Immersion dans un relai routier ces lieux où les chauffeurs font le plein

« 
Tu préfères manger dans un routier ou sur l’autoroute ‘ Le prix sur l’autoroute, c’est le double ou le triple. Ici, tu manges comme à la maison, là-bas, tu manges comme De Funès.
 » Le belge Stéphan Feis affiche 31 années de route au compteur, un tatouage sur le bras, des sabots aux pieds et la langue loin de sa poche. Ce jour-là, il est parti le matin du Luxembourg, a déchargé à Mouscron. Le lendemain, c’est Bruxelles-Milan. Mais pour l’instant, c’est la pause au Mille-pattes, un relais routier implanté à Roncq, à deux ronds-points de l’autoroute de Gand.

Ici, Stéphan a ses petites habitudes. La douche à trois euros avec les clefs du camion en gage, parfois. L’échine de porc au Maroilles en plat de résistance, toujours. « 
Ça fait dix ans que je viens ici, ça fait dix ans que je prends l’échine de porc
 » se marre le routier belge. Pourtant au Mille-pattes, ce n’est pas l’échine de porc qui a le plus la cote.

IMMERSION RELAIS ROUTIERS 1000 PATTES A RONCQ (7)Fabrice Carlier, cuisinier dans l’établissement depuis 1998, en témoigne : « 
Je crois que ce soir, on va faire le millionième steak à cheval ! On envoie dix kilogrammes de viande hachée tous les soirs. C’est parfois un peu monotone mais c’est comme ça.
 »

« 250 couverts le soir »

Monotone ‘ Ce n’est pas vraiment le mot. Chaque soir, une centaine de poids lourds stationnent sur le parking tout proche. Du coup, c’est soir d’affluence au Mille-pattes.

En attendant l’heure du repas, ils sont des dizaines au bar. On cause dans toutes les langues mais surtout néerlandais. L’ambiance est plutôt virile et un peu bruyante. À la tête de l’établissement depuis un an, Jean-Claude Morieux sait pourtant que la fréquentation est en baisse : « 
Il y a 10-15 ans, il y avait 250 couverts le soir. Maintenant, c’est la moitié.
 » La faute, selon lui, à l’ouverture des frontières européennes : « 
Les gars des pays de l’Est ne mettent pas un pied dans les routiers. Ils préfèrent économiser 10 ou 15′ et manger un casse-dalle dans le camion.
 » Ils ne savent pas ce qu’ils ratent.

Ce qui a tué les relais routiers, ce sont les autoroutes. Avant, sur les nationales, il y avait un relais tous les dix kilomètres

Comme dans tous les relais routiers, le repas est très abordable. « 
La formule complète est à 13′. Elle comprend le buffet à volonté, le plat de résistance, le fromage, le dessert et un demi-litre de boisson.
 » Amis de la macrobiotique s’abstenir.

Mais ce n’est pas seulement la nourriture que Benjamin, un routier implanté en Bretagne, vient chercher : « 
Le soir, il faut que je puisse voir du monde, me laver. On discute entre collègues aussi. On partage le même métier, on a des choses en commun. Si on reste enfermés dans les camions, c’est pas une vie.
 »

J’aime ce type de restaurants, sourit le Néerlandais, c’est simple et on est à table avec d’autres chauffeurs. Toute la journée, on est seul

Superbes moustaches à la gauloise et carrure de déménageur, Frank vient des Pays-Bas. Il s’est installé à table avec John, un Belge et David, de Toulon. Les trois hommes ne se connaissaient ni d’Ève ni d’Adam il y a encore trois minutes. « 
J’aime ce type de restaurants, sourit le Néerlandais, c’est simple et on est à table avec d’autres chauffeurs. Toute la journée, on est seul. J’apprécie la solitude mais le soir, j’aime bien aussi discuter un peu. J’aime mieux dîner dans les routiers en France. Ici, c’est environ 16′ pour un repas, chez moi, c’est 30′.
 »

Dans un brouhaha de tour de Babel, le service va se poursuivre jusqu’à 23 heures. Peu à peu, les routiers regagneront leur cabine pour la nuit. Certains font appel aux services d’une prostituée, fidèle du parking poids lourds depuis des décennies. Le lendemain matin, tôt, les moteurs vrombiront à nouveau. Les camions s’en iront sur les routes d’Europe. Comme des mille pattes.

IMMERSION RELAIS ROUTIERS 1000 PATTES A RONCQ (18)

1 000

Il reste aujourd’hui un peu moins de 1 000 relais routiers en France. On en a compté jusqu’à 4 500 sur le territoire dans les années soixante-dix.

10

En pourcentage, la part que prennent les sociétés de transport français au départ ou à destination de la France. Il y a quinze ans, les entreprises françaises contrôlaient la moitié de ces échanges.

