J’ai grandi en cité et sans la ZEP je ne serais pas professeur aujourd’hui 

 J'ai grandi en cité et sans la ZEP je ne serais pas professeur aujourd'hui 

Plusieurs centaines d’enseignants ont manifesté, jeudi, à Paris pour que leurs lycées ne soient pas rayés de la carte de l’éducation prioritaire.

Comme un symbole, plusieurs centaines de professeurs de lycées de zone d’éducation prioritaire (ZEP) ont choisi de se retrouver rue Saint-Guillaume, devant le bâtiment de Sciences Po Paris, berceau historique de l’élite française, pour lancer, jeudi 17 novembre, une mobilisation « sans précédent ».

Plusieurs dizaines d’établissements, rassemblées dans le collectif Touche pas à ma ZEP dont l’appel a été signé par 78 lycées de 12 académies , ont fait grève pour ne pas être rayées de la carte de l’éducation prioritaire et obtenir davantage de moyens pédagogiques.

Banderole à la main, le visage maquillé tels des zombies, les enseignants accompagnés par quelques élèves ont marché jusqu’à l’Assemblée nationale aux cris de « résistance », « vous pensiez nous faire disparaître en catimini mais on n’est pas morts ». L’objet de leur colère : la réforme de l’éducation prioritaire, lancée en 2014 par la ministre Najat Vallaud-Belkacem. Avec elle, de nouveaux réseaux d’éducation prioritaire (REP et REP +) ont été définis, comprenant chacun un collège et les écoles de son secteur. Mais depuis deux ans, les lycées attendent toujours d’être intégrés à la nouvelle carte. Face à la montée des protestations ces derniers mois, la ministre a dit que les avantages dont bénéficient les enseignants de lycées ZEP (indemnités et bonifications pour les mutations) seraient maintenus jusqu’en 2019.

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« Une douche froide »

« Un accompagnement thérapeutique en fin de vie », pour Vincent Magnier, 48 ans, professeur de français au lycée Jules-Uhry de Creil (Oise). « Aujourd’hui, on bénéficie encore de 79 heures d’enseignement par an supplémentaires sur les 1 800 de notre établissement, ce qui me permet de faire une heure de classe en demi-groupe, mais on craint qu’elles disparaissent, dit-il. Si l’année prochaine, je dois faire cours dans des classes de 35 élèves, ils n’arriveront jamais à apprendre. »

Mardi 15 novembre, devant les députés, Najat Vallaud-Belkacem a déclaré que la réforme de l’éducation prioritaire serait étendue aux lycées « lors du prochain quinquennat que nous effectuerons ». Pour Céline Fercoq, 38 ans, professeure d’écogestion au lycée Robert-Doisneau de Corbeil-Essonnes (Essonne), cette annonce est « une douche froide ». « Le gouvernement nous avait promis que l’on serait intégrés et maintenant, on nous dit d’attendre le prochain mandat, mais c’est aberrant ! », déplore l’enseignante, accompagnée par des dizaines de collègues.

Si elle manifeste, « c’est avant tout pour [ses] élèves », tient-elle à préciser, et non pas pour la prime mensuelle de 96 euros, versée à chaque professeur qui travaille en zone prioritaire. « On les voit en difficulté, mais on reste impuissant. Là, j’ai un élève qui est en train de décrocher mais que voulez-vous que je fasse avec trente autres derrière moi ‘ Il faudrait réduire les effectifs pour avoir un suivi plus personnalisé. »

« 33 élèves pour 32 chaises »

A quelques pas, Elise, 35 ans et « non encartée », est tout aussi remontée. Comme Céline Fercoq, elle pense « avant tout » à l’avenir de ses élèves. « Moi, je suis un pur produit de l’école républicaine. J’ai grandi en cité, et sans la ZEP, je ne serais pas professeure aujourd’hui », lance-t-elle après avoir croisé, devant Sciences Po, une ancienne de Robert-Doisneau.

Chaque année, dans cet établissement, situé au c’ur de la cité des Tarterêts, une poignée de lycéens bénéficient d’une préparation pour intégrer de grandes écoles telles que Les Mines, Polytechnique et Sciences Po. « Si on sort de l’éducation prioritaire, les élèves ne pourront peut-être plus bénéficier de ce partenariat », craint Elise, alors que les effets de la réforme de 2014 se font déjà sentir.

« En deux ans, on a perdu 100 heures de cours alors qu’en dix ans, on a eu 370 élèves supplémentaires. Dans certaines classes, il y a 33 élèves pour 32 chaises. Et depuis que le lycée est en travaux, les élèves n’ont même plus de toilettes’ C’est kafkaïen. »

Même constat amer du côté des enseignants du lycée de la Tourelle à Sarcelles (Val-d’Oise). « On voit progressivement les effectifs par classe augmenter. On est en train de se diriger vers une éducation à la chaîne, comme dans les universités », déplore Lucie Normand, professeure d’histoire-géographie en filière générale.

« On s’apprête à les massacrer »

Dans cet établissement, comme dans les autres, les professeurs dénoncent un manque de moyens : pas assez de salles, trop peu de surveillants 7,5 personnes pour 1 295 élèves à la Tourelle par exemple et un manque cruel de professeurs. « Moi, j’enseigne en filière pro, j’ai des élèves difficiles. La dernière fois, j’ai eu un problème avec l’un d’eux. La situation était dangereuse, j’ai appelé un surveillant, mais personne n’est venu parce qu’ils étaient tous occupés », raconte Elodie Bouillod, qui enseigne les arts appliqués depuis cinq ans.

Dans d’autres matières, les élèves accumulent du retard irrattrapable. « En maths, les secondes générales ont manqué 60 heures de cours depuis la rentrée parce qu’il n’y avait pas de professeur », s’étrangle Hassem Ben Lahmoud, professeur de lettres, d’histoire et de géographie. Dans une autre classe, c’est un professeur de microtechnique, leur matière principale, qui manque. « L’année dernière, ils ont déjà passé six mois sans professeur. Ensuite, ils ont eu un contractuel, mais comme il n’était pas bon son contrat n’a pas été renouvelé. Et, ils passent le bac à la fin de l’année ! »

« L’ascenseur social » est déjà mal en point, et ces enseignants craignent que pour leurs élèves, il ne tombe définitivement en panne. Ils redoutent que les jeunes de banlieue se sentent davantage exclus. « Si on perd la REP, ils vont se dire que tout le monde les laisse tomber. Alors qu’ils sont plein d’énergie et d’idées, on s’apprête à les massacrer », juge Sabrina, 37 ans, douze ans dans l’éducation nationale, mais « première manifestation, c’est dire ! ».

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