La guerre de Tromelin n’aura pas lieu

La guerre de Tromelin n'aura pas lieu

L’îlot inhabité de l’océan Indien est source de contentieux entre la France et l’île Maurice. Le débat prévu mercredi entre les députés a été ajourné.

Le Monde
| 18.01.2017 à 11h21
Mis à jour le
18.01.2017 à 13h37
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Par Patrick Roger

Il s’en est fallu de peu que l’Assemblée nationale ne soit, mercredi 18 janvier, le théâtre d’une épique bataille au nom de la souveraineté nationale. Les députés devaient débattre du projet de loi autorisant l’approbation d’un accord-cadre entre la France et la République de Maurice sur la cogestion de l’île de Tromelin. Et l’affaire était bien mal emmanchée tant cet accord, signé le 7 juin 2010, prévoyant d’« établir un régime de cogestion économique, scientifique et environnemental à l’île de Tromelin ainsi qu’à sa mer territoriale et à sa zone économique exclusive [ZEE] », suscite de résistances.

Pour en comprendre les enjeux, il faut d’abord rappeler quelques notions d’histoire et de géographie. L’île « îlot » semble plus approprié pour qualifier ce bout de terre d’un kilomètre carré situé dans l’océan Indien, à 530 kilomètres au nord de La Réunion a été découverte en 1722 par une frégate française de la Compagnie des Indes. Elle est chargée d’un lourd passé historique.

En 1761, un navire avec 160 esclaves malgaches à son bord y fait naufrage. Les hommes d’équipage parviennent à reconstruire une embarcation de secours avec les débris du bateau échoué, mais ils abandonnent les 88 esclaves rescapés les autres ont péri noyés dans les cales du navire. Quinze ans plus tard, une expédition conduite par le chevalier de Tromelin, qui donnera son nom à l’île, récupère les derniers survivants : sept femmes et un bébé de 8 mois.

Terre inhospitalière mais enjeu concret

Tromelin, qui fait partie des îles Eparses de l’océan Indien, est rattachée au territoire d’outre-mer des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Depuis 1954 y est installée une station météorologique administrée par la France, où se relaient tous les deux mois trois agents des TAAF. Les seuls autres habitants sont les tortues marines, les fous masqués à palmes noires et les fous à pieds rouges. Une terre inhospitalière mais un enjeu concret : les eaux qui l’entourent et leurs ressources, soit une zone de 280 000 kilomètres carrés, près de 3 % de la surface globale de la ZEE nationale.

Cela fait maintenant quarante ans que l’île Maurice, devenue indépendante en 1968, revendique la souveraineté sur Tromelin et l’a même inscrite dans sa Constitution. De longues négociations engagées depuis 1990 par François Mitterrand aboutissent, après de multiples péripéties, à la signature de cet accord-cadre de 2010 et de ses conventions d’application, conclu pour une durée de cinq ans avec possibilité de reconduction tacite. Parmi les conventions d’application, il est notamment prévu une gestion commune de la pêche entre la France et Maurice dans la zone de Tromelin.

La résistance s’est organisée

Encore faut-il que cet accord soit approuvé par les deux parties. Le projet de loi a été discuté et adopté en première lecture au Sénat le 18 décembre 2012. Il devait venir en discussion le 11 avril 2013 à l’Assemblée nationale, mais celle-ci fut ajournée, le ministre des outre-mer de l’époque, Victorin Lurel, ayant signifié son refus de le défendre au banc du gouvernement. Il aura fallu attendre ce mois de janvier pour qu’il soit de nouveau inscrit à l’ordre du jour.

Mais, entre-temps, la résistance s’est organisée, menée notamment par le député du Tarn Philippe Folliot (UDI) et relayée peu ou prou par tout ce que l’Hexagone compte de souverainistes et de « patriotes », jusqu’au Medef, qui dénoncent en ch’ur un « abandon de la souveraineté nationale ». La fronde prend de l’ampleur. Une pétition cosignée par M. Folliot, le député LR Laurent Furst et le député PS Gilbert Le Bris recueille plus de 11 000 signatures en quelques jours. « La France s’apprête à céder de fait, et sans contrepartie, une part de notre territoire national », dénoncent-ils.

Mardi matin, le secrétaire d’Etat chargé des relations avec le Parlement, André Vallini, a annoncé que le texte était retiré de l’ordre du jour. « On préfère ne pas prendre de risques », estime le Quai d’Orsay, déplorant « un débat irrationnel ». Victoire par jet de l’éponge pour les opposants à l’accord.

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