Finale de l’Eurocoupe de basket , les Strasbourgeois ne veulent  pas être les pauvres Calimero 

Finale de l'Eurocoupe de basket , les Strasbourgeois ne veulent  pas être les pauvres Calimero 

Le Monde
| 21.04.2016 à 15h04
Mis à jour le
27.04.2016 à 18h03
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Propos recueillis par Clément Guillou (envoyé spécial à Strasbourg)

La Strasbourg Illkirch-Graffenstaden (SIG) visera, à 19 heures, un premier titre européen dans l’atmosphère enfiévrée de l’Abdi Ipekçi Arena. La courte victoire de l’aller (68-64) a le double avantage d’entretenir l’espoir et de maintenir la pression sur les hôtes turcs, grands favoris de cette double confrontation et d’ordinaire intenables à domicile.

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Les Stambouliotes étaient 60 000 à vouloir vivre le match retour, mercredi 27 avril, de leur première finale européenne. Heureusement pour la SIG, la salle ne contient que douze mille places, qui sont parties en cinq minutes.

Nous avons rencontré Vincent Collet trois jours avant le match aller. Déjà, il évoquait les dangers inhérents à l’ambiance du match retour, conscients que l’aisance démontrée cette saison par Strasbourg en déplacement pèserait peu face à la furia turque.

Seule figure du basket français à évoluer dans son pays, il a fait de ce rendez-vous un défi personnel, lui qui brûle d’entraîner au plus haut niveau européen. Les semaines à venir seront pour lui déterminantes’: après la finale, il partira à la conquête d’un troisième titre de champion de France, qui serait son premier avec Strasbourg, finaliste malheureux depuis trois ans. Puis tentera de qualifier la France pour les Jeux olympiques, lors d’un tournoi de qualification (TQO) périlleux aux Philippines (du 4 au 10 juillet) avec une équipe possiblement déplumée.

Quel effet l’ambiance de l’Abdi Ipekçi Arena, réputée comme l’une des salles les plus chaudes d’Europe, peut-il avoir sur vos joueurs

C’est un ­contexte particulier qu’il faudra apprivoiser. Il y aura tellement de bruit dans la salle que la communication sera compliquée. Entre les deux matchs, nous avons prévu des entraînements sans parole, avec un codage gestuel, car je sais qu’ils ne m’entendront pas sur le parquet.

Dans cette atmosphère très chaude, l’image que l’on va renvoyer comptera, notamment vis-à-vis des arbitres. Il faudra montrer notre volonté d’en découdre, ne pas être les pauvres Calimero qu’on a lâchés dans l’arène.

Sur quoi va se jouer cette finale

Sur notre capacité à les gêner. Il faut mettre un grain de sable dans leur mécanique, les bousculer, faire en sorte qu’ils soient surpris. Eux ne nous calculent pas trop. Dans ces grands matches, quand vous volez la confiance d’une équipe qui s’attend à ce que ce soit limpide, vous avez une chance.

En gros, il faut refaire le coup de l’équipe de France face à l’Espagne lors de la Coupe du monde 2014. Ils se préparent à une confrontation dans laquelle il ne peut rien leur arriver. Si, à un moment donné, ils se disent : « Merde, ce n’est pas ce qu’on pensait », ça peut les dégonfler. A ce titre, le premier quart-temps est très important. Il faut mettre les herses, poser les barbelés, les empêcher de prendre confiance en étant agressifs.

« Je ne rêve pas mais j’espère, j’attends un grand club »

Pourquoi êtes-vous si obsédé par l’idée de réussir au niveau européen »

La Coupe d’Europe, jusqu’ici, a plutôt signifié pour moi difficultés et souffrance. J’ai eu beaucoup de déceptions. Et comme je ne crois pas à la fatalité ni à la malchance, c’est qu’il y avait forcément quelque chose de mieux à faire pour rendre mes joueurs meilleurs. C’est un challenge personnel que de les préparer le mieux possible pour ce type d’événement.

Y a-t-il aussi un besoin de reconnaissance par vos homologues européens »

Oui, je l’admets sans problème, ça fait partie de mes motivations. Le club des grands entraîneurs d’Euroligue n’est pas très ouvert. Le seul chemin, c’est de faire des exploits avec des équipes moins fortes.

Face à certains entraîneurs de ce cercle restreint, j’ai moins de complexes qu’à une époque. D’autres sont au-dessus de moi. Il y a quelques légendes du coaching, comme ­Ettore Messina [quadruple vainqueur de l’Euro­ligue avec Bologne puis le CSKA Moscou] et Zeljko Obradovic [huit fois titré avec quatre clubs différents], mes deux maîtres. C’est en décortiquant tous les étés un nombre incal­culable de leurs matchs d’Euroligue que j’ai fait mes premiers progrès dans le métier.

