Le cybersexe n’aura pas lieu

Le cybersexe n'aura pas lieu

Le surhumain sexuel est toujours pour demain, jamais pour aujourd’hui. Est-ce réellement un hasard ‘ La chronique sexe de Maïa Mazaurette est à lire chaque dimanche matin dans La Matinale du Monde.

Le Monde
| 27.11.2016 à 07h40
Mis à jour le
27.11.2016 à 08h14
|

Par Maïa Mazaurette

Améliorer notre potentiel physique et mental, vaincre peut-être un jour la mort : le rêve transhumaniste n’a jamais paru aussi proche. Il commence dès que nous enfilons des lunettes’ ou un préservatif. L’augmentation du potentiel sexuel se cache derrière notre fascination pour les aphrodisiaques et les drogues, se tapit sous nos diverses pilules, nos prises d’hormones, nos réassignations de genre, se camoufle sous nos améliorateurs de désirabilité comme le maquillage, la chirurgie, ce jean qui vous fait un fessier formidable. Ajoutons bien sûr les sex-toys, qui nous aident à obtenir des sensations, littéralement, inhumaines : les femmes peuvent se faire pousser un pénis, quant à l’orgasme produit par un vibrateur, il n’existe carrément pas dans la nature (sauf les jours de tremblement de terre).

Notre culture, nos films, nos romans, se passionnent pour la trajectoire sexuelle à venir : ne nous répète-t-on pas que, sans l’attrait pour la pornographie, Internet n’aurait pas explosé ‘ N’affirme-t-on pas que les plus grands progrès techniques s’opèrent pour la guerre ou pour le sexe ‘ Les années 1990 nous ont promis des justaucorps colonisés d’électrodes, des rapports baignant dans une matrice orgasmique, des voitures volantes. On ne voit toujours rien venir, mais les inventeurs triment (passionnés bien sûr, mais bien conscients du potentiel commercial à la clé). Où va-t-on ‘

Manque d’imagination

Quand on imagine une reformulation de notre sexualité, la plupart d’entre nous se contentent d’un service minimum, fondé sur les trois mêmes idées : rajouter des orifices aux femmes (et/ou les rendre plus étroits), obtenir des érections plus performantes, connaître des orgasmes plus intenses. Une première observation saute aux yeux : il s’agit toujours de pénétration, ne remettant aucun ordre sexuel en question. Impressionnant, comme révolution’

Les options sont pourtant vastes. Côté protection, nous pourrions oublier les couches physiques pour nous concentrer sur des traitements ou des vaccins, voire sur une sélection génétique. Puisqu’il faut parler d’orifices : plutôt que de nous transformer en gruyères érotiques (on se lasse de trois orifices sur les femmes : on se lassera tout aussi rapidement de douze ou de quarante), pourquoi ne pas améliorer ceux dont nous disposons ‘ Non seulement le vagin pourrait produire à la demande sa lubrification, mais aussi l’anus et la bouche, ce qui optimiserait notre pénétrabilité. Avec possiblement des choix de goûts, d’odeurs, de températures. Nous devrions bientôt voir apparaître des prothèses destinées à améliorer la fellation : le sex-toy, c’est nous.

Côté plaisir, inutile de tout concentrer sur les organes génitaux quand nous pourrions avoir un corps entier dédié au plaisir imaginez que nous ayons la même sensibilité sur tout le corps que sur le gland ou le clitoris, et que nous puissions nous « activer » en un clic. Imaginez d’autres sens que nos cinq actuels. Imaginez une attraction physique améliorée, via la manipulation ADN ou la transformation. Mieux encore : avec la réalité virtuelle, nous pourrions remapper notre apparence, nous hologrammifier.

Cela dit, pourquoi se focaliser sur le corps ‘ Notre enveloppe charnelle, même dotée d’exosquelette, sera toujours trop limitée par rapport à notre imagination. Notre ultime outil sexuel n’était-il pas censé être le cerveau ‘ Nous pourrions connecter nos fantasmes et nos émotions soit à ceux de nos partenaires (pour sentir ce qu’il ou elle ressent), soit à une base de données érotique mondiale. Des drogues de synthèse pourraient nous aider à développer une empathie absolue : la fusion sexuelle, au premier degré.

Retour au réel

Alors, vous en rêvez ‘ Signez-vous cette décharge  » Non ‘ Revenons donc sur Terre, et plus précisément au purgatoire (râteaux, érections molles, anorgasmie, veaux, vaches, cochons). Malgré notre intérêt affiché pour les possibilités futures, le réel est le lieu d’une résistance acharnée à l’amélioration sexuelle. On répugne à l’apprendre. On en dénie l’aspect technique. Ironiquement, de nombreuses ressources citées ci-dessus existent déjà, sauf que nous ne pratiquons pas. La réalité virtuelle peine à décoller. On couche redoutablement peu par jeu vidéo interposé.

Les hommes sont rares qui utilisent les chirurgies d’agrandissement ou d’élargissement du pénis (la procédure cosmétique la plus répandue reste l’augmentation mammaire, suivie de la liposuccion). Du côté des injections destinées à resserrer le vagin, on attend toujours le raz-de-marée. Nous exhibons nos smartphones mais laissons nos sex-toys bien cachés dans nos tiroirs. Le préservatif ‘ On s’en débarrasse à la première occasion.

Outre le côté matériel, nous avons déjà des orifices dont nous ne nous servons pas (notamment ceux qui se trouvent sur les hommes). Nous sous-utilisons nos cinq sens. Nous sommes loin, très loin, d’entrevoir notre plein potentiel de plaisir pratiquez-vous le tantra, le massage érotique, la méditation orgasmique, le jeûne sexuel, prenez-vous le temps et les dispositions matérielles nécessaires à vous offrir des jouissances plus profondes ‘ Bof.

Péché de paresse

Plus que de moutons électriques, nous rêvons d’une sexualité paresseuse. Où l’objet et la technique feraient le boulot à notre place, sans trop d’implication. Où le plaisir tomberait tout cuit, et tant qu’à faire, assaisonné. En tant que société, nous déployons des efforts considérables pour ne pas accéder à une vie sexuelle trépidante nous faisons au contraire tout notre possible pour la contraindre, pour la tasser dans des espaces spécifiques (le lit, le sofa, la table de la cuisine pour les anniversaires de mariage), des temporalités spécifiques (après le match mais avant Netflix) et des relations spécifiques (quelqu’un qu’on aime et, mieux encore, qui nous mérite).

Si on parle tant de sexe, c’est sans doute qu’il occupe si peu de place effective. Et même si nous passions un jour la seconde (je considère que nous roulons au pas), l’exigence de sexualité future passerait toujours après nos rêves d’immortalité, d’éternelle jeunesse, de minceur ou de surpuissance physique.

Admettons-le plutôt que de nous torturer : le sexe transhumain n’est pour l’instant qu’un rêve, un objet de luxurieuse prospective plutôt que d’initiative. Nous ne sommes pas prêts au transhumain parce que nous sommes, là, maintenant, dépassés par l’ampleur du sexe « juste » humain nous savons à quelle vitesse peut courir un athlète, mais nous ignorons combien nous pouvons jouir, nous n’avons même pas d’outil de mesure.

Nous ne voulons pas de puissance sexuelle, encore moins de contrôle, du moins pour le moment : nous préférons l’absolue vulnérabilité, les plaisirs de l’ignorance, le vertige du lâcher-prise. Nous préférons la condition humaine. C’est un beau compliment fait au sexe.

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