Le Conseil constitutionnel ouvre la voie au procès de Jérôme Cahuzac pour fraude fiscale

Le Conseil constitutionnel ouvre la voie au procès de Jérôme Cahuzac pour fraude fiscale

Le Monde
| 24.06.2016 à 10h03
Mis à jour le
24.06.2016 à 12h26
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Par Jean-Baptiste Jacquin

Jérôme Cahuzac a rendez-vous avec ses juges le lundi 5 septembre, près de deux ans après la clôture de l’instruction. Le Conseil constitutionnel a estimé, dans une décision rendue vendredi 24 juin, que l’ancien ministre du budget pouvait bien être poursuivi pénalement pour fraude fiscale, même si l’administration des impôts lui a déjà infligé une sanction en recouvrant l’impôt impayé assorti d’une majoration de 80 %.

M. Cahuzac, dont les mensonges avaient provoqué le plus gros scandale du quinquennat de François Hollande, est poursuivi pour fraude et blanchiment pour 687 000 euros d’avoirs dissimulés, et son ex-épouse pour un montant de 2,5 millions d’euros. Au nom du principe selon lequel on ne peut pas être sanctionné deux fois pour les mêmes faits, ses avocats avaient soulevé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Une procédure qui permet à tout justiciable de demander au Conseil constitutionnel de vérifier si l’article de loi qui lui est opposé est conforme à la Constitution.

Au-delà du cas de l’ex-ministre du budget, contraint de démissionner en mars 2013 après avoir menti devant la nation, aux députés et au chef de l’Etat sur l’existence de ses comptes à l’étranger révélés par Mediapart, la décision du Conseil était très attendue. Un autre procès emblématique a été interrompu pour les mêmes raisons en janvier, celui de la famille Wildenstein, dont les héritiers se voient réclamer 500 millions d’euros par le fisc. Une vaste affaire de fraude supposée sur fond de déchirements au sein de la famille du marchand d’art. Le procès devait durer trois semaines. Il va devoir être programmé à l’automne.

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« Dans les cas des fraudes les plus graves »

L’institution présidée par Laurent Fabius devait dire si les articles du code général des impôts qui organisent les redressements fiscaux (article 1729) et les sanctions pénales (article 1741) sont conformes à la Constitution et, surtout, si leur cumul l’est. Toute l’organisation de la lutte contre la fraude fiscale pouvait être remise en cause par cette décision. Les personnes poursuivies fondaient d’importants espoirs dans la décision prise en mars 2015 par le Conseil constitutionnel en matière de délit d’initié. La QPC soulevée dans le cadre du scandale des soupçons de délits d’initié des dirigeants d’EADS avait conduit le collège du Palais-Royal à déclarer inconstitutionnel le cumul des poursuites par l’Autorité des marchés financiers (AMF) et par la justice pénale au nom du principe juridique « non bis in idem » (pas deux fois pour la même chose).

Cette fois les neuf membres du Conseil estiment dans leur décision que « le recouvrement de la nécessaire contribution publique et l’objectif de la lutte contre la fraude fiscale justifient l’engagement de procédures complémentaires dans les cas des fraudes les plus graves ». Ils se réfèrent à l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, selon lequel « pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses de l’administration » l’impôt doit être réparti « entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés », pour donner une valeur constitutionnelle à l’objectif de lutte contre la fraude fiscale. Ce qui n’est pas le cas en matière de délits boursiers.

Pour autant, le cumul des poursuites ne devrait s’appliquer « qu’aux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l’impôt ». Ce n’était pas écrit dans la loi, mais c’est ce qui se passe aujourd’hui. Sur 40 000 redressements fiscaux intervenus en 2015, dont les trois quarts assortis de pénalités, environ un millier a été transmis à la justice pour des condamnations pénales, avait précisé à l’audience Xavier Pottier, du secrétariat général du gouvernement. Cette pratique sera désormais gravée dans le marbre, le Conseil précisant que le critère de gravité dépend « du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention ».

D’un côté, le redressement fiscal et les pénalités « assurent le bon fonctionnement du système fiscal » et « permettent de garantir la perception de la contribution commune », de l’autre, les sanctions pénales (qui peuvent aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement) « ont un caractère public qui leur confère une exemplarité et une portée dissuasive supplémentaire ». Dans le cas des délits d’initié, les deux procédures étaient totalement réplicables, puisque la procédure de sanction devant l’AMF, avec rapporteur, avocats, collège de sanction et audiences publiques, était structurée comme un procès pénal.

Le « verrou de Bercy »

Le principe de nécessité des délits et des peines prévu à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme, invoqué par ceux qui dénonçaient une « double peine », est donc respecté. En revanche, pour s’assurer que le principe de proportionnalité des peines le soit également, les gardiens de la Constitution précisent que le montant global des sanctions prononcées ne pourra pas dépasser « le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues ». Cette disposition pourrait limiter le montant de l’amende pénale infligée à Jérôme Cahuzac, si le tribunal le reconnaît coupable l’ancien ministre reste passible d’une peine d’emprisonnement et d’une déchéance de ses droits civiques.

Autre réserve d’interprétation apportée par la haute juridiction, les poursuites pénales ne pourront pas être engagées contre « un contribuable qui a été déchargé de l’impôt par une décision juridictionnelle définitive pour un motif de fond ». Cela paraît aberrant, mais une personne non imposable pouvait effectivement être poursuivie pour fraude fiscale’

Une question reste à trancher sur la procédure particulière qui s’applique à la répression de la fraude fiscale : le « verrou de Bercy ». Contrairement aux autres délits, le parquet n’a pas l’initiative des poursuites, c’est le ministre du budget qui choisit de saisir la Commission des infractions fiscales des cas qu’il souhaite transmettre à la justice. Il se trouve que le Conseil constitutionnel vient d’être saisi d’une QPC sur ce point. Il devrait y répondre cet été. La décision de ce vendredi restera valable quel que soit le sort du verrou de Bercy.

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