Le mieux reste de jouer contre eux. Là, vous morflez mais vous avancez. Cette saison, j’ai joué face à mon maître quand nous avons affronté le Fenerbahce d’Obradovic en Euroligue. Nous avons gagné (91-70) mais je ne suis pas dupe’: je pense avoir préparé le match trois fois plus que lui et ses joueurs sont arrivés avec un peu de suffisance. N’empêche’: quand il m’a félicité à la fin, j’étais comme un gamin.

« En novembre, c’est la première fois que j’en ai eu marre »

C’est dans l’espoir d’intégrer ce club restreint que vous n’avez pas encore prolongé avec Strasbourg et les Bleus »

La Fédération me demandait une décision en mars mais je ne suis pas en mesure de la donner. J’ai toutes les cartes en main mais je préfère rester disponible. Dans ces grands clubs, c’est au mois de mai que les décisions se prennent. Je ne rêve pas mais j’espère, j’attends, patiemment. Je ne serais pas surpris qu’il n’y ait rien’: nous, les entraîneurs français, on est plutôt en bas des short-lists.

Notre basket n’est pas respecté. On n’impressionne personne, que ce soit sur le terrain ou sur le banc Jusqu’à peu, les sélectionneurs étrangers pensaient encore qu’il suffisait de faire une défense de zone contre la France pour la battre. Pour eux, on a des joueurs qui courent, qui sautent, mais ne jouent pas très bien au basket.

Si aucune offre d’un grand club n’arrive, vous continuerez donc avec Strasbourg et l’équipe de France »

Probablement. Je mets tout de même un bémol pour l’équipe de France. Si je ne suis que ma passion et mon envie, je dis oui cent fois, parce que j’aime ça. Mais je me dis’: «’Fais gaffe’!’» Cette saison, le passage à vide que j’ai traditionnellement au mois de novembre, ­contrecoup de l’été passé avec l’équipe de France, a été plus loin que d’habitude. J’avais les batteries à plat et j’étais moralement affecté, lassé. J’avais du mal à voir la sortie du tunnel.

Au même moment, les tensions étaient fortes dans l’équipe, où les nouveaux joueurs avaient du mal à trouver leur place. J’étais plus agacé par ces enfantillages qu’en mesure de les traiter. Quand vous êtes au fond du seau, vous êtes moins préoccupé par les autres et vous perdez la première qualité d’un entraîneur’: l’empathie.

Comme je suis un bourrin, je continuais de regarder des matchs, mais je décrochais. Je regardais un quart-temps et j’allais me coucher, en ayant pris trois notes sur mon carnet. C’est la première fois de ma vie d’entraîneur que j’en ai eu marre. Je vieillis [il aura 53’ans le 6 juin], l’enchaînement sélection-club est plus difficile. Il y a donc la question de ma santé et le fait que je dois pouvoir donner le meilleur de moi-même. Plein de gens attendent derrière moi, donc je dois être honnête. A 80 %, je ne sers à rien. D’où ma réflexion. Les surhommes, ça n’existe pas.

Tournoi de qualification olympique : « Bon espoir pour Gobert »

La présence de plusieurs joueurs NBA au TQO sera conditionnée au paiement d’une assurance très coûteuse. Du cinq de départ de l’Euro 2015 (Parker, De Colo, Batum, Diaw, Gobert), combien seront aux Philippines »

Il n’y aura pas de problème pour Tony [Parker]. Boris [Diaw], ce n’est pas sûr, mais je pense qu’il n’y en aura pas non plus. Nando De Colo, il n’y aura pas de problème a priori, car il va, je pense, prolonger au CSKA Moscou.

Les deux questions, ce sont [Rudy] Gobert et [Nicolas] Batum. J’ai bon espoir pour Gobert, car il a encore une année d’option au Utah Jazz. Ils peuvent très bien le garder sous ce contrat et attendre la saison prochaine pour le prolonger. Batum, en revanche, est en fin de contrat. Ça va être compliqué. Cette question de l’assurance dépend aussi du joueur qui doit être assuré, de son état d’esprit.

Ce qui nous ramène au discours tenu à vos joueurs à l’issue de l’Euro, en référence à leur disponibilité pour le TQO’: «’Il y aura des choix [à faire], ça vous engagera.’»

Je comprends très bien les éléments en jeu, les gros contrats, etc. Mais il ne faut pas dire qu’il y a zéro possibilité. Il y a un libre arbitre. Après, les joueurs l’assument ou pas, mais on ne peut pas passer pour un ange dans ce cas-là. Il faut que les joueurs fassent pression sur leur entourage, que l’enjeu ne soit pas uniquement le contrat. Les agents ont tendance à pousser fort pour que les joueurs ne jouent pas, car leur commission dépend du contrat.

Je comprends les joueurs. C’est leur métier. Et ça n’empêche pas qu’ils ont aussi l’amour du maillot bleu. Le calendrier de la NBA les oblige à un choix cornélien.

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