Grèves et blocages contre la loi travail , pas d’impact sur la croissance pour l’instant

Grèves et blocages contre la loi travail , pas d'impact sur la croissance pour l'instant

Le Monde
| 25.05.2016 à 16h18
Mis à jour le
25.05.2016 à 18h29
|

Par Audrey Tonnelier

L’épreuve de force entre la CGT et le gouvernement autour du projet de loi de réforme du code du travail se poursuit et s’amplifie. La première veut obtenir le retrait du texte et accroît la pression à travers les mouvements de grève et les blocages dans les raffineries, mais aussi, à partir du jeudi 26 mai, dans le nucléaire. Le second réaffirme qu’il ne reculera pas et utilise la force pour lever ponctuellement les blocages.

Pour l’instant cependant, l’impact sur l’activité économique française, qui a nettement rebondi au premier trimestre (+ 0,5 % de hausse du produit intérieur brut, PIB), reste très relatif, estiment la plupart des économistes.

« La mobilisation est relativement récente et ne bloque pas l’intégralité de l’économie. Si demain ce devait être le cas, alors on aurait sûrement des reports d’activité et d’investissement, mais aussi d’achats de la part des consommateurs, qui viendraient fragiliser la situation économique française, souligne Philippe Waechter, directeur de la recherche économique chez Natixis AM. En particulier, les blocages de raffineries, s’ils se poursuivaient, et celui de centrales électriques, s’ils se concrétisaient, pourraient vite faire ressembler la situation à celle de 1995. Mais pour l’instant, nous n’en sommes pas là ! »

Les précédents de 1995 ou 2010

Les grandes grèves intervenues entre mi-novembre et mi-décembre 1995 contre le plan Juppé sur les retraites (vingt-deux jours au total) avaient amputé de 0,2 point de PIB la croissance tricolore au quatrième trimestre 1995, selon le calcul de l’Insee. « Mais à l’époque, la France était véritablement à l’arrêt, tout était bloqué (transports publics, administrations’) », rappelle M. Waechter.

Surtout, « le ralentissement de la croissance constaté alors avait été rattrapé dès le trimestre suivant. Seule la trajectoire avait bougé », souligne Mathieu Plane, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). « Pour que les effets sur la croissance soient plus significatifs, il faudrait que la mobilisation soit plus importante et plus durable », estime M. Plane.

Ainsi, en mai 1968, l’arrêt général du pays avait fait chuter le PIB de 5 % au deuxième trimestre. Mais la croissance avait rebondi de 7,7 % dès le troisième trimestre.

A l’inverse, en 2010, les blocages de raffineries face à la réforme des retraites du gouvernement de François Fillon « n’avaient eu aucun effet global sur l’économie française », relève M. Waechter : « Le PIB avait crû de 0,6 % aux deuxième et troisième trimestres 2010 et de 0,5 % au quatrième trimestre, allant jusqu’à 1 % début 2011. Bien que la contestation ait duré longtemps, du printemps à l’automne, elle avait été plus perlée. »

Les services, premiers touchés

Pour Denis Ferrand, directeur général de l’institut de conjoncture Coe-Rexecode, « l’impact de ce mouvement devrait être au mieux de 0,1 point de PIB, soit peu ou prou le supplément de croissance que l’Insee espérait gagner en raison du plus grand nombre de jours ouvrés que compte l’année 2016 ».

« Evidemment, plus le mouvement dure, plus il est susceptible d’avoir un impact sur la croissance », indique Christopher Dembik, économiste chez Saxo Banque. Ce sont les services qui sont touchés en priorité, car la grève y représente une perte sèche pour l’économie, « alors que dans l’industrie, la perte de productivité peut être rattrapée les jours suivants », poursuit M. Dembik.

« Le secteur de la cokéfaction/raffinage ne représente que 0,7 % de la production industrielle française, soit 0,1 point de PIB. Si l’économie devait pâtir des grèves, c’est davantage en raison de l’impact sur les secteurs utilisateurs de pétrole, au premier rang desquels le commerce et le transport », détaille M. Ferrand. « Les mouvements vont accentuer les difficultés du secteur du raffinage, qui souffre déjà en raison de la chute récente des prix du pétrole. Ils pourraient se traduire par de nouvelles pertes d’emploi », ajoute M. Dembik.

Effet négatif sur le tourisme

Au-delà de l’impact chiffré sur l’économie, le principal dommage collatéral des blocages et autres grèves est la perception du pays à l’étranger. « Il y a un risque d’effet négatif sur le tourisme, note M. Plane, et notamment l’hôtellerie-restauration, qui pourrait s’ajouter à l’effet attentats dont le secteur souffre déjà. »

Dans un communiqué publié mercredi 25 mai, l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH) tire d’ailleurs la sonnette d’alarme. « Dans les départements, les blocages, les grèves, mettent nos adhérents dans une situation périlleuse, confrontés à des problèmes d’approvisionnement et d’annulation importants de réservations pour le week-end à venir », s’émeut l’UMIH, à quinze jours du début du championnat d’Europe de football en France.

« Au niveau national, les grèves, la pénurie, les blocages, les violences dans les manifestations reprises en boucle par les chaînes d’information en France et à l’étranger véhiculent des images aux conséquences néfastes pour la destination France, déjà très affectée par les événements tragiques du 13 novembre dernier », ajoute le syndicat professionnel.

Enfin, les effets sur l’image de la France auprès des investisseurs étrangers, déjà à la traîne par rapport à celle de ses voisins européens, sont également à redouter. « Les études sur l’attractivité soulignent régulièrement que les difficultés du dialogue social en France sont un point de blocage important », déplore M. Ferrand, qui voit « une occasion manquée de faire des réformes en France ».

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