
16.01.2017 à 09h01
|

Par Maryline Baumard

Dès qu’ils le peuvent, Mohamad et Rima (les prénoms ont été changés) consultent leur courriels. Ils cherchent moins des nouvelles de leurs fils, réfugiés en Allemagne et en Malaisie, que les messages de leur avocate française, Fleur Pollono. « Elle a entre les mains notre seul espoir de venir en France », rappelle Mohamad, ex-enseignant en français et ex-guide touristique. En novembre, ce couple s’est vu refuser un visa d’asile.

Les déboires de cette famille illustrent les données 2016 du ministère de l’intérieur, publiées lundi 16 janvier. La France a délivré 2 745 visas d’asile à des Syriens et 1 369 à des Irakiens. Ce sésame, qui permet de venir légalement déposer sa demande d’asile en France, n’est en fait octroyé qu’avec parcimonie et dans une certaine opacité. « Tout est fait pour tenir son existence secrète », observe même Jean-François Dubost, d’Amnesty International, qui milite aussi pour son usage plus large.

Maison sous les bombes

Pour l’heure, Rima, la cinquantaine, et Mohamad, un peu plus de 60 ans, n’y ont pas accès. Ils se cachent dans l’arrière-pays de Damas, après avoir organisé le départ de leurs deux fils « pour leur éviter de devoir tuer leurs frères syriens ou d’être tués », insiste le père. « Aujourd’hui, nous avons peur. Les sunnites sont menacés dans notre zone, plus encore s’ils ont fait partir les enfants », rappelle le père de famille, que Le Monde a joint par messagerie. Leur maison de Damas a disparu sous les bombes, leur ferme a été pillée, ainsi que la clinique où Rima travaillait comme médecin. Son père à elle a été tué de deux balles dans la tête, dans sa ferme, son neveu de 10 ans à la sortie de son école. « Mais cela n’a pas suffi à convaincre les autorités françaises que nous sommes en danger », se désole Mohamad.

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Le couple a pensé prendre la route de l’Europe, mais l’âge et les souffrances endurées par leur fils pour atteindre l’Allemagne les en ont dissuadés. Alors, le 9 février 2016, ils ont rejoint Beyrouth. Au consulat de France, ils ont tout raconté. Ils ont prouvé qu’une famille française (jointe par téléphone) les attend bien dans le Gers. Et ils ont demandé un visa d’asile. Mais le 24 mai, la France a dit non. Me Pollono, qui a fait appel de cette décision, s’est vu répondre, le 16 novembre, par le tribunal administratif de Nantes que, le couple ayant « regagné la Syrie de son plein gré », « la condition d’urgence n’est pas remplie ».

« Mais où vouliez-vous que mon client s’installe ‘ Les Syriens ont désormais besoin de visas pour rester au Liban », insiste l’avocate, prête à déposer un recours devant le Conseil d’Etat. Me Pollono sait que lorsque les Syriens restent au Liban, la France leur refuse un visa au prétexte qu’ils y sont en sécurité.

Une hausse de 50 % pour les Syriens

Sur 5 520 demandes d’asile syriennes déposées de janvier à novembre 2016, seuls 2 745 visas d’asile ont été accordés. Ce qui incite les Syriens à venir illégalement en France. Dans 97 % des cas, ils sont reconnus réfugiés. Et encore, pour les Syriens, le nombre des visas d’asile a crû de 51 % par rapport à 2015. Ce qui n’est pas le cas pour les Irakiens, pour qui la délivrance de ce précieux document a diminué de 40 %.

Cela inquiète d’ailleurs les défenseurs des minorités religieuses, puisque les chrétiens d’Irak, comme les Yézidis, en sont les premiers bénéficiaires. Preuve de leur préoccupation, les évêques français, en conclusion de leur assemblée de printemps à Lourdes, avaient manifesté leur « vive inquiétude face aux lenteurs et aux difficultés d’obtention de visas pour la France par les réfugiés et les déplacés à Erbil, en Irak ». Ils avaient demandé aux autorités « de ne pas relâcher leurs efforts pour aider les minorités vulnérables, comme les Yézidis et les chrétiens ».

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Message manifestement non reçu. Le 1er août 2014, une réunion d’urgence au Quai d’Orsay évoquant « la situation grave des minorités en Irak et les menaces qui pèsent notamment sur les chrétiens » avait amené Laurent Fabius, alors ministre des affaires étrangères, et Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’intérieur, à donner des instructions aux consulats de Bagdad et d’Erbil. Mais, depuis, la dynamique est retombée, au point que des logements à disposition restent vides en France. Le 18 janvier, une réunion aura lieu sur ce sujet au Quai d’Orsay.

En attendant, la vie reste pour beaucoup un enfer. Comme pour Mohamad et Rima, réfugiés sur un toit d’immeuble dans la montagne. Tous deux passent la journée « à chercher les moyens de survivre. Il faut des ampoules à gaz pour se chauffer un peu’ se débrouiller pour récupérer du sucre et du riz », rappelle Mohamad, à bout, après ces années de souffrance.

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