Harcèlement sexuel , 1 femme sur 5 victime au cours de sa vie professionnelle

Harcèlement sexuel , 1 femme sur 5 victime au cours de sa vie professionnelle

Il est droit dans ses bottes, Denis Baupin. Et il ne voit pas ce qu’on lui reproche. À tel point que sa défense a accepté de montrer à L’Obs certains textos échangés avec la députée Isabelle Attard, qui l’accuse de harcèlement sexuel et a déposé plainte contre lui tout comme les élues Sandrine Rousseau et Elen Debost.

Que lit-on dans ces messages Que le 5 juillet 2012, le responsable des Verts écrit à sa collègue : «
Je note avec tristesse qu’il y a certains de mes SMS auxquels tu ne réponds pas 🙂
». Elle lui répond : «
Merci pour tes compliments adorables mais non merci 🙂
». Il revient à la charge six jours plus tard : «
Je me rends compte qu’arrive cette terrible période de la semaine où tu t’éloignes de moi. Alors je t’envoie un nuage de petits bisous t’effleurant la nuque pour mieux te mordiller ensuite.
» Le lendemain, Isabelle Attard l’éconduit de nouveau : «
Denis, je te l’ai déjà dit : merci mais non merci’ et j’ai horreur de me répéter !
» Il s’excuse puis insiste une fois de plus pour savoir si sa collègue est «
si fâchée que ça
». Elle lui répète, pour la troisième fois, qu’elle n’est pas intéressée.

Par trois fois donc et peut-être plus, ceci n’étant qu’une partie des messages échangés Isabelle Attard a exprimé à Denis Baupin son refus face à ses avances. Mais lui a continué. Insisté. Et ne voit encore là qu’un jeu de séduction. Or, comme l’indique le Larousse, «
non : indique une réponse négative
». Interrogée par Le Monde, la politiste Magali Della Sudda rappelait en mai dernier qu’au «
moment de l’affaire DSK, on a vu ressurgir des propos antiféministes prenant la défense de la séduction et des baisers volés(‘). La galanterie à la française, y compris quand elle frôle le harcèlement, serait, dans cette optique, un prolongement de l’amour courtois. (‘)
Il faut cependant rappeler que ce qui distingue la séduction du harcèlement sexuel, de l’agression sexuelle ou du viol, c’est le consentement
».

Au travail, dans les transports en commun’

Au cours de sa vie professionnelle, une femme sur cinq a été victime de harcèlement sexuel. Seulement 5 % d’entre elles portent plainte (1). Dans les transports en commun, ce sont tout bonnement 100 % des femmes qui ont déjà été harcelées (2).

«
Il y a une espèce de fatalité : les femmes sont victimes de multiples violences dans leur vie (verbale, conjugale, dans la rue, les viols’), c’est un peu leur quotidien, déplore Laure Ignace, de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). Dans les violences sexuelles, ce qui prédomine le plus, c’est la honte, la culpabilité. Elles se disent :
Qu’est-ce que j’ai pu suggérer à cet homme C’est quoi mon problème
Le premier réflexe n’est pas de se dire :
Je suis victime, je vais aller porter plainte
mais
qu’est-ce que j’ai fait , je vais reprendre les choses en main. Elles ont l’impression qu’elles ont quelque chose à changer chez elles. Elles ne se sentent pas légitimes à se considérer comme victimes. Elles pensent que la plainte ne servira à rien, qu’elles ne seront pas entendues parce qu’on baigne dans la culture du viol, elles se disent qu’elles l’ont bien cherché. Elles vont plutôt s’auto-convaincre qu’elles s’en sortiront toutes seules.
»

Les méchants et les gentils

«
La première réaction des gens au courant de violences sexuelles sur leur lieu de travail consiste à dire :
Cet homme-là Ce n’est pas possible
!
», décrit Laure Ignace, de l’Association européennes contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT).

PHOTO CAROLINE GARDIN

Pères de famille, hommes avenants, «
ils sont plutôt manipulateurs parce qu’ils restent très gentils avec la communauté de travail, donc ils sont insoupçonnables. Et puis, il y a ceux qui mettent tout le monde en sidération, sèment la terreur. Ceux-là sont plus repérables, ils exercent un pouvoir
».

Comment se prémunir

«
En se méfiant des trop gentils
», avance Laure Ignace. «
Si un homme se montre indispensable quand une femme arrive dans l’entreprise, qu’il prend tout en main dès qu’elle a un problème, elle se retrouve complètement isolée, les autres deviennent jaloux. Lui crée son impunité. Elle, elle ne trouvera pas de soutien, on va suspecter immédiatement qu’elle cache une relation consentie. Les témoins n’auront vu que sa stratégie à lui.
Les harceleurs sentent aussi quand les femmes sont vulnérables, savent qu’elles viennent de perdre quelqu’un, de se séparer, que leur enfant est malade’ Tout cela est intégré dans leur stratégie.
Elles sont déjà affaiblies donc elles ne peuvent pas lâcher leur travail. Ce qui prouve bien que toutes les femmes peuvent être victimes de harcèlement sexuel, peu importe leur milieu social, leur niveau de diplôme ou leur connaissance de la loi.
»

Un jugement inédit

C’est un jugement inédit que le Conseil des prud’hommes de Tours a prononcé en juillet dernier. Le quotidien La Nouvelle République a été condamné pour harcèlement sexuel dit « environnemental ». En clair, le tribunal a statué non pas sur des propos ou comportements sexistes visant une personne particulière, mais bien sûr l’atmosphère générale de travail sexiste et misogyne.

Conversations plus qu’explicites, propos dégradants, insultes graveleuses, affichage de photos obscènes participent d’une ambiance hostile que Madame G., dès 2012, ne supporte plus au sein de sa rédaction. La journaliste alerte sa hiérarchie, accroche des affiches contre le harcèlement sexuel rappelant les peines encourues, rien ne change. On lui reproche de manquer d’humour. En arrêt de travail à partir de janvier 2013, elle réclame la résiliation judiciaire de son contrat et saisit également le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail dont l’expertise, confiée à un cabinet privé, se révèle accablante : «
La gravité de la situation est largement sous-estimée par les personnes dont la mission est pourtant de prévenir les risques professionnels.
»

Le Conseil des prud’hommes de Tours condamne le journal à 10 000 euros de dommages et intérêts pour « harcèlement moral et sexuel » et « indemnisation du préjudice lié à la rupture de contrat de travail équivalent à quinze mois de salaire ». Une première. Le quotidien a fait appel de cette décision et n’a pas souhaité commenter l’affaire.

1. Enquête IFOP pour le Défenseur des droits mars 2014

2. Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) avril 2015

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