La Grèce refuse l’asile aux soldats turcs arrivés après le coup d’Etat manqué

La Grèce refuse l'asile aux soldats turcs arrivés après le coup d'Etat manqué

Sur fond de tensions avec Ankara, Athènes est embarrassé sur le sort des huit soldats, redoutant que la Turquie ne rouvre les vannes du flux de réfugiés.

Le Monde
| 12.10.2016 à 13h02
Mis à jour le
12.10.2016 à 16h41
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Par Adéa Guillot (Athènes, correspondance)

Mardi 11 octobre, le service d’asile grec a rejeté en première instance la demande de six soldats turcs qui avaient atterri en hélicoptère à Alexandropoulis, une ville grecque proche de la frontière gréco-turque, le 16 juillet, quelques heures après le coup d’Etat manqué en Turquie. Ils avaient aussitôt demandé l’asile en Grèce, soutenant qu’ils avaient peur pour leur vie, mais niant avoir participé au coup d’Etat. Un septième militaire avait déjà été débouté il y a quelques jours. Et la décision pour le huitième devrait tomber la semaine prochaine.

« Nous sommes venus en Grèce pour sauver notre vie, nous ne souhaitons pas devenir des instruments de la politique des affaires étrangères ou des traités bilatéraux », s’indignent les militaires dans un communiqué, diffusé par leur avocate, Stravroula Tomara. Selon eux, la décision du service d’asile grec « n’avait pas été prise en vertu du droit international et européen ».

Prudence

La situation est politiquement très délicate pour le gouvernement grec, qui cherche à tout prix à éviter une montée des tensions avec le voisin turc. Ankara a évidemment demandé à Athènes leur extradition, mais la justice grecque examinera la question quand leur demande d’asile aura été définitivement tranchée. Cela risque de prendre du temps, car l’avocate a fait appel de la décision. « Il y a au moins six mois de procédure encore, souligne Konstantinos Tsitselikis, président de la Ligue grecque des droits de l’homme. En ce qui concerne l’extradition, il faut être très prudent. La Turquie ne peut pas leur garantir un procès équitable. Depuis le coup d’Etat, elle déroge même très officiellement à la Convention européenne [des droits de l’homme] pour justifier l’état d’urgence. »

Pour l’avocate spécialiste des droits de l’homme Klio Papapantoleon, « il serait inimaginable de renvoyer ces huit soldats vers des prisons turques où nous avons de fortes suspicions de torture. Un Etat de droit digne de ce nom ne doit pas autoriser une extradition vers la Turquie ».

La situation est politiquement très délicate pour le gouvernement grec, qui cherche à tout prix à éviter une montée des tensions avec le voisin turc

Athènes redoute qu’en refusant de céder sur le renvoi de ces huit soldats, la Turquie ne rouvre les vannes du flux de réfugiés. « Il y a plus de 2 millions de migrants qui espèrent toujours gagner l’Europe depuis les côtes turques, explique une source gouvernementale grecque. Tant que les pays du nord de l’Europe auront leurs frontières fermées, nous, en Grèce, nous ne pourrons pas faire face seuls à une nouvelle vague d’arrivée. Nous devons garder un équilibre avec la Turquie. C’est très sensible. »

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, le sait bien. Et en joue très publiquement. Il rappelle régulièrement qu’il « attend » de la Grèce une décision positive sur l’extradition des huit soldats et fait monter la pression sur le gouvernement grec. L’armée turque multiplie ces derniers mois les intrusions dans l’espace aérien grec. Un petit jeu habituel entre les deux pays aux relations historiquement compliquées mais qui s’est doublé en septembre d’une incursion plus sérieuse. Le vice-ministre grec de la défense, Dimitris Vitsas, a très officiellement déposé début octobre une plainte détaillée auprès de l’OTAN dénonçant la présence de sous-marins turcs dans les eaux territoriales grecques, au large d’îlots inhabités. « Des exercices inacceptables », selon M. Vitsas.

Provocation d’Erdogan

La présence de ces sous-marins suivait très directement une autre déclaration, à la fois inédite et provocatrice, du président Erdogan. Le 29 septembre, lors d’un discours politique à Ankara, M. Erdogan a ouvertement critiqué le traité de Lausanne, qui a fixé en 1923 les frontières entre la Grèce et la Turquie. « A Lausanne, nous avons abandonné des îles aux Grecs que nous aurions dû réclamer. (‘) Et nous nous disputons toujours pour arrêter les frontières du plateau continental, sur terre comme dans les airs », a-t-il expliqué.

Le premier ministre grec, Alexis Tsipras, a immédiatement répondu en qualifiant ces déclarations de « dangereuses pour les relations entre les deux pays et plus largement pour la stabilité de la région ». « Nous assistons à une montée en puissance d’Erdogan, lequel semble prêt à remettre en question le fragile équilibre auquel nous étions parvenus entre nos deux pays. Historiquement, quand la Turquie a des problèmes internes, elle essaie toujours de les exporter. Et nous devons donc nous préparer », observe une source du ministère grec de la défense.

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