Expulsion manu militari des migrants du lycée Jean-Jaurès

Expulsion manu militari des migrants du lycée Jean-Jaurès

Dans la cuisine, l’eau bout. Une jeune femme, d’Erythrée ou d’Ethiopie, teste la température d’un biberon avant de le donner à son bébé. Elle a les yeux rougis, ses gestes sont lents. La nuit a été courte au lycée Jean-Jaurès, dans le 19e arrondissement de Paris. Il fait froid mardi matin 4 mai avant l’aube quand les premiers soutiens se massent devant les portes fermées. Chacun sait l’évacuation imminente.

Depuis la porte des Lilas, un cortège de bus de la police, truffé de quelques cars, grille avec application et systématisme chacun des feux rouges. Un à un les véhicules se garent près du lycée. Le jour n’est pas encore levé que déjà leur file est longue le long des trottoirs.

Vendredi 29 avril, le tribunal administratif de Paris a ordonné l’évacuation « sans délai » du lieu, précisant même qu’« au terme de soixante-douze heures, la région pourra procéder avec le concours de la force publique ». Les quelque 360 migrants installés là depuis le 21 avril le savent, ils ont été informés par le collectif La Chapelle debout, qui les aide. La présidente de région, qui avait porté le dossier devant les tribunaux, a eu gain de cause et la procédure d’appel n’est pas suspensive.

Au bout du rouleau

A l’intérieur, la plupart des migrants sont réunis dans le réfectoire. Assis autour de la table, ils s’inquiètent de leur sort. Les plus chanceux sirotent un thé ou un café. Les autres serrent leur petit sac, en guise de protection. Ils ont vécu bien des galères, mais la police leur fait peur. Il y a ceux qui débarquent, ceux qui ont déjà vécu des évacuations, et des sans-papiers, aussi.

Dans la mouvance de Nuit debout, ces publics différents s’étaient réunis là pour demander à être traités à l’unisson, avec cette idée sous-jacente qu’il n’y a pas les « bons migrants » qui méritent un lit et un repas, et les « migrants économiques » qui n’auraient aucun droit. Tous veulent « de l’humanité ». Dans le groupe initialement installé, nombre de sans-papiers et de déboutés du droit d’asile qui ne peuvent rentrer dans leur pays, cherchaient dans ce lycée en travaux une solution à leurs galères.

Certains sont au bout du rouleau, épuisés par « une lutte pour obtenir des papiers, bien trop dure et trop aléatoire », comme l’explique un jeune Tunisien. « Nous ne voulons plus aller de foyer en foyer. Cinq jours ici, deux jours là, trois nuits dehors », pleure une Erythréenne au bord de la crise de nerfs en berçant fébrilement sa poussette. La jeune femme, en France depuis un an, semble désespérée. C’est elle qui sera prise de force la première pour être évacuée hors de l’établissement par les gendarmes.

Semblant de dialogue

Vers 7 heures, en effet, les forces de l’ordre pénètrent dans le lieu et les personnes venues en soutien, massées sur l’avenue Simon-Bolivar, sont dispersées aux gaz lacrymogènes. À l’intérieur, l’entrée des forces de l’ordre s’opère d’abord dans le calme. Dans un premier temps, les occupants restent dans le réfectoire, avant de sortir dans la cour et que toutes les issues se referment sur eux. « J’ai mon sac avec tous mes papiers dans le dortoir, je fais comment ‘ » pleure un jeune Subsaharien, visiblement paniqué. Rien n’y fera, il ne sera pas autorisé à reprendre ses affaires.

Là, un semblant de dialogue s’instaure. Les porte-parole des migrants demandent en vain au représentant de la préfecture de police où ils comptent les emmener. Toutes les réponses sont traduites en direction du groupe de migrants. « Ils nous proposent que les femmes et les enfants partent d’abord. Que tout le monde soit emmené dans un centre où l’on étudiera la situation administrative de chacun, avant que les demandeurs d’asile et les réfugiés soient hébergés », énonce un traducteur dans son microphone.

La formule ne convient pas aux résidents du lieu, car des sans-papiers craignent d’être renvoyés dans leur pays, des « Dublinés » (les demandeurs d’asile relevant de la procédure européenne « Dublin II ») d’être renvoyés en Italie ou en Hongrie (où leurs empreintes ont été prises). Alors, les migrants demandent qu’on les laisse sortir du lieu sans les emmener. Mais là, la nasse se referme. La police refuse et veut emmener tout le monde. « Je ne comprends pas, lance Marmoud, un Soudanais. Ils sont venus avec le mandat de nous expulser du lieu, et veulent nous forcer à monter dans les bus’ nous embarquer tous. »

Changement de ton

C’est là, effectivement, que le ton change. Déjà, le représentant de la préfecture a bien précisé que l’évacuation était opérée par la police. C’est la différence majeure avec la vingtaine d’évacuations précédentes réalisées dans la capitale depuis un an. Depuis juin 2015, en effet, les campements parisiens sont évacués par la ville de Paris, la préfecture de région, avec en appui (plus ou moins visible) la police. Les migrants sont ensuite tous logés et aucun « tri » n’est opéré entre réfugiés et migrants économique, dans un premier temps. C’est toute la différence entre l’opération JeanJaurès et les autres. Là, c’est la police qui gère, au sein de Paris, pourtant « ville refuge ».

La vingtaine de policiers, les gendarmes casqués et bottés, prennent vers 9 heures la décision d’y « aller à la force ». « Faut virer les soutiens, sinon on n’arrivera à rien », lance l’un d’eux. À peine cette phrase prononcée, la jeune maman africaine et deux des soutiens sont violemment traînés hors des lieux. Le microphone de Houssam El Assim est balancé dans un coin, et lui se retrouve allongé par terre dans le hall de l’établissement, après y avoir été traîné par les pieds et les mains, comme un autre membre du collectif.

Un jeune photographe, Lewis Joly, présent aux côtés du Monde, est bousculé vers la sortie après avoir tenté d’immortaliser la dureté du moment. Le Monde subira le même sort, avec contrôle des cartes de presse, prise d’identité et signification d’une « entrave à évacuation », agrémenté d’un « on va s’occuper de vous ». En face, un peu impuissants, des gendarmes désolés de la tournure des faits sourient tristement. Quelques dizaines de minutes auparavant, l’un d’eux disait comprendre le désespoir de ces exilés. Il avait entendu le désespoir d’un jeune Libyen racontant sa galère en France. Mais écouter et entendre se conjuguent différemment.

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