Intermittents , une  précarité confortable  et un statut à défendre

Intermittents , une  précarité confortable  et un statut à défendre

Artistes, techniciens, ouvriers’ les intermittents du spectacle sont plus de 250 000 en France et bénéficient d’un statut à part, dû au caractère souvent fragmenté de leur activité. Dans la nuit du mercredi 27 au jeudi 28, les organisations syndicales de salariés et d’employeurs sont arrivés à un accord sur ce régime d’assurance-chômage spécifique. Régulièrement critiqué pour son coût, perçu comme trop généreux, ce régime recouvre des situations éparses.

« Le ressentiment de la société à notre égard m’inquiète de plus en plus », écrit Nicolas T., un technicien de 36 ans qui a répondu à l’appel à témoignages lancé sur Le Monde.fr. Il ne comprend pas que les intermittents soient perçus comme « une classe de rigolos paresseux et privilégiés ». Il liste ainsi « les contrats très courts, l’insécurité liée aux projets, les journées à rallonge ainsi que toutes les heures (non payées) que nous sommes prêts à faire pour donner un coup de main à gauche et à droite, quand le budget d’un film ou d’une pièce ne suffit pas ».

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« Depuis vingt-sept ans, je vis dans l’incertitude de l’avenir », renchérit Marc D., artiste lyrique. Certes, « pour rien au monde » il n’exercerait une autre activité car « c’est un métier de vocation » mais qui implique aussi d’importantes concessions. « Je n’ai pas de maison, pas de voiture et bien entendu, pas d’économies », confie-t-il, résumant : « Allez demander un prêt à un banquier, quand personne n’est capable de dire si vous aurez un revenu dans dix-huit mois (…). A 54 ans, on peut rêver mieux. »

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« La réalité brutale » de la « précarité »

Julien M., un technicien de 52 ans, raconte avoir perdu son statut « pour dix heures manquantes » sur les 507 heures à déclarer pour l’ouverture des droits à l’indemnisation (sur dix mois jusqu’à présent, sur douze mois après l’accord de jeudi). « Je me suis retrouvé sans revenus pendant six mois et suis devenu ripeur [éboueur qui travaille à l’arrière d’un camion-poubelle] », poursuit-il, soulignant la « réalité brutale » de la « précarité » des métiers du spectacle. Patrick, 57 ans, musicien, affirme « rester environ quatre mois par an sans rien toucher » et encore « les bonnes années ! », souligne-t-il, car il n’arrive pas toujours à atteindre le nombre d’heures nécessaires. « J’ai un revenu inférieur au smic même avec des allocs. »

Etre intermittent, « c’est une précarité confortable », synthétise Greg, monteur audiovisuel de 40 ans : « Si on a le statut, on peut être bien, voire très bien. Si on le perd, les choses peuvent s’enchaîner très vite. »

Alors, paresseux les intermittents Ce serait plutôt tout le contraire selon Marc L., 35 ans, musicien et producteur de musique électronique. « Si je fais le compte à l’année, je dirais que je travaille un minimum de 45 heures par semaine, mais seulement 12 heures sont effectivement payées », écrit-il, racontant les semaines en studio et les nombreux week-ends passés sur les routes, « souvent deux jours de déplacement pour une ou deux heures de concert ».

« Ne touchez pas au système »

Olry C., technicien lumière, rapporte les nombreux abus qu’il observe, évoque « des salariés à plein temps dans des entreprises (y compris publiques) » qui sont « déclarés comme intermittents alors qu’il n’en est rien ». Un graphiste strasbourgeois confirme, et cite l’exemple d’une société employant sous le régime de l’intermittence des gens « qui bossent pour [elle] depuis quinze ans ». « Des milliers de CDD illégaux », s’emporte-t-il.

Tout repose en fait sur la « passion » du métier. Sans elle, « j’aurais déjà raccroché », écrit Sophia A., technicienne et marionnetiste de 37 ans, qui défend l’émulation culturelle caractérisant selon elle la France : « La culture, c’est de la vitamine C, elle booste, énergise, enlève les tensions (…) ». « Partir surexcité en tournage à l’autre bout du monde et rentrer pour écrire le scénario d’un film qui ne verra peut-être pas le jour, c’est le plus beau métier du monde, non  », s’amuse Antoine P., 32 ans, après avoir détaillé toutes les raisons de « s’arracher les cheveux » à cause du régime.

Beaucoup de nos lecteurs ayant envoyé leur témoignage adressent un plaidoyer en faveur de cette spécificité française. « Si vous voulez maintenir le spectacle accessible à tous, ne touchez pas au système des intermittents », lance Fedora W., dramaturge, sous peine d’avoir « des prix flamboyants pour les billets d’entrée ». Ce régime « est une des rares choses dont la France doit être fière, car il permet aux gens du spectacle de survivre entre deux engagements », ajoute-t-elle.

« Etre acteur implique d’accepter la précarité »

« Sans l’intermittence, je n’aurais jamais pu rester dans le monde de la musique, éléver mes deux enfants et continuer à vivre dignement », commente Viviana A., musicienne. Pour elle, « c’est un choix de société que d’avoir des artistes pouvant vivre de leur art » et c’est « un choix de liberté que de faire en sorte qu’ils puissent exercer leur métier au-delà du star système’ et du vedettariat des puissants ». 

Quelques intermittents ne voient pas d’un très bon il le mouvement de ces derniers jours, qui s’est manifesté par l’occupation de théâtres, dont celui de l’Odéon et la Comédie-Française, à Paris. « Etre acteur, vouloir le devenir, implique d’accepter la précarité. Que l’on soit technicien ou artiste-interprète, on ne peut réclamer des avantages particuliers au prétexte que notre métier est plus aléatoire que d’autres », souligne Laurent A., comédien, qui voit dans la contestation de « l’immaturité » et de la « confusion ».

Le mouvement « pénalise nos premiers supports », estime pour sa part un comédien et chanteur de 31 ans demandant à rester anonyme : « On se met les spectateurs à dos en faisant grève alors que nous devrions nous allier à eux pour garantir leur soutien face au cassage en règle du statut. »

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