Le bras de fer se durcit entre WhatsApp et la justice brésilienne

Le bras de fer se durcit entre WhatsApp et la justice brésilienne

Le Monde
| 04.05.2016 à 11h43
Mis à jour le
04.05.2016 à 12h04
|

Par Morgane Tual

On, off, on, off. Lundi 2 mai, un juge brésilien a fait bloquer WhatsApp dans son pays, sanctionnant l’entreprise pour rétention d’informations dans le cadre d’une enquête : elle n’aurait pas fourni les données demandées sur une bande de trafiquants de drogue. Le blocage aurait dû durer 72 heures, mais une cour d’appel y a mis fin au bout de 24 heures. Et ce n’est pas une première. La même situation s’était produite en décembre dernier, quand l’application avait été bloquée pour des raisons similaires au Brésil, puis débloquée douze heures plus tard par une cour d’appel.

Empêcher le fonctionnement de cette application dans ce pays est loin d’être anodin : WhatsApp, qui appartient à Facebook, est l’application la plus utilisée au Brésil, notamment pour téléphoner, ce qui permet d’éviter les prix élevés des communications téléphoniques. Ses 100 millions d’utilisateurs se sont donc vus brutalement privés de leur principal moyen de communication. « L’idée que tout le monde au Brésil peut se voir refuser la liberté de communiquer comme il le souhaite est très effrayante dans une démocratie », a estimé mardi 3 mai Mark Zuckerberg, le patron de Facebook.

Mark Zuckerberg appelle à manifester

Les mots sont sévères, mais c’est que l’entreprise n’en est pas à son premier accrochage avec les autorités brésiliennes. Outre le blocage de décembre, la police brésilienne avait frappé un grand coup en arrêtant en mars le vice-président de Facebook pour l’Amérique latine, Diego Dzodan, à sa sortie de l’avion à Sao Paulo pour avoir refusé de collaborer à une enquête concernant des trafiquants de drogue. Il avait finalement été libéré le lendemain à la demande d’un autre juge qui avait qualifié l’arrestation d’« extrême ».

Cette fois, l’entreprise a décidé de répliquer. Bien que WhatsApp soit de nouveau utilisable, Mark Zuckerberg a invité mardi les Brésiliens, sur son compte Facebook suivi par plus de 50 millions de personnes, à signer une pétition protestant contre le blocage de l’application. Il est même allé plus loin, encourageant les Brésiliens à participer à un rassemblement prévu mercredi devant le Parlement à Brasilia.

WhatsApp jure ne pas avoir accès aux données

Facebook se pose donc dans cette affaire en défenseur d’un Internet libre. Mais qu’en est-il des requêtes de la justice ‘ WhatsApp jure, à chaque fois, coopérer avec les autorités. Après l’arrestation de Diego Dzodan, WhatsApp avait affirmé avoir collaboré avec la police « dans la mesure où son architecture technique le permet ». Seulement voilà : cette architecture technique ne permet pas grand-chose. « Nous ne stockons les messages que jusqu’au moment où ils sont délivrés à leur destinataire. Une fois délivrés, ils n’existent plus que sur les téléphones [des participants à une discussion]. » Selon l’entreprise, la police exige donc « des données qui n’existent pas. Nous ne pouvons pas fournir des informations qui ne sont pas en notre possession ».

WhatsApp a en effet opté pour le « privacy by design », c’est-à-dire que la manière dont l’application est techniquement conçue garantit la confidentialité des échanges. En plus de ne pas stocker les messages, WhatsApp, échaudée comme beaucoup d’entreprises par les révélations d’Edward Snowden sur l’étendue de la surveillance de la NSA en 2013, a annoncé le mois dernier avoir fini de généraliser le chiffrement de bout en bout de son application, ce qui signifie que le contenu des communications ne peut être déchiffré que par les participants à l’échange. Toute personne l’interceptant (qu’il s’agisse de WhatsApp, d’un gouvernement ou d’un pirate) serait incapable de le lire. En clair, le fonctionnement technique de WhatsApp l’empêche de répondre aux demandes des autorités.

Lire l’analyse :
 

Chiffrement et données personnelles : les géants du Web en conflit avec les Etats

Le conflit entre la justice brésilienne et WhatsApp rappelle celui, très médiatisé, entre le FBI et Apple, qui a pris fin en mars après des semaines de bras de fer. L’agence fédérale américaine demandait à l’entreprise de développer un programme permettant de déverrouiller l’iPhone d’un des auteurs de l’attentat de San Bernardino. La firme s’y était farouchement opposée, arguant que cela affaiblirait la sécurité de tous ses appareils et mettrait donc en danger les données de tous ses utilisateurs. Le FBI avait finalement réussi à se passer de l’aide d’Apple en passant par un tiers.

« Une attaque contre les libertés sur Internet »

De son côté, le Brésil s’était pourtant placé en défenseur des données privées et des libertés sur Internet, en adoptant en 2014 une loi, appelée « Marco Civil da Internet », protégeant les données personnelles et notamment le contenu des communications privées. Après les révélations d’Edward Snowden, le pays avait aussi été l’un des plus virulents à dénoncer la surveillance de la NSA. Une image qui risque de voler en éclats si l’affaire prend des proportions similaires à celle qui a agité les Etats-Unis ces dernières semaines, durant laquelle Apple s’était positionné en défenseur de la vie privée et s’était efforcé de faire passer le FBI pour « Big Brother ».

D’autant que le Brésil s’apprête à adopter, cette semaine, un texte sur le « cybercrime » qui permettrait notamment à la police de demander aux fournisseurs d’accès à Internet des adresses IP (qui permettent d’identifier un appareil) sans demande judiciaire. Cette loi faciliterait aussi le blocage de sites et de services comme WhatsApp. « Ce projet va violer le Marco Civil », estime André Lemos, professeur à l’université de Bahia et spécialiste d’Internet. « L’objectif est de censurer le réseau et de créer un état de surveillance électronique. Cela va créer des précédents de censure et de surveillance d’Internet au Brésil. Nous assistons à une attaque contre les libertés sur Internet. »

Les blocages de WhatsApp au Brésil créent en tout cas un heureux : l’application de messagerie Telegram a affirmé avoir conquis un million de nouveaux utilisateurs dans le pays en moins de 24 heures. La même situation s’était produite en décembre. Le blocage de WhatsApp déplace donc le problème ailleurs, pour les autorités, puisque Telegram est une application réputée pour la sécurité des échanges qu’elle promet, au point d’être devenue le service de communication privilégié de l’Etat islamique, mais aussi des Iraniens souhaitant s’informer en contournant la censure du régime.

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