Le crime réduit-il le réchauffement climatique

Le crime réduit-il le réchauffement climatique

Marlon Brando, dans Le Parrain. © Paramount Pictures.

QUAND, en matière de crime, on évoque le mot d’empreinte, c’est le plus souvent pour parler de ces indices que l’on recueille, empreintes digitales ou génétiques. Mais pas pour évoquer l’empreinte carbone de la criminalité ! C’est ce territoire vierge qu’a voulu explorer une équipe britannique dans une étude publiée récemment dans le Journal of Industrial Ecology, en partant du constat que si l’on cherchait d’ordinaire à évaluer l’impact sociologique et économique du crime, on oubliait souvent son coût environnemental.

L’approche de l’étude est donc originale, tout comme la composition de l’équipe : une partie des auteurs sont chercheurs à l’université du Surrey et les autres travaillent au Home Office, l’équivalent britannique de notre ministère de l’intérieur. Adoptant l’approche propre à l’écologie industrielle, qui prend en considération l’intégralité des retombées environnementales des produits que l’on fabrique, depuis l’extraction des matériaux qui les composent jusqu’à leur destruction ou à leur recyclage, ils ont donc tenté de calculer l’empreinte carbone du crime à l’échelle d’un pays, en l’occurrence l’Angleterre et le Pays de Galles, en intégrant tout ce qui pouvait l’être : actions de prévention, assurances, coût direct des crimes c’est-à-dire le remplacement des objets endommagés ou volés, l’hospitalisation des blessés, etc. , coût de l’enquête policière, de l’action judiciaire, du système pénitentiaire.

Au terme de calculs complexes, les auteurs ont établi le coût moyen par type de crime ou de délit. Sans trop de surprise, le meurtre est le crime dont l’empreinte carbone est la plus élevée : l’équivalent de l’émission de 71,2 tonnes de CO2 par assassinat. Ce qui est nettement plus que n’importe quel autre acte criminel ou délictueux. Ainsi, pour des agressions ayant entraîné de graves blessures, la facture chute à 5,1 tonnes, 1,1 tonne pour un vol à main armée ou un cambriolage et à 0,1 tonne pour un vol à l’étalage. En additionnant tous les crimes et délits survenus en Angleterre et au Pays de Galles et en ajoutant ceux, nombreux, qui n’ont pas été enregistrés par la police, on obtient un total de 4 millions de tonnes de CO2 pour 2011, l’année sur laquelle l’équipe a travaillé. Soit l’équivalent des émissions de 900 000 foyers britanniques pour leur consommation énergétique, ce qui est loin d’être négligeable.

L’effet rebond

Les auteurs annoncent que leur étude n’est que la première partie d’un plus vaste travail sur l’empreinte carbone du crime. Ils se posent en effet de nombreuses questions sur sa réduction : « Il est tentant de conclure de notre recherche, écrivent-ils, que la réduction du crime produira automatiquement une réduction générale des émissions de carbone » et contribuera à la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre (GES) qui sont à l’origine du réchauffement climatique. Cependant, poursuivent-ils, tout n’est sans doute pas aussi simple que cela, à cause de’ l’effet rebond.

L’effet rebond est ce phénomène un tantinet pervers qui fait que, si vous changez de voiture pour acheter une automobile moins gourmande en carburant, vous pouvez être tenté de faire davantage de kilomètres et, au bout du compte, risquez d’avoir une facture énergétique et une empreinte carbone plus élevées ! Une étude australienne a ainsi montré que si l’Etat réduisait ses dépenses dans le domaine de la défense, il en résulterait une baisse des émissions de GES à condition de transférer le budget économisé sur d’autres postes comme l’éducation, la construction de musées ou l’ouverture de parcs plutôt que de restituer l’argent aux ménages par le biais de cadeaux fiscaux !

Dans le cadre criminel, comment pourrait se manifester l’effet rebond Les auteurs expliquent par exemple que, même si les tribunaux et les prisons produisent des GES, les personnes jugées puis incarcérées ont une empreinte carbone nettement plus faible qu’un citoyen normal, étant donné qu’elles ont très peu de revenus, vivent dans un espace restreint et sont assez peu susceptibles de prendre la route ou un billet d’avion pour assister aux Jeux olympiques de Rio’ Selon l’étude, une réduction des cambriolages serait probablement suivie d’une hausse modeste des émissions de CO2 ! Il y a cependant, précisent les auteurs, beaucoup de recherches à effectuer pour dire avec certitude si le crime aggrave ou réduit le réchauffement climatique. Ils ajoutent également, avec un bon sens évident, que la lutte contre la criminalité et la délinquance prime sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, rien n’empêche des améliorations, que ce soit dans la construction des tribunaux et des prisons ou dans l’intensification des actions de prévention, qui ont une empreinte carbone bien moindre que les actions de répression. Là aussi, prévenir vaut mieux que guérir’

Pierre  Barthélémy (suivez-moi ici sur Twitter ou bien là sur Facebook)

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