La Mostra couronne l’audace du Philippin Lav Diaz

La Mostra couronne l'audace du Philippin Lav Diaz

En attribuant le Lion d’or à The Woman Who Left, du Philippin Lav Diaz, le jury, présidé par le réalisateur britannique Sam Mendes, a couronné le seul grand film de toute la compétition vénitienne. Programmé en toute fin de festival, le vendredi soir, ce splendide long-métrage en noir et blanc, d’une durée de près de quatre heures, détonnait dans cette section dite « reine », dominée pour le reste par un alliage de productions hollywoodiennes tape-à-l »il et d »uvres d’anciens grands maîtres en pleine déconfiture (Wim Wenders, Terrence Malick, Andreï Kontchalovski, Emir Kusturica).

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La Mostra de Venise prend l’eau

On plaçait certes des espérances dans le film de ce cinéaste hors norme qu’est Lav Diaz, dont les hyper longs-métrages font office, depuis quelques années, de caution radicale des grands festivals européens. Sa découverte n’en a pas moins provoqué un choc. Dans une narration plus resserrée que d’habitude chez cet auteur qui n’hésite pas à étendre ses récits sur sept, voire neuf heures, on suit la trajectoire d’une femme d’une cinquantaine d’années, Horacia, à sa sortie de prison, alors qu’elle y a passé trente ans pour un crime qu’elle n’a pas commis et que son innocence vient d’être reconnue. Trente années volées par un homme riche et puissant, piqué dans son orgueil quand elle l’a quitté pour un plus pauvre que lui, qui a décidé en retour de briser sa vie comme on écraserait un insecte importun.

Lire l’entretien avec Lav Diaz (en novembre 2015) :
 

« Le spectateur doit être engagé »

Splendides compositions

Le vertige que provoque l’idée d’une telle violence, dans laquelle il faut voir une allégorie du calvaire du peuple philippin, creuse le moindre plan du film, dont la majesté picturale confère par ailleurs à son récit modeste une dimension mythique. Dans de splendides compositions coulées noires ciselées comme de la dentelle, trouées d’éclats de blanc phosphorescent, ou inversement , cette femme, qui n’a plus rien à perdre, dispense aux parias croisés sur son chemin (fous, sans-abri, transsexuels, orphelins, pauvres parmi les pauvres’) un amour désintéressé tandis qu’elle prépare secrètement sa vengeance. Ce mélange de douceur infinie et de révolte enragée fournit les éléments d’une bombe à combustion lente mais à la puissance tellurique.

Ce prix conforte Lav Diaz dans son rôle étrange de superstar de festival radicalement inconnue du grand public. Raflant des récompenses partout où ils passent (Léopard d’or à Locarno en 2014 pour From What is Before, prix Alfred Bauer à Berlin en février pour Berceuse pour un sombre mystère), ses films n’atteignent jamais, ou presque, le circuit commercial. Et son uvre apparaît comme le symptôme de l’uniformisation du secteur d’art et essai, qui rejette à la fois hors du marché, et à la marge des festivals, les formes d’expression artistique les plus audacieuses.

Que les jurys s’accordent régulièrement à les primer ne change rien à l’affaire, comme en atteste cette phrase extraite du compte rendu du palmarès de la Mostra publié samedi sur le site de la gazette professionnelle Hollywood Reporter, dont le titre ignorait superbement le lauréat du Lion d’or : « Les jurys à Venise ont beaucoup été critiqués ces dernières années pour avoir préféré des films auxquels ils pouvaient apporter une visibilité inespérée, plutôt que les meilleurs. »

La délicate Paula Beer, révélation du romanesque « Frantz », de François Ozon, a remporté le Prix du meilleur espoir

Etabli selon une règle qui oblige à ne pas attribuer plus d’un prix par film, le palmarès a mécaniquement valorisé une large part des films en compétition, et plutôt la meilleure. Ainsi la pimpante Emma Stone a-t-elle légitimement remporté la coupe Volpi de la meilleure actrice pour son rôle dans la réjouissante comédie musicale américaine de Damien Chazelle, La La Land. Non moins légitimement, la délicate Paula Beer, révélation allemande du romanesque Frantz, de François Ozon, a remporté le Prix du meilleur espoir, et le Mexicain Amat Escalante s’est vu attribuer, pour son cauchemar pansexuel La Region Salvaje, le Prix du meilleur réalisateur.

Lire la critique de « Frantz » :
 

François Ozon tient le mélo à distance

Absence de propos

Qu’il ait dû le partager avec Andreï Kontchalovski, pour son évocation théâtrale et pataude des camps de la mort nazie, paraît plus contestable. Les prix attribués à Nocturnal Animals, de l’Américain Tom Ford (Lion d’argent, Grand Prix du jury), Jackie, du Chilien Pablo Larrain (Prix du scénario), et The Bad Batch, de l’Américaine Ana Lily Amirpour (Prix spécial du jury), reflètent quant à eux la bonne réception dans la presse internationale de ces trois films dont les effets ostentatoires masquent mal, pourtant, l’absence de propos. Quant à celui du meilleur acteur, attribué à l’Argentin Oscar Martinez, il n’est pas indigne malgré le parfum un peu rance de la comédie à laquelle il se rattache, El Ciudadano Ilustre (« le citoyen d’honneur »), de Gaston Duprat et Mariano Cohn.

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A la Mostra de Venise, on a dansé sur la lagune

Le prix du premier film, toutes sections confondues, est allé à The Last of Us, du Tunisien Alaeddine Slim, film magnifique présenté à la Semaine de la critique, qui suit l’échappée d’un homme fuyant l’Afrique subsaharienne pour gagner l’Europe. Quelque part entre Gerry, de Gus Van Sant, Essential Killing, de Jerzy Skolimowski, et Dead Man, de Jim Jarmusch, ce trip mental sans parole, qu’éventre en son milieu une béance dans le réel, brouille dans un même geste lyrique les frontières géographiques et celles qui séparent les vivants et les morts.

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A Venise, les spectres de la Shoah hantent la Mostra

Le prix du premier film et quelques autres consolident le signe fort donné par le choix du Lion d’or

Ce prix et quelques autres consolident le signe fort donné par le choix du Lion d’or. Il paraît certes absurde d’avoir distingué pour son scénario Bitter Money, de Wang Bing, présenté dans la section Orizzonti, documentaire dont la narration sèche, éclatée autour de nombreux personnages, témoigne justement de son mépris radical de tout scénario. Mais cette plongée amère dans le quotidien des mingongs, ces travailleurs migrants qui quittent la campagne chinoise pour les grandes villes, travaillant douze heures par jour à des cadences inhumaines, était sans aucun doute un des films les plus beaux, et les plus forts, de l’édition 2016 il est louable de l’avoir signifié.

Amer et beau également, Sao Jorge, du Portugais Marco Martins, a vu Nuno Lopes récompensé par le Prix du meilleur acteur de la section Orizzonti pour un rôle de boxeur au grand c’ur réduit par la crise et les politiques d’austérité à une pauvreté inextricable, et qui pour sauver sa famille bascule dans l’activité mafieuse du recouvrement de dettes. Notons enfin The Road to Mandalay, long-métrage gracieux et plein de promesses de Midi Z, réalisateur d’origine birmane, Taïwanais d’adoption, qui suit l’odyssée, amère ici encore, d’une jeune Birmane venue clandestinement en Thaïlande dans l’espoir d’y trouver une vie meilleure.

Lire l’entretien avec Natalie Portman :
 

« Je suis très à l’aise avec l’échec »

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