«Parfois des conditions à la limite de la déloyauté»

 Lors de notre reportage dans un relais routier (lire ci-contre), tous les chauffeurs ont dénoncé la concurrence de leurs homologues de l’Est. Est-ce un phénomène nouveau ‘

« Ce n’est pas nouveau et c’est compliqué. C’est une sacrée concurrence vis-à-vis de nos entreprises. Ces routiers ont d’autres habitudes de vie. Et, en effet, cela contribue à la disparition progressive de petits commerces comme les relais routiers. Alors qu’auparavant, certains organisaient leurs journées de travail selon l’emplacement des relais. C’est une des conséquences de cette Europe ouverte. »

 Et quelles sont les conséquences pour les transporteurs français ‘

« Il y a quinze ans, le pavillon français pesait la moitié des transports au départ ou à destination de la France. Aujourd’hui, il ne représente plus que 10 %. »

 Comment expliquer une telle dégringolade ‘

« On ne peut pas rivaliser à cause du coût de revient de l’heure de conduite. On voit des prix de transports à 10, 20 ou 30 %. Ils ont des coûts sociaux inférieurs aux nôtres et travaillent parfois dans des conditions à la limite de la déloyauté. Normalement, ces chauffeurs sont limités dans le temps pour les transports nationaux mais compte tenu du faible nombre de contrôles, nos entreprises perdent une partie du marché du cabotage. Même sur des marchés locaux, on ressent cette concurrence. »

 N’existe-t-il pas une réglementation qui oblige les transporteurs routiers étrangers à respecter les minima sociaux français ‘

« Si, une réglementation a été mise en place depuis le 1er juillet. Auparavant, l’Europe a fait l’objet de nombreuses critiques à cause de ces conditions sociales inégales selon les pays. Désormais, il existe une réglementation spécifique qui impose le minimum social français quand ils opèrent sur le territoire national. Le problème, c’est que c’est compliqué à mettre en uvre. Il y a eu peu de contrôles pour l’instant et ce n’est pas de nature à changer les habitudes des transporteurs étrangers. »

Aussi curieux que cela puisse paraître, l’histoire des relais routiers, c’est l’histoire d’un journaliste. François de Saulieu, tel est le nom du scribouillard. Ce dernier était jeune journaliste à Paris Midi. On est en 1933 quand son rédacteur en chef l’envoie écrire un reportage sur le quotidien des camionneurs. « 
Il a fait Paris-Marseille en camion, ça lui a pris une semaine 
», témoigne Laurent de Saulieu, petit-fils du journaliste. En partageant le quotidien des routiers, le journaliste remarque que rien n’est organisé pour eux. Les routiers campent sur le bord des routes, improvisent des frichtis à la va-vite. «
 Ils étaient de vrais bagnards de la route.
 »

Par La Voix du Nord
| Publié le 23/09/2016

En 1934, François de Saulieu saute le pas. Il prend la dot de son épouse et crée le journal Les Routiers en compagnie de Louis Navière, un autre journaliste amateur de bonnes tables. Le but du journal ‘ Tisser des liens entre les conducteurs de camions. Le hic, c’est que les routiers ne sont jamais chez eux. Difficile, dès lors, de leur vendre le journal. L’idée se fait jour de créer des relais où les routiers pourront manger et (surtout) lire le journal qui a été conçu pour eux.

Aujourd’hui, il subsiste encore un peu moins d’un millier de relais routiers en France. « 
On en a eu jusqu’à 4 500 dans les années 70, reprend Laurent de Saulieu, ce qui a tué les relais routiers, ce sont les autoroutes. Avant, sur les nationales, il y avait un relais tous les dix kilomètres. Maintenant, une interdiction de rouler avec un poids lourd dans un village, ça peut tuer un relais. C’est dommage.
 »

Alors, si le c’ur vous en dit, vous pouvez toujours ouvrir votre propre relais. Le cahier des charges n’est pas si sévère que ça. « 
Il faut disposer d’un parking poids lourds bien entendu. Mais le principal, c’est le sens de l’accueil. Un routier qui passe régulièrement, c’est bien de retenir son prénom pour qu’il se sente un peu chez lui. Le problème, c’est que dans un camion, on ne parle pas.
 »

Les autres exigences ne sont pas non plus insurmontables. Le petit-fils du fondateur conclut : « 
Il faut aussi proposer un menu aux alentours de 13 ‘, ce qui correspond à la somme qui est allouée aux chauffeurs routiers par leurs entreprises. Idéalement, il faut disposer d’une douche. Voilà pour l’essentiel.
 »

Dernière information : il n’y a pas besoin d’être routier pour y manger. Le guide des relais routiers pourra vous aider à faire votre choix. Il vous en coûtera 19 ‘. À peine plus cher que le prix d’un repas.

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